États-Unis, Allemagne, Italie : les difficultés du pape François

Publié le par Garrigues et Sentiers

Il n’y a pas qu’en France que l’Église doit affronter des « turbulences ». Aux États-Unis, en Allemagne, en Italie, elle montre aussi des signes de fébrilité, certes pas tous du même ordre, mais qui en disent long sur l’état d’esprit d’ecclésiastiques qui souhaitent que rien ne change.

La Conférence épiscopale des États-Unis vient d’élire une nouvelle présidence. Après le mandat de l’archevêque de Los Angeles, José Horacio Gomez, de l’Opus Dei, organisation ultraconservatrice et soupçonnée de dérives sectaires, les évêques nord-américains ont choisi l’archevêque aux Armées, Timothy Broglio, pour présider leur conférence. Signe particulier : c’est un évêque anti-François.

Un adversaire aux États-Unis

Timothy Broglio, 70 ans, a mené une carrière ecclésiastique à Rome. Dans les années 1990-2000, il fut le secrétaire particulier du cardinal Angelo Sodano, alors secrétaire d’État de Jean Paul II, grand protecteur des Légionnaires du Christ et de leur fondateur Marcial Maciel, pédocriminel en série. Décédé au printemps dernier, Angelo Sodano est considéré comme un «  modèle de corruption au Vatican » ayant couvert et étouffé les pires abus. Interrogé sur cette période et sur ce qu’il savait des turpitudes des Légionnaires du Christ, entre autres, Timothy Broglio n’a pas caché sa satisfaction du devoir accompli.

Le nouveau président fut nonce apostolique (ambassadeur du Saint-Siège) en République dominicaine et délégué apostolique à Porto Rico (2001-2007). Dans cette dernière île, il a promu sur le siège d’Arecibo Daniel Fernández Torres, un évêque qui fut destitué par François en mars dernier en raison de ses positions anti-vaccins.

Promu archevêque aux Armées aux États-Unis en 2007, Timothy Broglio a, du reste, soutenu en octobre 2021 des militaires refusant les vaccins contre le SARS-CoV-2 pour des raisons religieuses, indiquant que « personne ne devrait être forcé de recevoir un vaccin Covid-19 si cela viole le caractère sacré de sa conscience ».

Par ailleurs, il s’est aussi illustré par ses positions très conservatrices et controversées. Ainsi en 2018 assurait-il dans une lettre qu’il ne fait « aucun doute que la crise des agressions sexuelles commises par des prêtres aux États-Unis est directement liée à l’homosexualité ». D’après le chroniqueur de NCR Michael Sean Winters,« Broglio est obsédé par l’homosexualité ».

Anti-François et anti-vaccins

C’est, d’une certaine façon, un bras d’honneur qu’ont envoyé les évêques américains au pape en élisant ce président. Pour que cela soit encore plus clair, ils ont élu comme vice-président William Lori, archevêque de Baltimore, qui a longtemps combattu l’Obamacare en raison de l’obligation faite à l’Église, comme employeur, de rembourser l’IVG, et qui patronne les Chevaliers de Colomb, un mouvement conservateur catholique de bienfaisance, gros financeur du Vatican.

Mieux, l’épiscopat des États-Unis a élu comme numéro 3 de cette conférence, qui fait office de secrétaire général, l’archevêque d’Oklahoma City, Paul Coakley. Préféré au cardinal-archevêque rédemptoriste de Newark, Joseph Tobin, un proche du pape argentin, Paul Coakley a soutenu en 2018 l’ancien nonce aux États-Unis, Carlo Maria Vigano, lequel dans un témoignage a appelé à la démission du pape en raison de sa supposée couverture des agressions sexuelles de l’ex-cardinal McCarrick.

Les polémiques sur l’accession aux sacrements du président Joe Biden et de l’ancienne speaker de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, en raison de leur soutien à l’IVG, devraient donc se poursuivre au sein de la communauté catholique aux États-Unis.

Velléités de nouvelle réforme en Allemagne

En Allemagne, la Conférence des évêques était en visite ad limina apostolorum du 14 au 18 novembre dernier. Cette visite était attendue et redoutée en raison du chemin synodal entamé outre-Rhin en 2019 à la suite des agressions sexuelles. La Curie romaine voit en effet d’un mauvais œil les premières propositions de réformes des catholiques allemands en vue d’éradiquer les agressions sexuelles au sein de l’Église : nouveau processus de désignation des évêques, fin de l’obligation du célibat des prêtres, possibilité d’un clergé féminin et marié, révision des positions de l’Église sur l’homosexualité et la sexualité, répartition autre des pouvoirs…

François lui-même se montre peu amène, et craint de voir l’Église en Allemagne devenir une Église protestante, alors qu’il a encouragé les Allemands à entreprendre un synode et leur a même écrit une lettre en juin 2019, où il les met certes en garde, mais ne les freine pas.

De fait, chacun campe sur ses positions. La Curie ne veut entendre parler d’aucune réforme. Elle avoue craindre que de tels changements se « propag[ent] dans d’autres pays ». C’est, du moins, ce qu’ont expliqué aux évêques allemands le secrétaire d’État, Pietro Parolin, Marc Ouellet, préfet sulpicien du Dicastère pour les évêques et Luis Ladaria Ferrer, préfet jésuite du Dicastère pour la doctrine de la foi. Marc Ouellet est allé jusqu’à proposer un « moratoire » sur le chemin synodal, refusé par la plupart des évêques allemands.

Par ailleurs, le cas du cardinal-archevêque de Cologne, Rainer Maria Woelki, soupçonné d’avoir géré avec légèreté des cas d’agressions sexuelles, et aujourd’hui accusé de parjure, n’est toujours pas réglé. « Acquitté par ses avocats » dans un rapport publié en 2021, il a pris six mois de repos jusqu’au printemps dernier. Mais la majorité de ses confrères, du clergé diocésain et des laïcs de Cologne, ne lui font plus confiance et réclament sa démission. Celle-ci est jusqu’à présent refusée par François, lequel ne veut pas agir sous la pression.

Le président de la Conférence épiscopale allemande, Georg Bätzing, évêque de Limbourg, a néanmoins déclaré « rentr[er] à la maison avec une certaine inquiétude », quoique « soulagé » par les rencontres qui ont eu lieu avec le pape et la Curie. Mais le chemin synodal est sérieusement grippé.

En Italie, désaccord sur la méthode face aux agressions sexuelles

En Italie, la Conférence des évêques présidée par le cardinal-archevêque de Bologne, Matteo Zuppi, membre de Sant’Egidio et vu comme un possible successeur du pape jésuite, a décidé de s’attaquer aux agressions sexuelles. Ma non troppo. Les évêques italiens, en effet, veulent traiter des cas apparaissant depuis le début des années 2000 et ne pas remonter plus loin. Dans un rapport présenté le 17 novembre dernier, ils révèlent que, en vingt ans, 613 dossiers ont été envoyés au Dicastère pour la doctrine de la foi ; pour la période 2020-2021, ils relèvent 89 victimes (dont 61 mineurs).

Deux jours plus tard dans un colloque, l’évêque en charge de ces dossiers, Lorenzo Ghizzoni, archevêque de Ravenne, s’en prenait vivement à la Commission indépendante sur les agressions sexuelles dans l’Église française, la Ciase, et à ses méthodes. D’après La Croix, ce prélat ne souhaite pas « de projection de données ou d’échantillonnage comme l’ont fait d’autres réalités ecclésiales avec des chiffres qui n’attirent que ceux qui veulent semer la zizanie […]. Nous n’allons pas créer une commission nationale unique composée de personnes qui ne connaissent rien à la vie de l’Église, qui ne sont qualifiées d’objectives que parce qu’elles ne sont ni évêques, ni prêtres, ni croyantes. »

En réaction à ces propos, le docteur en sociologie et chercheur à l’Inserm Josselin Tricou, qui a participé à l’enquête pour la Ciase, précise : « Ce que ne comprennent pas tous ceux qui freinent des quatre fers, c’est que se saisir de la Ciase comme d’une figure repoussoir pour maintenir l’omerta, sans comprendre que les temps ont changé et que les victimes ne se laisseront plus faire, risque de produire un effet inverse à l’effet escompté : accélérer la mise en place de mesures plus indépendantes et effectives en décuplant la détermination des victimes. Elles ne lâcheront pas. Ce genre de sortie de piste leur donne encore plus d’énergie pour agir. »

De fait, les victimes italiennes parlent de ce rapport des évêques italiens comme d’une « blague ». Le jésuite Hans Zollner, président de l’Institut de protection des mineurs de l’université pontificale grégorienne et membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, n’est sans doute pas loin de penser la même chose. En octobre dernier, il confiait à La Vie que « l’approche de la Ciase permet d’avoir une idée de l’ampleur du phénomène » des agressions sexuelles, notant que la méthode de la Commission Sauvé est celle« à laquelle l’OMS a recours pour ses enquêtes épidémiologiques. »

François prisonnier des épiscopats conservateurs

Ces trois exemples – nord-américain, allemand et italien – montrent combien le cléricalisme est bien ancré, que ce soit dans les Églises locales (aux États-Unis et en Italie) ou à la Curie (concernant l’Allemagne). Dans ces trois cas, des ecclésiastiques se comportent comme s’ils étaient les propriétaires de l’Église.

Aux États-Unis, la grande majorité des évêques nommés sous Jean-Paul II et Benoît XVI demeurent opposés à François, qu’ils jugent trop libéral, voire communiste. Certes, depuis 2013, le pape tente de recomposer cet épiscopat, mais l’élection de Timothy Broglio à la tête de la conférence épiscopale nord-américaine prouve qu’il a échoué.

Avec les évêques allemands, c’est la Curie qui n’imagine pas sérieusement entreprendre le train de réformes réclamé par les catholiques. Pour ces prélats romains, ces réformes, pour partie, valideraient – si elles étaient mises en œuvre – les intuitions de Martin Luther 500 ans après la Réforme. Elles dédiraient de façon majeure les évolutions catholiques ultérieures, dont certaines sont à l’origine directe des agressions actuellement en train de faire imploser le système. C’est du moins ce que laisse entendre l’argument sur une Église catholique en Allemagne supposée devenir protestante.

Enfin, en Italie, le refus d’une enquête sérieuse sur les agressions sexuelles démontre combien cet épiscopat particulier est ankylosé par sa dépendance au pape. Par ailleurs, le poids de l’Église en Italie est tel qu’une enquête de type Ciase ferait sans doute s’écrouler pour de bon tout le système romain. C’est la raison pour laquelle les évêques italiens préfèrent rester en surface et ne pas chercher en amont des années 2000.

Ces trois pays causent des difficultés au pape qui, s’il dénonce le cléricalisme à tous les étages, demeure prisonnier des épiscopats conservateurs et de sa Curie comme une araignée au milieu de sa toile. Reste bien sûr le synode sur la synodalité convoqué à l’automne prochain et prolongé jusqu’en 2024 pour contourner ces obstacles. Mais au regard de ces derniers exemples, de plus en plus de chrétiens ne se font plus guère d’illusions et craignent que ces deux assemblées ne soient que des coups d’épée dans l’eau.

Gino Hoel

Sources : https://www.slate.fr/story/237023/pape-francois-difficulte-eglise-catholique-conservatismes-italie-allemagne-etats-unis-agressions-sexuelles

https://nsae.fr/2022/12/08/etats-unis-allemagne-italie-les-difficultes-du-pape-francois/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=newsletter-nsae_97

Publié dans Réflexions en chemin

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