Les chrétiens ont-ils « quelque chose » en plus ?

Publié le par Garrigues

Voici qu'un ami me met sous les yeux un passage du rapport PROPOSER LA FOI DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE, plus connu sous la dénomination de RAPPORT DAGENS (Conférence des Évêques de France, 1994) :
"Qu'il s'agisse des responsabilités exercées dans l
'Église ou dans la société civile, un trait est commun aux croyants : une certaine façon de faire face aux aléas de l'existence, d'être présents aux autres,  de durer dans leurs responsabilités, et de donner à d'autres le goût des responsabilités..."
et me demande ce que j'en pense...

Comment ne pas lui répondre ?

o O o

J'avoue que je comprends la réaction de ces athées qui entendent quelquefois l'expression « nous, chrétiens, avons quelque chose en plus » sous sa forme logiquement inversée : « les non chrétiens ont quelque chose en moins » : ils seraient humainement mutilés. Ce qu'ils ne sauraient accepter !

Ce que je dis là ne vaut bien entendu que dans le cadre d'un échange sincère et sérieux de part et d'autre, entre personnes qui cherchent sincèrement la vérité de leur vie.

Je pense que ce n'est pas en restant dans cette façon de poser la question que l'on peut avancer. Car un athée peut tenir exactement le raisonnement inverse. « Nous avons plus de lucidité que vous. Nous ne vivons pas dans un monde imaginaire et merveilleux. Nous ne croyons pas aux Pères Noël auxquels se réfèrent les croyants de toutes les religions. Nous n'obéissons pas à des autorités qui prétendent parler au nom de Dieu et donc de l'Absolue Vérité. Nous avons un esprit rationnel et critique »... Autant d'appréciations à considérer avec sérieux, même s'il faut les nuancer, car elles ont des fondements sérieux dans la pratique des croyants.

J'ai des amis athées et nous ne nous tenons absolument pas dans ce genre d'échange : « je suis le meilleur »-« non, c'est moi »...

Voici donc ce que je pense.

Avant d'être croyants ou incroyants, ceci ou cela, de telle ou telle « tribu », nous sommes des êtres humains. Nous sommes tous - et également - des êtres humains.

Nous sommes tous semblables par nos structures physiques, psychiques, intellectuelles, etc. Nous avons tous les mêmes besoins physiques et autres, les mêmes désirs essentiels. Nous sommes tous des chercheurs de sens pour nos vies, de valeurs de référence pour nos actions et nos jugements. Et nous sommes tous différents par nos cultures, nos histoires personnelles, nos milieux d'origine, notre personnalité propre...

C'est à partir de ce que nous sommes, de ce que nous changeons, que nous pouvons ou non vivre ensemble de façon féconde pour les uns ET les autres. Nous avons besoin les uns des autres dans cette vie, cette recherche. Car personne ne peut prétendre avoir la Vérité.

On pourrait dire que c'est le désir absolument sincère et sans prétention d'en savoir plus qui caractérise les chrétiens. Oui. Mais il y a alors beaucoup de chrétiens parmi les athées et beaucoup de non chrétiens parmi ceux qui se disent chrétiens. Ce que je crois en effet...

Ce que nous sommes, chrétiens, la Foi qui est la nôtre, vient de notre éducation, de nos choix, de notre expérience, de notre façon de vivre. Si j'étais né ailleurs, dans une autre famille, un autre pays, j'aurais été d'abord « convaincu » de la vérité du bouddhisme, de l'Islam, de l'animisme... ou d'une forme ou une autre d'athéisme. Mais ce que j'ai reçu enfant, ce dont je suis convaincu encore - peut-être parce que mon milieu de vie, mes choix personnels et peut-être... mes aveuglements renforcent mes convictions - ce n'est jamais la certitude. Il n'y a pas de savoir vrai qui ne soit pas passé par le doute. Le doute accompagne toute démarche authentique, religieuse, philosophique ou scientifique. Le doute est un chemin nécessaire vers la vérité. La démarche intégriste selon laquelle on est sur une base inébranlable, on possède un SAVOIR certain et donc LA Vérité (qui peut être religieuse ou antireligieuse), est une forme d'appauvrissement terrible de nos capacités humaines.

L'évolution positive vers plus d'humanité est possible. Elle est exigeante. Être chrétien est-ce être exigeant ? Oui. Mais il y a d es athées aussi exigeants que nous. Cette évolution positive naît dans l'échange entre tous les hommes « de bonne volonté » et non d'un « plus » que NOUS posséderions sans le recevoir des autres, croyants et non croyants. Et réciproquement ; car on est dans la réciprocité. Nous avons besoin les uns des autres au niveau des quêtes qui nous sont communes. Si des croyants et des incroyants ont des quêtes de sens et de repères de même niveau pour leur vie ils ont FORCÉMENT quelque chose à s'apporter les uns aux autres. Et c'est dans l'accueil que nous pouvons rendre cet échange fécond.

Alors, que signifie être chrétien ? Ce n'est pas en assénant des vérités éternelles que Jésus procède dans l'évangile ; car Jésus est humain comme nous. Et il rencontre des êtres humains avec lesquels il donne et il reçoit. Par exemple c'est une païenne de Tyr qui lui apprend que le Salut n'est pas réservé aux juifs. Et un athée aujourd'hui peut très bien nous apprendre que la sagesse, la morale ou même la spiritualité ne sont pas réservées aux chrétiens. Tout simplement il faut nous situer consciemment dans la lignée de ce que le maître spirituel Jésus a inauguré et de ce que ceux qui ont écrit les évangiles en ont compris. Nous sommes des héritiers. Mais pas des gardiens de musée. Il faut réaliser ce que nous avons reçu, en saisir l'esprit et non la lettre, le mouvement créateur et non le passé rigidifié et mort. Ce que nous ne pouvons pas faire si nous nous situons par rapport aux autres hommes comme si nous étions les gardiens d'un trésor enfermé dans une cassette. Trésor auquel ils n'auraient part que s'ils entraient dans notre tribu... notre secte !

L'évangile, la personne de Jésus, ses paroles et ses actions, que nous connaissons à travers des interprétations variées (ce qu'on appelle le Nouveau Testament) sont pour nous un repère. Il faut que nous nous situions clairement nous-mêmes par rapport à Lui. Et pour ce faire il faut accepter que ce soit dans le cadre de notre humanité que nous devions le faire. C'est pourquoi la révélation évangélique n'est pas close et pour chacun de nous à redécouvrir dans l'optique évangélique et dans une volonté lucide d'accueil de l'homme d'aujourd'hui, qui n'est plus de la même culture que celui de la Palestine ou de l'Athènes du temps de Jésus.

Bref, être chrétien c'est être un homme ou une femme comme les autres qui dispose d'un repère : Jésus et l'évangile. Un être humain qui est en débat et en dialogue avec les autres hommes, en cherchant à être lucide sur ce qu'il croit et ne croit pas, sur ce qu'il sait et ne sait pas, sur le sens qu'il pense juste et celui qu'il rejette. Non pour en faire une certitude à imposer, mais le point de départ d'un échange au cours duquel il pose l'hypothèse que son interlocuteur, lui aussi, a quelque chose à apporter et quelque chose à recevoir.

Le croyant n'a pas « quelque chose » de plus que l'incroyant. Il a une façon personnelle de penser et de vivre, comme l'incroyant à la sienne ; et nous avons les uns et les autres à donner et recevoir. C'est ainsi qu'ensemble, dans un échange rigoureux et exigeant de part et d'autre, nous progresserons en connaissance et en réalisation de plus d'humanité.

C'est en refusant ce dialogue, soit par scepticisme et tolérance « molle » (tout le monde a raison), soit au contraire par intégrisme et intolérance, que nous faisons reculer l'humain et la recherche de la vérité et du sens.

Jean Riedinger

Publié dans Réflexions en chemin

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M
Cet article me concerne, comme incroyant; et je me sens concerné!<br /> En fait, si je suis d'accord avec ce qui est dit, je n'y trouve pas une/la signification profonde au fait "d'être" tout court.<br /> Non pas que je veuille réduire la foi (ou l'athéisme?) au simple fait d'être; et donc d'enlever toute réflexion, tout doute, toute culture de la construction de l'être; mais il me semble qu'il y a des valeurs qui constituent l'individu et qui dépassent le croyant comme le non croyant (à prendre dans le sens qu'on veut!).<br /> Chacun dans son propre parcour de vie, se met au service de Dieu ou de "rien du tout", d'un absolu; en tous cas pas de l'athéisme.<br /> Je n'imagine pas que l'athée, c'est l'antimatière de la foi. Je me rends compte, après votre lecture, de l'énorme nuance qu'il y a , à mes yeux, entre athée et incroyant .<br /> <br /> Continuez bien dans votre oeuvre de réflexion et de publication; elle apporte beaucoup.
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F
interessant tout ça. Conclusion: il n'y a peut ^tre de fait entre croyants et non-croyants qu'une différence qui touche au choix de croire ou non, et cela relève de chacun, dans le respect de son parcours, de son histoire, de sa recherche. Par contre, un constat, cette décision amène à une posture face à la vie reçue d'un Autre par les autres qui a des conséquences sur beaucoup, rien que dans le rapport au quotidien... sans pour autant affirmer que ce soit mieux ou moins bien. Enfin pour ma part, ce que j'aime dans tout cela, c'est qu'il y a de la place pour tout le monde!
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