La conversion par les rencontres
« Au XVIIe siècle,
le mot "conversion" ne désigne pas d'abord
un changement de religion ou l'entrée dans l'Église d'un incroyant,
mais le bouleversement intérieur qui fait d'un chrétien "sociologique"
un croyant sincère et pratiquant zélé.
Le moyen primordial en était la confession honnête et complète de tous ses péchés.
Cette relation mérite d'être soulignée à notre époque
où ce sacrement n'attire plus beaucoup les fidèles. »
Albert OLIVIER, 8 mai 2008.
Les siècles suivants furent témoins de la même pratique, et ce fut précisément par là que je passai, en plein milieu du XXème. Simplement, j'évitai d'utiliser le moyen primordial que rappelle Albert Olivier, et pour cause, puisque ma conversion s'est déroulée sur plusieurs années ; j'esquivai donc plusieurs confession(s) honnête(s) et complète(s) de tous [mes] péchés et commençai ma nouvelle vie de croyant ... sincère... et pratiquant... zélé (on reconnaît bien là les emballements d'un néophyte !).
Venons-en aux faits.
Tout d'abord, mon état antérieur. Mes parents étaient croyants, de manières différentes : si mon père était non pratiquant, ma mère compensait cela par une pratique de piété tous azimuts et des convictions affichées. Tous deux étaient des éducateurs zélés et très moralisants.
Pour moi le parcours fut le suivant : baptême en bas âge, catéchisme, communions (la « première » et la « solennelle »), à l'occasion « service de l'autel » (appellation officielle des enfants de chœur), école religieuse (9 années), scoutisme, etc.
À propos de scoutisme, une anecdote intéressante pour la suite de mon existence : un de mes « chefs » asséna un jour d'une manière péremptoire à mon sujet : « Bon wagon, mauvaise locomotive ! » Que n'ai-je pris cette sentence au pied de la lettre, cela m'aurait valu bien du repos dans ma vie, au lieu des nombreuses locomotives que j'ai été amené à conduire !
Ma vie était donc - sur le plan de la vie religieuse - un petit fleuve tranquille, et vous n'auriez sans doute pas eu l'occasion de me lire ni de me fréquenter ; mais voilà que des secousses scolaires aux environs de la classe de Seconde vinrent la troubler ; on décréta qu'il fallait que je m'éloigne de ma famille (qui n'était cependant pas en cause) pour retrouver des circonstances favorables à mon travail, donc à mon avenir.
Après certaines séquences cahotiques, j'arrivai dans un lycée « classique et moderne », à 30 km de chez moi, donc en internat. Un aumônier était présent (l'Abbé Roubaudi), et tout naturellement je fis sa connaissance et participai au groupe. Au bout de quelque temps, je devins à sa demande animateur du groupe.
ET CE FUT, PAR LA RENCONTRE DE CETTE PERSONNE, LA PREMIÈRE PHASE DE MA CONVERSION (la locomotive se mettait en marche)
Je venais donc de prendre en mains ma vie de foi. C'est du moins comme cela que je « relis » ces années-là.
Tout autre fut la deuxième étape, les rencontres que j'y fis ayant été radicalement différentes. Je quittai l'environnement « bourgeois » de ce lycée, m'éloignai encore davantage de ma famille (200 km), et entrai à l'Ecole Normale d'Instituteurs. Bouleversement sur plusieurs plans ; social d'abord : la plupart de mes camarades venaient des milieux populaires, sortis de troisèmes de Cours Complémentaires ; sur le plan religieux, beaucoup d'ignorance et donc de méfiance voire d'animosité. Les premières semaines furent un choc pour moi, les conversations souvent empreintes de dérision. Cela aurait pu devenir très débilitant... Je commençai à entrevoir au moins unélément positif : le « bachotage » auquel nous étions tous soumis d'une façon coercitive me conduisait tout droit à la réussite au Bac (ce fut le cas). Mais cela ne suffisait pas à maintenir le moral au beau fixe, malgré les messes dominicales en ville.
ET CE FUT, PAR LA RENCONTRE D'UN GROUPE, LA SUITE DE MA CONVERSION.
- Un normalien plus ancien m’aborda un jour, et me parla d’un groupe de camarades chrétiens qui se réunissaient périodiquement. J’y participai aussitôt, avec enthousiasme.
- Une anecdote, qui prouvait combien ma conversion était encore bien précaire : ce camarade, Jean A., me demanda peu après de lui prêter mon vélo. Dans le milieu dont j’étais issu, on ne prêtait ni son stylo, ni son vélo, ni sa femme (quand on en était pourvu). Donc je refusai, et je pense que ce camarade en fut très déçu.
- Garçons et filles, avec l’aide précieuse de l’Abbé Gaston Voog, qui était en même temps aumônier de lycée, nous nous retrouvions chez lui pour des moments de chaude amitié, d’auditions musicales, et d’échanges sur nos vies. Cela revivifiait nos existences un peu grises, humainement étriquées. Il nous organisait des week-ends intéressants, des « récollections », dans la chère maison des « Genêts », auxquelles il invitait des intervenants de la région ; c’est ainsi que je fis la connaissance du chaleureux Père Tayeau, un des créateurs de la Communauté Saint-Luc de Marseille.
Peu à peu, nous célébrions les messes ensemble. Notre liturgie inventive nous rafraîchissait, par rapport aux routines des années passées. Nous avons fait connaissance de groupes qui poursuivaient dans la même direction : la Paroisse Universitaire d'Aix, professeurs du Secondaire et du Supérieur, qui nous prirent un peu sous leur protection (affective et financière !) ; avec eux nous avons fait des sorties, jusqu'à aller à l'autre bout de la France participer aux « Journées Universitaires » (Rennes, Grenoble...). Nous avons fait connaissance de groupes marseillais qui cheminaient comme nous. Mais ceci n'est pas le sujet de ce texte.
... CONVERSION PROVOQUÉE EN MÊME TEMPS PAR LA RENCONTRE D'OBJECTIONS ET D'OBSTACLES
Ma conversion, facilitée et rendue solide par la fréquentation du groupe des normaliens chrétiens, me semble après coup avoir comporté un autre volet, une autre cause, aussi importante à mes yeux, un peu paradoxale mais parallèle : les contacts parfois rugueux avec les camarades d'École Normale « non croyants » au lieu de m'effrayer et de me faire rentrer dans ma coquille, voire jusqu'à me faire quitter l'Eglise, me provoquaient dans ma foi vers plus d'exigence, d'authenticité.
La nourriture du groupe catho y était évidemment pour beaucoup, ainsi que la présence dans l'école- même des copains de ce groupe ; un peu d'amitié sur place ne nuisait pas, au contraire, pour vivre les moments difficiles.
Et nous commencions ensemble ce qui fut, toute notre vie de chrétiens laïques, notre « double fidélité », à l'Église et à l'École Publique.
« L'athéisme est nécessaire au christianisme,
il me garde en éveil en permanence,
et m'oblige à ne jamais renoncer
à la passion de comprendre. »
Ainsi parlait Gabriel Ringlet (*), en 2002, aux instituteurs chrétiens des Équipes Enseignantes, mouvement dans lequel je m'insérai tout naturellement avec les amis du groupe catho de l'École Normale.
Car c'est bien par là que je suis passé, et ma conversion a été construite par ces trois éléments, que je résume un seul mot :
LES RENCONTRES.
21 mai 2008
(*) Gabriel Ringlet est Professeur de Communication, Recteur à l'Université catholique de Louvain-La-Neuve, auteur de plusieurs ouvrages.