Suicide de Versailles : en attente d’une parole vraie

Publié le par Garrigues et Sentiers

Après le suicide du père François de Foucauld, nous avons repris sur notre blog l’article publié par René Poujol sur son propre blog Cath’lib, Après le suicide d’un ami prêtre

Après les obsèques de François de Foucauld, René Poujol est revenu sur le sujet dans un autre article que nous reprenons également.

G & S

 

Le « temps du deuil » ne viendra que lorsque des réponses auront été apportées aux questions que chacun se pose 

Le suicide du père François de Foucauld a été ressenti avec une violence particulière parmi les catholiques de France, bien au-delà des frontières de son diocèse. Les commentaires des réseaux sociaux ont pu, comme souvent, nourrir de regrettables raccourcis au regard d’une réalité forcément complexe. Pour autant, sur ce qu’il est convenu d’appeler abus de pouvoir dans l’Église, nombre de témoignages, souvent de prêtres, sont venus à l’inverse nous aider à éclairer cette complexité. Encore faut-il ne pas jeter le soupçon sur ceux qui les formulent. Oui, il y aura un avant et un après le 1er juillet 2022, ce jour où un prêtre ami qui allait avoir 50 ans a choisi de se donner la mort en forêt de Rambouillet. 

La nouvelle de la mort par suicide de François de Foucauld est tombée au matin du 1er juillet, au travers d’un communiqué laconique de l’évêché de Versailles. J’ai moi-même rendu hommage à François, qui était un ami, sur mon fil Facebook, dès le lendemain. Trois jours plus tard, après avoir enquêté tant auprès d’amis du prêtre que de proches de l’évêché, je publiais sur mon blog un billet titré « Après le suicide d’un ami prêtre ». A ce jour, il a été lu par 13 500 personnes et partagé plus de 1 600 fois sur Facebook. En onze ans de tenue ce blog, cela ne m’était jamais arrivé (1). Le plus impressionnant pour moi, plus que le nombre et la tonalité des commentaires, entre sidération, compassion et colère, a été le flot de messages privés reçus via Messenger ou par mail. La plupart témoignaient de leur gratitude à mon égard pour avoir su dire les choses « avec franchise et pondération » là où la presse, y compris catholique, se faisait encore discrète… Quelques-uns, néanmoins, m’invitaient à « la plus grande prudence » au regard d’une réalité « plus complexe qu’il n’y paraît » sans pour autant m’éclairer sur ladite complexité… 

Des prêtres témoignent spontanément de leur souffrance

Mais ce qui m’a le plus frappé est la spontanéité du témoignage de plusieurs prêtres, se disant eux-mêmes en souffrance. Des amis, connus pour leur engagement contre toutes les dérives dans l’Église, ont été, eux aussi, destinataires de semblables confidences. D’anciens collègues également qui les ont publiés sur les réseaux sociaux. Certains de ces correspondants m’ont adressé des documents à première vue accablants pour leur hiérarchie. Même si les motivations de chacun doivent être interrogées ceci interpelle toute la communauté catholique et bien sûr, en premier lieu, le collège des évêques. Lorsque des prêtres en viennent, à la faveur d’un drame qui prend une ampleur nationale à choisir pour interlocuteur un simple blogueur catholique, même ayant pignon sur rue, ou d’autres acteurs de la lutte contre les dérives dans l’Église, présents sur les réseaux sociaux, parce que le monde ecclésiastique où ils baignent se montre sourd, on peut dire qu’il y a problème. 

Une invitation ambiguë à respecter le temps du deuil

Pouvais-je – devais-je – faire état sur ce blog de ces confidences, parfois des correspondances privées, même si leurs auteurs m’y autorisaient ? Surtout lorsqu’ils étaient en lien direct avec le drame qui venait de se jouer ? À écouter certains, il eut fallu, sur le contexte de ce suicide et les questions qu’il soulevait, faire silence jusqu’aux obsèques, par respect pour François de Foucauld ; puis faire silence au lendemain des obsèques pour « respecter le temps du deuil » de sa famille, de ses proches et d’un diocèse meurtri ; et sans doute faire encore silence à l’avenir, lorsque ce temps du deuil serait consommé, pour ne pas rouvrir inutilement des plaies douloureuses qui ne demandent qu’à cicatriser…

Je ne connais pas meilleure manière de jeter un voile pudique sur une réalité qui dérange et que l’on se refuse à regarder en face. Les responsables de notre Église ont-ils bien pris la mesure de l’événement ? Il ne sert à rien de stigmatiser les réseaux sociaux, même lorsqu’ils se font accusateurs. Toutes les questions formulées à l’occasion de ce drame ne sont pas des questions malveillantes ou hostiles à l’institution ecclésiale, loin s’en faut. Elles disent simplement que les fidèles ne veulent plus, ne peuvent plus se satisfaire du silence. 

Il est possible que d’ici quelques jours, le diocèse de Versailles décide de s’expliquer enfin… Sauf que l’opinion publique catholique – dont l’existence et la légitimité sont reconnues par le code de droit canonique – ne demande pas au diocèse de « communiquer » unilatéralement mais de répondre aux questions soulevées, dont certaines ont surgi du sein même de son corps presbytéral. Et si le débat fait ainsi irruption dans la société, hors des cadres ecclésiaux – ou sur un blog catholique hors tutelle ecclésiastique – n’est-ce pas parce que l’institution a été à ce jour incapable de l’organiser en son sein ? Qu’elle le veuille ou non, que certains le déplorent ou s’en réjouissent, l’Église n’est plus, en la matière, « maîtresse des horloges ». 

Si certains acceptent d’assumer une parole publique, c’est bien pour qu’elle soit entendue

Mercredi 13 juillet, le collectif Saint-Michel Saint-François, lancé par Nicolas Jourdier, ami de François de Foucauld, pour recueillir des témoignages d’abus de pouvoir dans l’Église, et qui a reçu trois-cent cinquante adhésions en deux jours (1 300 au 11 juillet), organise à Paris une première rencontre pour arrêter un plan d’action : « Aujourd’hui, écrit-il, je veux me tourner vers l’avenir et réfléchir calmement avec les personnes de bonne volonté, pour éviter que de tels drames se reproduisent. » Il n’y aura donc pas de respect du « temps du deuil », tant il est vrai que si des témoins, de toute la France, se font connaître et acceptent d’assumer publiquement une parole, c’est bien pour qu’elle soit entendue « à temps et à contre temps ». Et pour que l’Église, enfin, en tienne compte ! 

Une homélie interrompue par des cantiques…  

Vendredi 8 juillet, l’église Sainte-Marguerite du Vésinet où se déroulaient les obsèques priantes et recueillies de François de Foucauld, a connu exaspération et révolte. Certains participants ayant eu le sentiment qu’on tentait de leur « vendre » une lecture officielle de la disparition du prêtre. Si le mot d’accueil du père Etienne Guillet, ami du défunt, qui présidait les obsèques au nom de Mgr Crepy, a été bien accueilli par son humanité et sa justesse de ton, l’homélie de Mgr Philippe Brizard, pourtant ami de la famille, a été brutalement interrompue par une intervention de la chorale et désavouée par la sortie de quelques fidèles. Était-il opportun – et juste – dans un tel contexte, que le prédicateur fasse mention de l’extrême prévenance des deux évêques successifs de François à son égard, au moment où précisément elle est mise en doute ; qu’il évoque ses « difficultés avec l’autorité quelle qu’elle soit » ou sa « faiblesse psychologique » ? Était-il opportun, en fin de célébration, de couper le micro à l’oncle du défunt se faisant accusateur sous les applaudissements nourris de l’assistance ? On peut trouver cela triste et regrettable ! Mais cela traduisait d’évidence quelque chose d’un climat qui ne va pas s’apaiser comme par enchantement.  

Des paroles accusatrices qu’il faut savoir écouter plutôt que discréditer

On le sait, dès l’annonce du suicide, l’ami d’enfance de François de Foucauld, Nicolas Jourdier, avait porté la première accusation : « François a été victime d’un abus de pouvoir et d’une contrainte au silence. » Quelques jours plus tard, à la veille des obsèques, un prêtre du diocèse de Versailles, le père Thierry de Lastic, commentait sur le site de La Croix : « La vraie question n’est pas de savoir si François était un « bon » ou un « mauvais » prêtre, s’il était innocent ou coupable, s’il était ouvert ou fermé … La vraie question est de savoir si sa dignité d’homme et de prêtre a été respectée dans le conflit qui l’opposait à sa hiérarchie. La réponse est clairement : non ! » L’un et l’autre étaient finalement en profonde résonance avec les propos de François de Foucauld lui-même, dans sa tribune à la Croix publiée sept mois avant son suicide, dont on doute que la tonalité soit celle d’un « gourou ayant des troubles psychiques » comme l’accusation en a été portée et rapportée. Il y écrivait : « On fait passer la victime pour une personne fragile, on l’accuse de troubles psychiques. Ces accusations par l’émoi qu’elles suscitent, dispensent la hiérarchie de l’Église comme les proches des victimes, de toute évaluation objective de ces fameux troubles. La seconde étape est alors facile : la victime étant sortie hors du cercle de la raison, et son entourage anesthésié ; l’évêque et son conseil peuvent alors procéder sans contrôles à toutes décisions à son sujet. Elle n’est plus une personne aimable ou de droit. Elle devient juste une chose, un dossier à régler. »

Ces derniers jours, des « messagers » ont tenté de me convaincre que ces propos étaient peu fiables, car émanant de personnalités complexes (litote) ayant finalement toutes quelques comptes à régler. Et qu’il serait prudent et responsable de ma part de ne pas m’en faire l’écho voire de les supprimer des réseaux sociaux où je les avais partagés. J’ignore si Nicolas Jourdier, Thierry de Lastic et François de Foucauld posent le bon diagnostic concernant le diocèse de Versailles et plus largement la culture de l’abus de pouvoir dans l’Église catholique. Mais chacun ressentira sans doute, comme moi, qu’il y a dans leurs propos une réflexion mûrie de l’expérience de chacun, formulée parfois avec la violence de la colère, qui vaut sans doute mieux que le silence abyssal qui entoure ces questions depuis des années et qui justifie qu’aujourd’hui certains prennent le risque de parler « hors les murs ». Pour que leur parole enfin écoutée contribue, à sa manière, au sursaut nécessaire !

Une béance qui ne sera pas refermée en un jour… 

Je l’ai dit, ce suicide de François de Foucauld, quels qu’en aient été les ressorts ultimes dont il a emporté le secret dans la tombe, marquera « un avant et un après ». L’expression est devenue commune sinon triviale. Ici elle a du sens. Ne faisons pas dire à celles et ceux qui se sont exprimés, avec une violence parfois injuste sur les réseaux sociaux, ce qu’ils n’ont pas voulu dire, pour mieux délégitimer leur colère. Et ne nous trompons pas de combat. Je ne crois pas qu’il faille exiger de l’Église une totale transparence dans ses décisions. Toute institution a droit à la discrétion, à la confidentialité et pourquoi pas, au secret ! Mais dans le respect intransigeant des personnes et de ses modes de fonctionnement propres qui ne peuvent être discrétionnaires.

Or, trop de témoignages reçus ces jours derniers – et qui continueront à se faire connaître – illustrent, sans conteste possible, un manque d’écoute et de dialogue, au nom d’un pouvoir hiérarchique et sacré, qui génère chez beaucoup : prêtres, diacres, religieux, laïcs engagés ou simples fidèles, une forme de défiance là où la confiance devrait être une règle communément admise. Il y a là une béance qui ne se refermera pas en un jour. Ni ne pourra être pudiquement occultée par simple décret épiscopal. 

René Poujol

(1) Je veux dire en un délai aussi court. Certains billets concernant le livre Le silence de la Vierge ou encore Les focolari et quelques autres ont largement dépassé ces chiffres mais sur la durée.

Source : https://www.renepoujol.fr/suicide-de-versailles-en-attente-dune-parole-vraie/

Publié dans Réflexions en chemin

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