Contribution de membres de communautés catholiques de Marseille au débat de société ouvert dans notre pays
Nous versons dans notre Dossier n° 36 Notre débat autour du "grand débat national" cette contribution qui est téléchargeable en pdf sur le site https://nd-du-mont.paroisse.net/agenda/contribution-de-membres-de-communautes-catholiques.pdf
G & S
Ce document est la synthèse des rencontres et débats « paroles citoyennes » qui ont réuni les 9 février et 2 mars 2019, dans la salle paroissiale de N.-D. du Mont, une trentaine de membres des communautés catholiques du secteur pastoral Baille-Menpenti-La Plaine qui ont constitué à chaque fois deux ateliers d’une quinzaine de personnes afin de répondre à l’appel à débat lancé au mois de décembre 2018 par la conférence des évêques de France et à celui que le président de la République a adressé aux Français en janvier 2019.
C’est pourquoi une copie en est adressée aux maires de secteurs et aux députés des quartiers Baille-Menpenti-La Plaine, ainsi qu’à l’archevêque de Marseille.
I.- Causes du malaise dans notre société
Le malaise s’est exprimé au travers les « gilets jaunes », qui ne rassemblent que 150 à 200.000 personnes (au plus) pour 43 millions d’électeurs, mais dont le mouvement a rencontré, au moins au début, une large adhésion de l’opinion publique qui a pris conscience d’une fracture sociale inacceptable dans notre pays.
Il y a en effet la France de ceux qui « s’en sortent bien », voire des nantis, une France moyenne composée de travailleurs modestes, parfois syndiqués, et une troisième France faite de ceux qu’on appele les ‘petits blancs’ aux Etats-Unis, qui habitent les campagnes et les périphéries urbaines. Bien que la plupart aient un emploi ou une pension, leurs revenus sont trop bas : « Même sans faire d’extra, on ne s’en sort pas ». La voiture leur est indispensable, ce qui explique que l’augmentation du coût de l’essence et du diesel ait été l’élément déclencheur de leurs manifestations où ce ne sont pas les plus miséreux qui se sont rassemblés : point ou peu de gens du Quart-Monde, d’étrangers ou de Français issus de l’immigrationsur les ronds-points.
L’exaspération de cette « troisième France » est profonde à cause de la surdité, depuis cinquante ans, des gouvernements successifs face aux revendications rurales et péri-urbaines, et elle s’est accrue du fait des maladresses initiales du gouvernement actuel qui n’ont pas peu contribué à lui donner un caractère violent.
Elle tient à divers facteurs :
* Cette « France invisible » se sent délaissée et méprisée ;
* Elle s’indigne de trop d’injustices et d’inégalités sociales : pour les injustices, la quasi-suppression de l’ISF et en même tempsla hausse de la CSG qui a porté (initialement) même sur les petites pensions, ainsi que la réduction de l’allocation logement, par exemple ; pour les inégalités, la liste est sans fin chez les « gilets jaunes », depuis les salaires exorbitants de certains Pdg jusqu’aux avantages des fonctionnaires ou des agents de l’EDF et de la SNCF en matière de retraite, en passant par les salaires et avantages divers des parlementaires…
* Elle a perdu toute confiance dans les « corps intermédiaires », syndicats ou autres, et ne croit plus aux hommes politiques qui, de fait, ont peu de « marge de manœuvre » pour répondre à ses revendications, à cause du libéralisme qui régit la mondialisation et la politique de l’Europe selon la maxime chère à Margaret Thatcher, « TINA :There is no alternative », « Il n’y a pas d’alternative »… ce qui est précisément la négation de la politique !
II.- Dans notre démocratie, qu’est ce qui pourrait permettre aux citoyens de se sentir davantage partie prenante dans la vie publique ?
Le débat a été contrasté à propos des élus : certains pensent que les députés sont trop loin, que les maires de secteur ne sont pas toujours sur le terrain (ainsi, plusieurs ne viennent pas aux réunions des Comités d’Intérêts de Quartier), qu’ils ne sont pas faciles à joindre. Mais d’autres répondent que l’on peut disposer de leurs adresses de messagerie ou de leurs numéros de téléphone : il suffit au citoyen de s’informer un peu pour communiquer avec eux.
Beaucoup, malgré ces critiques, souhaitent donner plus de poids aux maires pour répondre à des aberrations commela limitation à 80 km/h imposée à toutes les routes en France : qui mieux que le maire peut juger des vitesses opportunes sur sa commune, après concertation avec les utilisateurs des voies départementales ou nationales ? De même, le maire peut organiser des enquêtes publiques qui peuvent mobiliser l’intérêt de ses administrés (sur la gestion des écoles et des cantines ou pour consacrer une partie du budget communal à des projets spécifiques, par exemple).
D’autres se montrent plus réservés, soulignant que si l’on veut redonner du pouvoir aux maires, encore faudrait-il qu’ils en soient dignes ! Car dans notre ville où 48 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, il y a deux Marseille, et rien n’est fait – ou si peu – pour réduire la fracture entre elles ! En outre, les suggestions faites aux élus sont rarement prises en compte. Et pourtant, il y aurait tant à faire : songer aux trottoirs qui sont actuellement éventrés dans tous les sens, ce qui est très dangereux, ou encore à ce terrain à l’angle de la rue des Vertus et du boulevard Baille où devait être aménagé une aire de jeu pour les jeunes ; on a construit un grand immeuble à la place… et après, on critique les jeunes ! De fait, Marseille manque cruellement d’espaces pour les jeunes : des ménages renoncent à s’y installer à cause de cela. Mais d’autres rétorquent qu’il ne faudrait pas pousser le tableau trop au noir car il est des maires de secteur qui savent accueillir les suggestions faites par leurs administrés.
Plus généralement, au plan local, pour être écouté, l’individu seul ne peut rien ; il lui faut donc se tourner vers les Comités d’Intérêts de Quartier, souvent plus dynamiques que certains syndicats, ou vers des associations qui peuvent renverser des rapports de force : ainsi à propos de la couverture de la rocade L 2, pour laquelle l’action collective à la Busserine et aux Castors de Servière a cependant été moins efficace qu’à Montolivet : affaire de clientélisme ?
Certains notent pourtant que les syndicats et associations cherchent surtout à avoir des adhérents qui paient cotisation avant de s’intéresser à leurs problèmes : on n’est pas considéré, on n’est pas pris en compte, par exemple dans les syndicats de retraités à Marseille. Il leur est répondu que beaucoup adhèrent pour que l’on règle leurs problèmes personnels, alors que les responsables des associations sont des bénévoles et attendent des retours.
À un niveau intermédiaire, les multiples strates du « mille-feuille administratif » sont-elles nécessaires ? Les Bouches-du-Rhône connaissent présentement une large uniformisation entre Département et Métropole car ne subsistent plus que deux grands pôles, à savoir Aix-Marseille à l’est et Arles à l’ouest. Faut-il supprimer le département ?
Au plan national, plusieurs participants estiment qu’il faut diminuer le nombre des députés et être très strict face au cumul des mandats des élus. Mais la proposition ne fait pas l’unanimité.
D’autres proposent, comme en Belgique, de rendre le vote obligatoire et de prendre en compte le vote blanc : l’élu doit avoir l’humilité de reconnaître qu’il a été élu par un nombre réduit de voix seulement. D’autres encore suggèrent d’introduire une dose de représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale, dont l’importance serait définie par une consultation populaire.
Cette nécessité de recourir régulièrement à des consultations populaires est défendue par certains, qui jugent anormal que les parlementaires soient seuls à décider pendant cinq ans, sans allers et retours avec leurs mandants. Pourquoi ne pas instaurer des votations sur des sujets spécifiques, comme le font les Suisses, ou un referendum d’initiative citoyenne, le RIC des « gilets jaunes » ? Idée qui est cependant refusée par d’autres.
III.- Les principaux sujets qui ont été débattus
Les services publics : qu’en pensez-vous ?
La tonalité générale est celle d’un attachement aux services publics, même si on leur attribue volontiers cette annotation récurrente des bulletins scolaires : « Peut mieux faire ! », en relevant le manque de coordination entre les municipalités à leur propos ou en pointant divers dysfonctionnements.
Ainsi, tel intervenant est très critique en ce qui concerne l’accueil des patients et la vie des infirmières dans les hôpitaux : « C’était beaucoup mieux avant ! ».D’autres relèvent que dans les transports en commun, le service rendu par les chauffeurs peut être insatisfaisant à cause d’une rapidité excessive. Sur quoi certains font remarquer à la décharge des conducteurs que l’organisation de leur travail ne semble pas être de rendre service aux usagers, mais de poursuivre d’autres buts qui vont à l’encontre du service rendu.
Il est souligné aussi que des agents du service public (dans la police, la gendarmerie, l’Éducation nationale en particulier) sont confrontés au manque de respect des personnes envers les détenteurs de l’autorité. Que faire pour qu’elle soit mieux respectée ? Le gouvernement propose pour cela le service civique, mais plusieurs regrettent la disparition du service militaire.
Mais la principale critique porte sur la difficulté d’accès aux services publics :
* En milieu rural, par exemple, où la poste a disparu, les hôpitaux sont loin, il faut obligatoirement avoir une voiture pour en bénéficier. Il n’y a plus de médecins, ni d’infirmières, ni maternités. Or la population vieillit et a besoin de services publics de proximité.
* Et même en ville, on regrette trop de suppressions de guichets et l’obligation de remplir des formulaires électroniques, ce qui est souvent difficile, en particulier (mais pas seulement !) pour des personnes âgées.
* D’une façon plus générale, l’irritation est grande devant l’informatisation des services qui conduit à d’interminables attentes, avec au bout du fil des répondeurs téléphoniques. Or même si l’« humain » coûte cher, il ne faut pas lésiner, comme on le fait en supprimant des travailleurs sociaux dans les CAF, par exemple.
Car tout le monde, migrant ou non, doit avoir accès commodément aux soins, aux remboursements, aux prestations, aux services : il ne peut y avoir de restriction dans les hôpitaux, les écoles, etc.
Des critiques portent également sur l’administration des services publics, que certains jugent trop lourde par rapport à ce qui se passe dans le privé. C’est sur elle que devraient porter les économies qui sont certainement à faire. Car ailleurs, où couper ? Les instituteurs par exemple, comme les infirmières, sont en nombre insuffisant et pas assez payés…
La fiscalité : que faire pour la rendre plus juste ? plus transparente ?
La demande la plus générale dans notre pays est certainement celle d’une fiscalité plus juste. En définir les modalités précises dépasse pourtant nos compétences. Mais il serait certainement nécessaire :
* de revoir l’impôt sur le revenu en y ajoutant des tranches pour les revenus les plus élevés (et pour certains en le faisant payer par tous, à des taux très symboliques pour les plus pauvres) ;
* de rétablir l’ISF ou de le remplacer par toute autre formule équivalente qui permette une réelle contribution des plus hauts revenus à la solidarité nationale ;
* de revoir en détail le statut des élus et de passer au crible les avantages dont ils disposent pour vérifier s’ils sont justifiés ou non ;
* de se livrer au même exercice pour les « niches fiscales » ;
* d’imposer les GAFA plus qu’il n’est actuellement envisagé de le faire ;
* de taxer les robots industriels qui remplacent les salariés dans les usines.
Malheureusement le chef de l’État a exclu d’explorer ces pistes à l’issue du grand débat, jugeant qu’elles sont contradictoires avec le programme sur lequel il a été élu, qui prévoit une baisse des impôts. Mais si ce programme est sûrement partagé par ceux qui ont voté pour lui un premier tour de l’élection présidentielle, il ne l’est pas nécessairement par ceux qui l’ont rejoint au second tour, en le préférant – et on les comprend – à Marine Le Pen.
En revanche, puisque baisse d’impôts il devrait y avoir, un large consensus se dessine pour souhaiter un abaissement ou une suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, car il s’agit d’un impôt injuste en ce qu’il touche indifféremment les plus riches et les plus pauvres.
Pour autant le cœur du problème de la fiscalité, comme l’ont souligné certains, tient moins aux impôts qu’à leur affectation – il faudrait mieux connaître les besoins pour savoir si les crédits pour les satisfaire sont justement attribués – et surtout à la bonne gestion de l’argent public. De ce point de vue, il serait opportun de renforcer les moyens des chambres régionales des comptes, dont la fonction est précisément dejuger de l’emploi qui est fait des finances publiques.
Les « corps intermédiaires » : des éléments indispensables à la cohésion sociale
Les « gilets jaunes » ont réussi à mobiliser l’opinion mais à les entendre, ils ne veulent ni représentants, ni « corps intermédiaires ». La plupart des participants pensent au contraire que, même s’ils sont largement décrédibilisés, il s’agit là d’éléments essentiels pour le « vivre ensemble » auxquels il conviendrait de prêter le plus grand soin.
Le manque d’« humanité » dont souffre notre société tient en effet pour une bonne part au fait qu’à cause de la vogue des réseaux sociaux, il existe de moins en moins d’espaces pour se concerter dans la ville. Nos efforts devraient donc porter sur un ‘accueil’ en mairies, dans les CAF et dans toutes les structures où l’homme est au centre. Car comment rétablir cette confiance qui fait défaut, sans concertation ? En ce domaine, les Comités d’Intérêts de Quartier ne sont-ils pas la première marche ? Mais il importe de ne pas laisser aux politiques la haute main sur ces comités. Leur rôle n’est pas de bâtir de nouveaux projets, mais bien plutôt de connaître les riverains et de dialoguer avec eux afin de régler leurs difficultés au jour le jour.
Ce souci porté à ces « structures où l’homme est au centre » a conduit un des ateliers à échanger longuement sur la contribution que nous apportons à leur vie :
* « Je suis membre de deux associations, l’une défendant les retraités, l’autre la limitation de vitesse à 80 km/h et dans les deux cas, nous informons de notre action notre député » a dit l’un.
* Un autre : « Je signe des pétitions et j’aide des ONG, notamment pour l’aide aux migrants. Mais s’il s’agit d’agir concrètement, les choses sont plus difficiles : nous avons accueilli des gens dans notre paroisse, mais dans des conditions très précaires… ».
* Un autre encore : « Dans notre paroisse, certains font partie de l’Association « Welcome » et accueillent temporairement des réfugiés. Mais ce sont toujours des initiatives individuelles… »
* Ce à quoi il a été répondu : « Mais il y a aussi des structures, même s’il reste beaucoup de gens dans la rue ! Je vis dans un centre où on accueille beaucoup de SDF et de demandeurs d’asile qui, actuellement, sont à 50 % des gens venus d’Afrique noire. Depuis vingt ans, la situation s’est améliorée, du moins dans les centres qui ont été aménagés afin d’être plus respectueux de l’intimité de ceux qui y sont accueillis. Le diocèse prend d’ailleurs sa part dans cet effort : une soixantaine de personnes ont été accueillies à Saint-Just, le centre de Saint-Jean-de-Dieu était au départ une fondation chrétienne. Et tout cela fonctionne avec des financements croisés des collectivités territoriales : mairie, département, région. Pour avoir vécu pendant deux ans dans un pays soumis à une dictature militaire, je suis un peu étonné de la virulence de certains propos contre ce que nous vivons en France. »
* Une dernière intervention est allée dans le même sens : « Je suis tout-à-fait d’accord sur ce point, rentrant d’Algérie où les gens au milieu desquels je vivais se contentaient de très peu… »
La transition écologique
Trois points ont été abordés qui relèvent des pouvoirs publics :
* Procéder à l’isolation extérieure de tous les logements sociaux, ce qui n’est pas pour l’instant une priorité pour les bailleurs.
* Pour réduire la circulation et la pollution qu’elle cause, améliorer les transports publics à Marseille, en veillant à leur accessibilité par les handicapés et les personnes âgées, en abaissant leurs tarifs et en développant leur réseau ; augmenter le nombre de dessertes vers les autres villes de la métropole.
* Inciter les entreprises à réduire les emballages en plastique de leurs produits, qui sont cause de trop de déchets.
Mais l’attention a surtout été portée à des gestes de la vie quotidienne qui pourraientapporter une contribution, même modeste, à la cause écologique :
* Acheter des produits en vrac et ne pas les jeter dès la date limite de consommation ;
* Bien trier les déchets (en espérant que ce tri soit respecté jusqu’à leur transfert dans les décharges !) et ne pas inclure dans ces déchets les produits toxiques ;
* Éviter de jeter des sacs en plastique, ramasser les bouteilles et les porter au container ;
* Ne pas gaspiller l’eau (y compris celle du nettoyage de la salade, qui peut servir à arroser des plantes…) ;
*… Et ne pas oublier que l’usage intensif de l’ordinateur est tout sauf écologique !
La politique migratoire, thème qui n’a été abordé que par l’un des deux ateliers.
Les migrations sont un phénomène de toutes les époques : Marseille le sait bien, qui est née du mariage d’un Grec venu de l’actuelle Turquie et d’une indigène, et n’a cessé depuis le XIXesiècle surtout d’accueillir des étrangers par vagues successives, dont les premières étaient faites… de Provençaux et de Bas-Alpins. Tout cela, d’ailleurs, non sans tensions ni racisme parfois, y compris chez des arrivants de fraîche date car dans les vagues migratoires, sitôt intégré, le dernier installé a tendance à vouloir « fermer la porte » derrière lui.
Mais les déplacements de populations prennent un caractère aigu aujourd’hui, à cause des guerres (Afghanistan, Irak, Syrie…) et de l’explosion démographique que connaît l’Afrique subsaharienne, mais aussi des séquelles de la crise de 2008 qui ont accru le chômage et diminué les ressources publiques dans les pays susceptibles d’accueillir ceux qui cherchent chez eux un refuge ou l’espoir d’une vie meilleure. Et tout laisse à penser que cette situation s’aggravera dans les décennies qui viennent.
Cette crise mondiale touche particulièrement l’Europe qui devrait la régler de façon communautaire et solidaire. Malheureusement, c’est l’égoïsme national qui prévaut. Voir ainsi la fermeture des pays de l’Est à l’accueil des migrants, mais aussi à Menton, au Mont Genèvre ou sur la route du col de l’Échelle, le refoulement des migrants souhaitant quitter l’Italie pour gagner la France ou la Grande-Bretagne auquel procèdent journellement les autorités françaises, qui inculpent en outre ceux qui leur portent assistance – ce qui est choquant ; sans parler de l’Aquariusdont notre gouvernement n’a accueilli qu’au compte-goutte les réfugiés et qui a dû cesser ses missions humanitaires au terme d’errances répétées à la recherche d’un port d’accueil, ce qui est également choquant.
Il reste que les migrants font peur à certains qui craignent qu’ils « prennent le travail » des Français, parce que les employés étrangers sont souvent moins bien payés que les « locaux », quand ils ne travaillent pas au noir. Dans l’Europe des 27 fondée sur la liberté de circulation, économique surtout, la venue de migrants profite principalement au marché et aux entreprises qui peuvent maintenir de bas niveaux de salaire, sachant qu’elles disposent grâce à eux d’une main d’œuvre abondante disposée à les accepter. Du coup certains disent : « Notre pays, notre ville comptent beaucoup de pauvres ; dès lors, pourquoi en accueillir plus encore ? »
Le regard change cependant quand l’on passe de ces considérations assez générales à l’évocation de situations concrètes : « Les migrants sont dans la rue, c’est une réalité, alors comment les accueillir, les intégrer ? » On note alors :
* qu’il y a chez eux une grande volonté d’agir, de se former ;
* qu’ils peuvent contribuer à l’économie de notre pays, car beaucoup, parmi les demandeurs d’asile sont des gens qui ont des compétences ;
* que les enfants, parmi eux, ont une fiche de demande de savoir, qu’ils « aident » les profs ;
* que l’accueil en nombre de migrants à Saint-Just n’a nullement accru l’insécurité dans le quartier, bien au contraire… Mais ce n’est qu’un hébergement temporaire ; quelle solution plus pérenne sera trouvée ensuite ?
Cette inquiétude relative à la précarité des dispositions prises pour parer à des situations d’urgence trahit le souhait largement partagé que les pouvoirs publics, comme les entreprises, mettent tout en œuvre pour faciliter l’amalgame, sinon l’intégration de ces nouvelles populations qu’il est un devoir d’accueillir car elles sont en situation de détresse. Mais aussi parce que tout migrant devrait être vu, non comme un problème, mais comme une personne.
Pour autant, ce souhait de favoriser l’accueil des migrants ne fait l’unanimité, comme le montre cette vive réaction d’un participant : « Mais comment peut-on soutenir un tel point de vue ? C’est un propos de ‘chrétiens bisounours’,c’est attiser le feu alors que le pays est ‘dans la mouise’. Nous sommes hors-sujet ! »
IV.- Existe-t-il des raisons d’espérer ?
Le simple fait que, dans toute la France, des citoyens se réunissent comme nous l’avons fait afin d’échanger et de débattre est un motif d’espérance, même si les raisons pour être pessimiste ne manquent pas.
Les relais traditionnels n’existent plus ou sont décrédibilisés en effet, tandis que règnent les réseaux sociaux et leurs fausses nouvelles auxquelles beaucoup ont la naïveté de croire. Il n’y a pas de projet à long terme dans les petites et moyennes entreprises qui n’ont pas de visibilité et ne peuvent pas embaucher : incertaines sur leur avenir, elles voient les avantages attribués aux grandes entreprises, plutôt qu’à elles. Le pouvoir des lobbies est tel aujourd’hui que le pouvoir politique cède au pouvoir économique.
Notre espérance, pourtant, est que le pouvoir politique puisse se montrer plus fort que le pouvoir économique s’il partage notre propre foi dans le salut public et notre volonté de le défendre au détriment du profit et de l’argent.
Pour cela, notre souhait serait :
* de réinstaurer le dialogue, car aujourd’hui on ne peut plus manifester sans recevoir des gaz lacrymogènes ou des tirs de balles de défense, et plus généralement, d’être attentif aux autres, de s’accueillir, se sourire, se parler ;
* d’avoir de l’intérêt pour la maison communejusque dans des actes très concrets, comme se décider à ne plus avoir de voiture si elle n’est pas indispensable pour nos déplacements ;
* d’œuvrer pour le maintien et l’avenir des relations sociales, par le biais d’ONG ou d’associations auxquelles nous pouvons adhérer ou participer de façon active : CCFD, Secours populaire, Secours catholique, etc. Elles font un travail très utile, malheureusement compromis par la politique fiscale de l’actuel gouvernement qui conduit à un tarissement des dons qui les font vivre.
Nous sommes donc appelés à agir chacun, là où nous sommes, de façon très concrète, en nous demandant : « Qu’est-ce que moi, demain, je vais faire ? » Car l’avenir dépend de chacun, même si l’on a 80 ans ! Et nous pouvons être confiants dans les générations qui nous suivent, même si certains ont marqué sur ce point des réticences, d’ailleurs familières aux historiens qui savent que, depuis que l’écriture a été inventée, il existe des textes qui déprécient les jeunes.
Or les jeunes d’aujourd’hui l’emportent sûrement sur les générations qui les précèdent par leur ouverture au monde, leur souci pour ses problèmes, écologiques en particulier, et le soin qu’ils veulent porter à son avenir : leur récente initiative de « sécher les cours » le vendredi pour alerter les hommes politiques et l’opinion publique sur les urgences climatiques le montre assez.
Bref, nous avons bien entendu le message des gilets jaunes : « Stop, ça suffit ! » ; alors, relevons nos manches !