Décanonisez-le ! Une tribune de Christine Pedotti et Anne Soupa
Photo : Jean-Pierre Dalbéra (CC BY 2.0)
Cette tribune a été publiée simultanément le 11 mars sur le site de Témoignage chrétien (https://www.temoignagechretien.fr/decanonisez-le/) et, légèrement modifiée, dans la rubrique « Idées » du journal Le Monde daté du 12 mars 2019, p. 30.
Sous un titre volontairement provocant, elle livre une analyse serrée du système idéologique et théologique qui a rendu possible les abus de prêtres sur des religieuses. C’est pourquoi nous en faisons l’écho auprès de vous, amis internautes.
G & S
La journée des droits des femmes de l’an 2019 aura été pour nous, femmes, catholiques ou non, une journée de deuil et d’indignation. Nous crions notre horreur en découvrant le documentaire Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église sur les abus et viols de femmes religieuses par des prêtres (1). Depuis plus de dix ans, quantité de femmes, et en particulier celles du Comité de la jupe, ne cessent de questionner l’Église sur son attitude à l’égard des femmes, recueillant des réponses condescendantes comme celle d’André Vingt-Trois, alors cardinal, archevêque de Paris, dont il faut rappeler les mots : « Le tout n’est pas d’avoir une jupe, encore faut-il avoir quelque chose dans la tête. »
Nous manquons de mots pour condamner ces prêtres et religieux prédateurs et violeurs qui, en fait de jupes, ont surtout relevé les robes des religieuses. Au motif que celles-ci donnaient leur vie pour « servir », ils se sont eux-mêmes servis, servis sur le corps de ces femmes, niant leurs vœux, leur parole, leur dignité – pourtant si souvent invoquée par l’Église ! –, leur personne même d’être humain libre et responsable de son corps. Entre leurs griffes, ces femmes ont été dépossédées et réduites à une fonction sexuelle, un usage que l’on s’accorde, puis que l’on jette ou que l’on « refile » à un autre pour qu’il « en profite », en toute impunité.
Nous nous indignons du système dans lequel s’inscrivent ces faits. Non, ce ne sont pas de simples abus isolés perpétrés par quelques pervers. Force est de constater qu’ils ressortissent à cette « culture de l’abus », dénoncée par le pape François dans sa lettre du 20 août 2018 adressé au « peuple de Dieu » à propos des abus sur les enfants. Oui, il s’agit d’un système et d’une culture qui nient le corps de l’autre, celui des enfants comme celui des femmes. Ce système s’enracine dans l’entre-soi masculin et se perpétue grâce à l’idolâtrie dans laquelle est tenue la fonction du prêtre.
Mais il y a pire. Il y a le concept que l’Église catholique a forgé et qu’elle nomme « la Femme ». Nous en dénonçons la pauvreté et l’indigence ainsi que la manœuvre de domination qui anime cette vision.
Voix décisive qui a conduit le pape Paul VI à condamner la contraception par l’encyclique Humanae vitae, Jean Paul II, devenu pape, a élaboré une théologie de « la Femme », toujours référée à la figure de la Vierge Marie, figure de silence et d’obéissance. Sous son influence, la « Femme » devient une idée, conçue exclusivement par des hommes – célibataires de surcroît. Son unique vocation, sa raison d’être est d’aider l’homme par le mariage et la maternité ou de servir l’Église dans la chasteté religieuse ; vision sans lien avec les femmes de chair, de sang, d’esprit et d’âme qui constituent, faut-il le rappeler, la moitié du genre humain et au moins les deux tiers des catholiques pratiquants.
Nous osons dire que le premier abus commis à l’encontre des femmes est cette idéalisation, cette tromperie qui masque les discriminations sans nombre dont les femmes sont l’objet dans leur propre Église. C’est sur l’autel de cette femme-idée que sont sacrifiées les vies des vraies femmes.
Dans l’Église catholique, « la Femme » doit répondre à une double vocation : « vierge ou mère ». Elle est assignée à son corps sexué ; son « non-usage » dans la virginité ou son « usage » dans la maternité, sans qu’aucune place soit laissée aux autres dimensions de l’être humain !
Nous dénonçons le mensonge et l’hypocrisie de cette idéologie qui pèse sur nous. C’est elle que révèlent les abus sur les corps des femmes religieuses. Elles ont fait vœu de chasteté et leur parole est violentée en même temps que le corps. Lorsque ces viols conduisent à une grossesse, elles sont avortées de force ou leur enfant est cyniquement abandonné, sur ordre exprès de la responsable de la communauté. La violence faite à leur corps est alors à son comble puisque même la maternité, leur « autre » vocation, leur est interdite.
Ainsi, non seulement les responsables de l’Église catholique imposent à toutes les femmes leur idéologie de « la Femme », mais – aidés par quelques femmes acquises au système – ils violent eux-mêmes les règles qu’ils imposent à toutes.
Notre accusation ne porte pas sur les seuls criminels et violeurs. Elle vise la conspiration du silence qui a entouré ces monstrueux agissements. « On lave son linge sale en famille », dit-on pour justifier la mise à distance des médias et de la justice. Mais ce linge sale est simplement déplacé, sans jamais côtoyer lessiveuse ou savon. Serait-on dans une armée qui gère son BMC (bordel militaire de campagne) comme un moindre mal ?
En ce 8 mars, fortes de l’Évangile et de l’attitude de Jésus lui-même à l’égard des femmes, nous réaffirmons les droits imprescriptibles des femmes, qui sont ceux de tout être humain, partout et spécialement dans l’Église.
Nous demandons la décanonisation du pape Jean Paul II, protecteur des abuseurs au nom de la « raison d’Église » et principal artisan de la construction idéologique de « la Femme », ainsi que l’interdiction d’enseigner, de propager ou de publier la « théologie du corps » qu’il a prêchée au cours de ses catéchèses du mercredi.
Christine Pedotti et Anne Soupa, cofondatrices du Comité de la jupe
(1) Documentaire de Marie-Pierre Raimbault et Henri Quintin diffusé le 5 mars sur Arte qui a reçu une audience de 1.480.000 téléspectateurs et est encore visible sur le site d’Arte (https://www.arte.tv/fr/videos/078749-000-A/religieuses-abusees-l-autre-scandale-de-l-eglise/).