À l'écoute de la Parole de Dieu
Dimanche des Rameaux et de la Passion 10 avril 2022
Ev Lc. 19, 28-40 ; Is. 50, 4-7 ; Ps 21 ; Ph. 2, 6-11 ; Passion selon saint-Luc (22, 14-23, 56)
Cette cérémonie des Rameaux me rappelle une réaction d’enfant : « Je n’aime pas les Rameaux, c'est long ! » Je n'osais pas lui dire que je partageais ses craintes. Depuis j'ai évolué : car le récit de la Passion est, pour moi, un des grands récits de l’humanité comme l'Odyssée et d’autres chefs-d'œuvre humains. Car c'est un document d'humanité qui parle de l'homme, de l’homme Jésus et de Dieu. C’est une aventure humaine avec une foule de personnages, leurs ambiguïtés, leurs lumières et ombres, courages et lâchetés.
D’abord, les « pro-Jésus », les disciples : ils ne sont pas très brillants ; pourtant, Luc est moins sévère pour eux que Marc. Déjà, avant la Passion, quand Jésus annonce qu’un des leurs va le trahir, Ils commencent à se soupçonner les uns les autres (Lc 21) et se querellent en se jalousant pour une question de pouvoir : ils se demandent qui sera le plus grand ! La guerre des chefs continue au moment où Jésus pressent sa mort de plus en plus proche. On croit rêver !
Chez Luc, à la différence de Marc et de Matthieu, les disciples assistent tous à Gethsémani mais ils ne sont d’aucun secours à Jésus qui avait besoin de réconfort ; ils sont « assoupis de tristesse », détail que Luc est le seul à signaler. On comprend leur désarroi quand ils sentent l’angoisse de leur chef dont Luc est le seul à noter que celle-ci se traduisait, malgré la présence d’un ange pour le réconforter « par des caillots de sang qui tombaient à terre » (Lc 22, 43).
Pierre est toujours sympathique dans sa spontanéité « primaire ». Parce que Jésus lui confie de remonter le moral des apôtres (22, 31), il se croit déjà le disciple parfait qui donne sa vie pour son maître. « Je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort » : Jésus calme ses ardeurs en lui annonçant son reniement tout proche. Déjà à Gethsémani, avec les autres disciples, Pierre n'avait pu tenir une heure, envahi par la « tristesse » que Luc est seul à mentionner, ainsi que, au moment de la trahison, le regard de Jésus (Lc 22, 61) À ce regard, « Pierre pleura amèrement ». Puis comme les autres, il s’enfuira. Quiconque a été vraiment confronté à la violence ne peut leur reprocher leur attitude. Qui peut savoir le comportement qu’il aurait devant la violence et la brutalité ? Tout le monde n’est pas Zelensky !
Judas a trahi, peut-être pas uniquement pour des questions d'argent. Certains pensent, d’après son nom, qu’il était proche des sicaires prêts à se battre pour chasser les romains de Palestine. Il ne supportait pas que Jésus ne saisisse pas sa chance d’être un leader révolutionnaire au lieu de se laisser prendre comme un looser. Ce ne sont que des hypothèses pour Judas, mais cette opinion politique était partagée par une frange de la société juive.
Luc est le seul à mentionner la rencontre de Jésus et des femmes sur le chemin de croix (Lc 23, 27-31). Il rappelle qu’elles avaient suivi Jésus depuis la Galilée (en grec, sunaccolountai, « accompagner sur la route ») : il utilise le même terme que pour les disciples. Elles sont présentes en pleurs. Dans cette rencontre, Jésus a une parole très dure aux femmes pour leurs enfants, donnant le sens du drame qui se joue (Lc 23, 27–31). Elles seront présentes à la croix. Et c'est à elles en premier que Jésus ressuscité apparaîtra et les enverra annoncer aux disciples sa résurrection.
Luc ne parle pas de la présence de Marie à la passion mais il est évident, et nous le savons par Jean, qu'elle a suivi avec toute la sensibilité d'une mère les étapes de la passion, de la résurrection, sa douleur devant la mort de son fils et sa foi, c'est-à-dire qu'elle le savait innocent et que Dieu n'allait pas l'abandonner. Peut-on en dire plus ? Luc (Actes 1, 14) montrera Marie assidue à la prière avec quelques femmes, les frères de Jésus et la communauté des disciples.
En face, grenouille tout le personnel politique et religieux. Luc insistera sur les tentatives de Pilate pour sauver Jésus (23, 22). Mais par lâcheté, il n’ira pas jusqu’à risquer sa carrière pour ce trublion inconnu, il cède et libère Barabbas. Hérode se réjouit parce qu’il allait enfin voir ce condamné dont il avait entendu parler (c’est cette même curiosité morbide qui attirait les foules au spectacle des exécution par la guillotine). Les grands-prêtres, les chefs du peuple, le conseil des Anciens, scribes, tous sont présents, sauf les pharisiens dont Luc ne parle pas. Par contre, Luc avait signalé la présence de pharisiens dans la foule qui acclame Jésus. Luc présente tout ce beau monde (non pas les Romains), comme les véritables responsables de la mort de Jésus par haine politique et religieuse.
Et il y a la foule versatile qui l’avait acclamé peu de temps avant. Luc avait insisté sur le caractère messianique de cette entrée à Jérusalem (Lc 19, 37) par les cris de joie de la foule des disciples.
Dans cette foule anonyme, certaines personnalités se détachent : Simon de Cyrène, un paysan qui revenait des champs, sans doute un homme fort à qui on n’a pas dû demander son avis. Il n’est sans doute pas suffisamment élevé dans l’échelle sociale pour refuser. Il est ainsi, d’une certaine façon, le premier qui « porte la croix » derrière Jésus (Lc 23, 26.)
Luc est le seul à distinguer les « deux larrons », « le bon et le mauvais » (Lc 24, 39), pas des enfants de chœur non plus. Mais le premier s’enfonce dans sa dureté de cœur. L’autre est le premier croyant : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ». Claudel admirera le désarroi de ce bon larron dans un paradis vide ! Un centurion romain, présent par sa fonction, « glorifie Dieu en disant : Sûrement cet homme était un juste ! » Survient à la fin un membre du conseil, Joseph d’Arimathie, « homme droit et juste » Un homme courageux « qui ne s’était pas associé ni aux desseins ni aux actes des autres » (Lc 24, 50). En osant réclamer le corps de Jésus à Pilate, il risquait sa réputation et peut-être même sa vie. Des « justes » existent partout.
Histoire des hommes, histoire de Jésus, homme Dieu. On imagine ce que durent être pour lui ces derniers jours : Lui qui a connu le succès des foules, il a connu la peur de la traque. Il aurait pu fuir mais il restera fidèle jusqu’au bout à sa mission. Sa colère, lors de l’épisode des vendeurs chassés du temple le montre comme un prophète indigné de voir comment la religion et ses rites dénaturent l’annonce du Royaume et défigurent le visage du Père. C’est en partie pour ce geste qui touche à la fois l’économie et la religion que les autorités le feront condamner à mort. Chez Luc, les dernières paroles de Jésus résument bien toute sa vie : « Père, dans tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46).
Histoire de Dieu : celui qui est le plus « révolutionnaire » dans ce récit, c’est Dieu tel qu’il apparaît, avec sa signature. Un Dieu qui n’est pas du côté des puissants, des juges, mais des esclaves et des serviteurs. Il n’est pas seulement « du côté de », il est réellement un Dieu « fou d’amour » qui donne sa vie pour des hommes qui vont le tuer. Toutes nos représentations de Dieu explosent : non le dieu Tout-Puissant, mais le Dieu d’en bas selon l’expression de Maurice Bellet. C’est l’inverse de toutes nos représentations de Dieu. C’est justement en cela qu’il est le dieu des vivants, qui donne la vie, qui donne sa vie.
Pour nous qui relisons ces textes ou les réentendons, ne les prenons pas comme un récit historique à la recherche de chaque détail, mais comme un récit de foi de la première communauté croyante. Comment ne pas se sentir frères de toute notre humanité, avec sa grandeur et ses petitesses ? Comment ne pas se demander dans quel camp nous aurions été ? dans quel camp nous sommes ? avec quel comportement ? Non pas pour nous laisser envahir par la culpabilité mais au contraire pour se laisser convertir par l’attitude de Dieu qui bouscule toutes nos représentations. Laissons-nous envahir par la joie de d’être de ce peuple de frères humains et de cette famille plus restreinte de croyants dont la vie est transformée par ce Dieu qui donne sa vie pour que nous soyons tous des vivants.
Antoine Duprez