Avançons, lentement, dans les réformes... mais gardons-nous de reculer !
En réponse à l’article d’Armand Vulliet Pas d’alternative à la politique de réformes ? J’ai l’impression de rêver tout debout !
Il est surprenant que des personnes qui se disent éprises de vérité, de liberté de pensée et de parole, de respect d'autrui, s'empressent de diaboliser ceux qui ne partageraient pas leur passion anti-capitaliste.
OUI, si les idées, les mots volent, s'envolent, la succession des faits demeure. À partir de 1981, des mesures financières et fiscales maladroites ont commencé à faire fuir à l'étranger nombre de capitaux et d'investisseurs... Le scandale historique du Crédit Lyonnais, dans les années 80, laissant un trou de 150 milliards de francs, comblé par les contribuables, a abouti à la re-privatisation de la banque.... La retraite a 60 ans, contrairement aux projections de nos voisins immédiats, a rapidement vidé les caisses de retraites qui ne survivent depuis que grâce aux subventions de l'État (l'impôt des Français) et la vente des « bijoux de famille »... Les 35 heures ont plombé un peu plus la compétitivité de nos industries, créé à terme une aggravation du chômage de masse et ont obligé les pouvoirs publics à créer plusieurs centaines de milliers de postes de fonctionnaires supplémentaires ; toujours à charge des contribuables... Jamais non plus on n’avait construit aussi peu de logements sociaux depuis la Libération que sous cette présidence... Et, surtout, l'amorce d'un cycle infernal de déficits budgétaires annuels de l'État aboutissant aujourd'hui à une dette de la hauteur de notre PIB... Et tant d’autres sujets qui ne sont pas des « copié-collé » mais des réalités que chacun a à l’esprit et dont le jeune président, brillant économiste mais sans expérience politique et sans peut-être l’armature spirituelle nécessaire, a hérité en arrivant.
Pour prendre un exemple cher aux Gilets Jaunes : l'ISF a été instauré en 1982. Un rapport tenu secret de la DGFP (Direction Générale des Finances Publiques), qui a pu être pénétré par l'IFRAP, nous apprend qu'entre 2002 et 2015, 3,04 milliards d'€ ont quitté la France chaque année. En appliquant à ces sorties du territoire national les intérêts cumulés, on aboutit fin 2017 à un total entre 143 et 200 milliards d'€ depuis 1982, qui ont manqué à l’économie française... Si on met un instant de côté l'aspect idéologique ou éthique de la mesure, on comprend mieux les tentatives de réformes des présidents français successifs qui ont par définition vocation à veiller à l'intérêt national, le Bien Commun diraient les Chrétiens...
Cet article rejoint la tendance (populiste?) actuelle à renvoyer les politiques et leurs experts, conseillers techniques, baptisés gentiment technocrates, en réalité destinés à essayer de saisir la portée et les conséquences des décisions politiques engagées et par là même, les hypothétiques alternatives... s'il y en a. Imagine t-on le général De Gaulle ou MM. Mitterrand, Montebourg, avocats de formation, prendre des décisions économiques, juridiques, sociales, sans l’aide de conseillers ? Je pense qu’il faut arriver à un certain degré d’autisme pour occulter la masse d’informations que les médias nous déversent tous les matins. Sans revenir à la République de Weimar des année 20, dont le laxisme économique a fait le lit du nazisme et préparé la deuxième guerre mondiale, comment ne pas tirer la leçon de la récente aventure grecque, qui ressemble fort à ce que réclament certains Gilets Jaunes ? Grèce qui n’a survécu économiquement et socialement que grâce à la BCE et au FMI, après de lourds sacrifices populaires. Que dire du Venezuela, au bord de la guerre civile, qui a détruit sa monnaie et mené son peuple à la famine ? J’espère qu’il n’a échappé à personne que sa politique a constamment été soutenue par M. Mélenchon ?
NON, je ne suis pas macroniste. Je n'ai pas voté pour lui au premier tour ; je n'ai pas apprécié la façon dont le candidat de la Droite a été discrédité pour le mettre en orbite ; je n'ai pas contribué à lui donner une majorité parlementaire. Je n'ai pas apprécié non plus certaines de ses maladresses, voire orientations de société. Mais il est un temps pour choisir celui considéré le meilleur et un temps pour éliminer ceux considérés comme les plus dangereux pour nos libertés et notre développement. C’est ce qu’on appelle, je crois, être responsable. Pour tout dire, comme font certains dans nos échanges, je suis issu d’une mouvance mendésiste, puis « gaulliste de Gauche » ; j’ai voté pour François Mitterrand en 81 et j’ai participé modestement à l’élaboration du « Livre Blanc » voulu par le gouvernement de l’Union de la Gauche, en qualité de syndicaliste et spécialiste du secteur Energie (pourquoi ne fait-on pas le rapprochement avec le « débat national » actuel ? ) Mais je n’ai nulle intention pour autant de perdre mon esprit critique, ma liberté de penser et d’agir. J’ai donc tiré des enseignements de ce qui précède. Où sont les dogmatiques purs et durs ?
Je suis consterné que pour certains et certaines des termes tels capitalisme ou multinationale sont devenus des injures à vomir. Pourtant, il ne peut exister un État moderne sans capital et sans banques, sans marché. Le choix du citoyen se situe entre un capital privé, animant un marché libre auto-régulateur, encadré par la législation nationale et l’adhésion à des organismes régulateurs internationaux tels le FMI ou l’OMC, et l’alternative d’un capital d’État, dans les pays collectivistes, qui gère conjointement le politique, l’économique et le social. Les communistes chinois ont su les disjoindre pour connaître une croissance fulgurante. Les observateurs ont pu constater que dans le premier cas, les États sont tentés d’ériger des murs pour freiner les migrants et que dans le second, ils sont parfois contraints de dresser d’autres murs pour empêcher les élites de fuir...
Je ne connais pour ma part qu'un lieu où l'on a pu voir un véritable « communisme », sans argent circulant. Ce sont les Kibboutz. Ce ne fut sans doute possible que parce que ces communautés étaient des survivants de l'enfer des pogroms ou des camps d'extermination qui ont eu la force et la détermination de chercher le bonheur retrouvé dans une vie simple et paisible, se contentant d’une parfaite égalité devant les tâches, dans la vie familiale et culturelle. On nous dit que les petits-enfants de ces pionniers retrouvent une « normalité » avec les ambitions sociales propres à l’homme, qui l’ont porté de l’âge de pierre à la conquête de la planète Mars...
Quant aux multinationales, ce sont tout simplement des entreprises généralement d’une certaine importance, dont le siège social est situé dans le pays d’origine (telles Total, Airbus, Schlumberger, Nestlé, Ikea, Samsung, Siemens...) et qui ont su créer des filiales à travers le monde. La puissance financière qui leur est reprochée leur a permis, à travers leurs départements de Recherche & Développement, des avancées techniques et technologiques remarquables et la création de dizaines de millions d’emplois dans le monde. Elles sont bien évidemment tenues de respecter les législations des pays d ‘accueil et de s’acquitter des mêmes impôts que les autres. Si elles privilégient les pays politiquement et socialement stables, avec une main d’œuvre qualifiée et des impôts modérés, faut-il le leur reprocher ? Avis aux Gilets Jaunes. Je vois que depuis quelque temps Ford et Whirlpool ont tendance à délocaliser en Pologne et en Hongrie ; Renault en Roumanie.... Nous avons déjà perdu les chantiers navals partis en Grèce, en Espagne, à Singapour...
Il faudra qu’on m’explique ce qu’on veut dire en parlant de « taxer les multinationales ». Je pense qu’elles sont particulièrement surveillées. Le président Theodore Roosevelt a fait voter une loi anti-trust dès le début du XXe siècle pour éviter les monopoles. En France, elles ont souvent été condamnées (notamment dans le pétrole et les centrales d’achat) pour entente illicite. L’UE vient de frapper Google d’une amende de 2,4 milliards d’€ pour abus de position dominante. Apple règle actuellement près de 500 millions d’€ au fisc français.
NON. Je ne pense pas que tout va pour le mieux dans ce monde et je l’ai dit souvent sur ce blog. Mais sachons ne pas nous tromper d’adversaire plutôt que cultiver les fantasmes circulant sur les réseaux sociaux. Lorsque la concurrence sur les produits fabriqués devient déloyale, l’Europe doit apprendre à se protéger. Donald Trump n’a pas toujours tort ! Le développement de l’emploi doit demeurer la priorité, car c’est le levier essentiel pour faire reculer la pauvreté, les injustices, le déficit de l’État, des caisses de retraites, de la Sécurité sociale...
NON. Je ne suis pas méprisant envers le « petit peuple ». Je lui trouve au contraire souvent du bon sens. C'est le cas de mon aide ménagère vis-à-vis de l'aréopage d'enseignants, du Secondaire et de l'Université avec lesquels je déjeunais il y a quelques années. A ma question : « Savez-vous que chaque bébé qui vient au monde en France a déjà une dette de 18.000 € à rembourser ? », un cercle de regards étonnés et sceptiques répondit. Les Français sont décidément plus doués pour la philo que pour les maths. C'est ce qui me fait dire qu'il y a un vrai travail pédagogique important à effectuer. Est-il normal qu’un pays qui se vante d’être à l’origine des Droits de l’Homme soit contraint de se tourner vers la petite Finlande pour apprendre à éduquer et enseigner ses enfants ? A l’appui de ce que j’écris, je lis dans Le Point de la semaine dernière un article de P.-A. Delhommais « Le zéro pointé des Français en économie » qui nous fait part d’une enquête Ifop-Fiducial qui révèle que les 2/3 des Français n’ont pas la moindre idée du PIB ni du niveau d’endettement public. Seuls 7 % d’entre eux ont pu répondre à 6 des 7 questions posées. Édifiant !
NON. Je ne suis pas anti-syndicaliste. Je regrette au contraire le faible taux de syndicalisation en France, ce qui peut expliquer la tendance à engager des conflits plutôt que chercher le dialogue, la négociation, le compromis, comme en Scandinavie et dans les pays germaniques. Même si nous avons des divergences de fond, j'ai du respect et de l'estime pour ceux qui vont au bout de leurs convictions, au détriment souvent de leurs intérêts personnels.
De mon côté, j'ai largement pris ma part durant de longues années. Tout en exerçant mon métier d’ingénieur commercial (après 22 ans passés en mer, officier dans la marine marchande) dans la filiale française de la première entreprise mondiale par son chiffre d'affaire, j'assumais des responsabilités nationales dans un syndicat de Cadres et je siégeais comme représentant syndical au Comité Centrale d'Entreprise. Ce fut une époque fertile en actions et en émotions.
Bien que ce ne soit pas ma spécialité, il m'arrivait de rédiger le rapport de la commission économique et sociale et d'interpeller le Pdg en séance sur des sujets plus stratégiques que les habituels gants de travail ou bandes anti-dérapantes sur les marches. Par exemple « Pourquoi ne construisons nous pas de nouveaux tankers en France ? » ou « Que compte faire la société vis-à-vis des 650.000 jeunes qui arrivent en Septembre sur le marché de l'emploi ? » Face aux restructurations successives des années 75-80, nous connûmes des psychodrames inédits dans l'historique de l'entreprise. Après avoir rédigé une motion de protestation, je quittai la séance suivi des seize autres cadres sous les cris de colère du Pdg et le regard médusé des observateurs de New-York et des élus CGT et CFDT. J’ai également saisi (sans grand résultat) la Commission Supérieure de la Convention Nationale de l’Industrie du Pétrole, qui s’est réunie pour en débattre, mais qui exige l’unanimité des signataires pour trancher.
Mais comme toujours, tout est relatif. J'ai aussi travaillé pour des entreprises françaises, fait la différence et trouvée fort injustifiée la diabolisation des groupes multi-nationaux géants. Certes les Américains sont exigeants sur les résultats et ne confondent pas le Social, traité à part (avec un important effort de formation permanente tout au long de la carrière, favorisant la promotion sociale) et le business. Les rapports hiérarchiques sont directs et familiers. Ils ne lésinent pas sur les salaires, les primes, les avantages en nature. On n’y trouve jamais les petites mesquineries constatées ailleurs. Je n’ai jamais connu autant de cadres autodidactes que là.Les Américains privilégient les têtes bien faites aux têtes bien remplies (ENA ?).
NON. La France ne doit pas renoncer à faire des propositions pour améliorer les régulations mondiales. Il y a d'ailleurs des résultats substantiels en matière d'évasion fiscale et de secrets bancaires dans les paradis fiscaux. Mais je répète simplement que la France, malgré son arrogance, ne peut à elle seule imposer ses points de vue monde. Ses propositions pour l'établissement de taxes sur les transferts financiers internationaux, notamment, se heurtent toujours à des obstacles. Le monde avance lentement. Au cours du siècle écoulé, des milliards d'hommes ont été sortis de la féodalité et de la très grande pauvreté. Il reste des foyers importants en Centre-Afrique et à Madagascar où le PIB par habitant demeure en dessous de 1.000 $ par an, mais c'est dû sans doute à l'instabilité politique et aux guerres civiles. Des nations très peuplées comme la Chine, l'Inde, le Brésil, sont en voie de devenir des super-puissances.
Il restera toujours des SDF qui refuseront de monter dans le fourgon leur proposant un hébergement de nuit. Mais personne ne meurt de faim en France. La Banque Alimentaire, Les Restos du Cœur, le SAMU social et les très nombreuses organisations humanitaires déversent des milliers de tonnes de vivres et de vêtements, voire de meubles et d'électro-ménager en direction des plus défavorisés, qui sont parfois devenus difficiles, nous insultent presque en confondant « date limite de vente » avec « date limite de consommation »... Peu se passent de téléphone mobile. C'est pourquoi je dis que la pauvreté est relative car à Madagascar des enfants continuent de fouiller les ordures à la recherche de déchets. Je suis témoin des deux aspects car retraité, présent à Marseille depuis des années et ayant des filleuls à Madagascar depuis 20 ans.
Pour me livrer un peu plus, comme font certains dans cet échange, je suis enfant d’immigrés, Russe blanc et Estonienne. J'ai aussi connu, enfant, la pauvreté à Paris, après la crise de 29, alors que l'éventail d’aides sociales d’aujourd’hui, que certains jugent insuffisant, n’existait pas. Mon grand-père, avocat, a été tué d’une balle dans le ventre dans les rues d’Odessa en 1905 (cela rappelle quelque chose à ceux qui connaissent un peu l’Histoire ?) et mon père a été assassiné par les Nazis en 44. Aussi, j’accepte de recevoir des leçons, mais pas sur ce terrain sur lequel ma famille a payé lourd pour les rêveurs d’un Jardin d’Eden, qui se transforme vite en cauchemar quand ils se saisissent du pouvoir.
Et pour ceux qui ne reconnaissent pas les pouvoirs délégués, cela ressemble fort à ce qu’on appelle l’Anarchie, autre forme de suicide de la société civilisée, qui a mis des millénaires à bâtir des règles pour vivre ensemble différents. Car, sans pouvoirs, il n’y a pas de responsables. Et sans responsables, personne n’est plus responsable de rien ni de personne, et c’est le règne de la (vraie) domination du faible par le fort.
Avançons, lentement et sans secousses violentes... mais gardons nous de reculer !
Robert Kaufmann