La fraternité maçonnique vue par un chrétien franc-maçon

Publié le par Garrigues et Sentiers

« La fraternité est une fleur fragile qu’il faut cultiver sans cesse et inonder d’amour. » Mais qu’est-ce que la fraternité, mise à part son appartenance à la flore ? Tout le monde croit avoir la réponse et en donne en fait des définitions parfois fort différentes, en fonction de sa religion, son éducation, son expérience, son environnement, voire les circonstances quand on cède au gouvernement des émotions. Revenons aux fondamentaux pour, à partir de la définition de la fraternité dans le cadre du Christianisme, l’analyser dans le cadre de la Franc-Maçonnerie, puisque c’est la question que l’on m’a posée.

Le Trésor de la langue française, référence historique et sémantique, en donne deux définitions, complémentaires ou opposées selon le point de départ de la réflexion et la prise en compte du (des) « glissement(s) de sens » au cours de l’histoire. En simplifiant énormément la page de définitions : 1 / « Lien de parenté entre les enfants issus des mêmes parents. » 2 / Par analogie, « lien étroit d’amitié qui unit deux personnes qui ne sont ni frères ni sœurs » Ou « sentiment de solidarité et d’amitié ». Ces deux approches du sens de ce terme mettent en évidence sa double histoire étymologique et sociologique, dont nous trouverons les traces en Franc-Maçonnerie.

On le trouve déjà en sanscrit sous la forme bhratar, frère au sens de parents proches puis en Grec sous la forme phrater, membre de la fratrie. Dans la doctrine chrétienne tous les hommes (et les femmes) sont frères (et sœurs) enfants de Dieu. Mais il y a des gens beaucoup plus compétents que moi pour en parler. Dans le monde moderne, on met ce terme à toutes les sauces : on confond fraternité et amitié, fraternité et appartenance à un groupe, tous les fans de l’O.M. sont des frères et les joueurs sont parfois plus frères avec un compagnon de jeu qu’avec leur propre fratrie, des gens pratiquant le même métier créent des fraternelles, les membres d’un même gang sont des frères et les membres d’une famille mafieuse sont tous frères qui obéissent au même « capo ». La liste pourrait être longue des frères et des faux-frères.

Ces (très brefs) rappels annoncent que, si la question posée était simple, la réponse sera beaucoup plus compliquée, ne serait-ce que parce que la Franc-Maçonnerie est simple, une,  et en même temps, selon une expression célèbre, compliquée par sa richesse, sa diversité. D’autant qu’il est un peu réducteur d’employer « fraternité » sans les autres composantes du trio : liberté et égalité. Les fondateurs de la Seconde République ont tous insisté sur le caractère logique et indissociable des trois composantes.

Un peu d’histoire pour illustrer cette phrase.

L’origine de la devise de l’État français est controversée : elle est attribuée à Robespierre dans un discours prononcé en 1790. À Voltaire dans une ode à la gloire du gouvernement helvétique en 1755 ou à Martinès de Pasqually, un des trois créateurs du Rite Ecossais Rectifié, avec Jean-Baptiste Wuillermoz dont les textes fondateurs datent du 1778 et 1782. Une Loge militaire du Grand Orient de France a été créée en 1993 sous l’intitulé « Liberté, égalité, fraternité ».

Quelle que soit l’origine antique, ancienne ou moins ancienne de la Franc-Maçonnerie, avérée ou fantasmée, qu’elle vienne des Mystères d’Isis, des templiers, des « maçons opératifs » bâtisseurs de cathédrales, il y a un élément qui relie toutes les composantes de la Franc-Maçonnerie depuis au moins la Création de la Première Grande Loge d’Angleterre, regroupant quatre Loges déjà existantes en 1717 : elles sont d’origine chrétienne.

Quelle que soit l’origine antique, ancienne ou moins ancienne de la Franc-Maçonnerie, avérée ou fantasmée, qu’elle vienne des Mystères d’Isis, des templiers, des « maçons opératifs » bâtisseurs de cathédrales, il y a un élément qui relie toutes les composantes de la Franc-Maçonnerie depuis au moins la Création de la Première Grande Loge d’Angleterre, regroupant quatre Loges déjà existantes en 1717 : elles sont d’origine chrétienne.

Les textes fondateurs, les manuscrit comme le « Cooke » , le « Regius » (1390 et 1410), le Dumfries » (1710) ou les Constitutions du pasteur Anderson en 1723, les Rituels écrits en 1778 et 1782 par les trois créateurs du Rite Ecossais Rectifié, etc, ont tous une composante religieuse, anglicane, catholique, protestante. C’est d’ailleurs aujourd’hui encore le cas dans les autres pays où les « Maçons réguliers » ne se cachent pas, les temples ayant pignon sur rue. Rappelons que le Président des Etats-Unis prête serment une main sur le Bible sans que les partisans de la laïcité hurlent au scandale. Ils ont d’autres raisons de s’exciter.

Les Maçons « opératifs » bâtisseurs étaient employés par l’Église et pratiquaient leur religion. Ensuite, quand le nombre de « bâtisseurs » a diminué et que la Maçonnerie s’est ouverte à des « non-opératifs », les premiers maîtres et Vénérables Maîtres « francs et acceptés » furent des nobles au départ, comme le duc de Brunswick, puis des bourgeois et des marchands qui pratiquaient aussi une religion. La question de la pratique de la fraternité par la Franc-maçonnerie ne se posait pas, c’étaient celle du christianisme. La Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique fondé sur la fraternité et tous les textes constitutifs insistent sur ce point ; » Vous cultiverez l’amour fraternel qui est la base, la pierre angulaire, le ciment et la gloire de notre confrérie ».

Mais comme les Français sont des gens exceptionnels, il s’est produit un phénomène historique qui est à l’origine de la situation actuelle, celle d’une Maçonnerie française unie et multiple. « Il n’y a qu’une maçonnerie en France mais plusieurs façons de la vivre. » Le siècle des Lumières, la révolution française, pardon les révolutions, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’obsession anti-cléricale d’une partie de la population et de certains partis politiques obsessionnels qui ont eu et ont en 2018 une vision de la liberté de pensée, de croire ou ne pas croire, proche du zéro absolu ont provoqué la création d’un éventail de rites  et d’obédiences unique au monde. C’est en même temps une richesse et une faiblesse. C’est cette histoire, la rupture totale des relations entre l’Église et l’État qui a fait que l’Église catholique condamne encore la Franc-Maçonnerie, alors que les autres composantes religieuses ne l’ont pas fait ; condamnant ainsi des obédiences christiques qui s’engagent à respecter la religion chrétienne.

À l’origine la Maçonnerie faisait référence au « Grand Architecte de l’Univers », comme « Père » de tous les frères. Tous les membres d’une Loge s’engageaient à respecter des valeurs communes comme le respect, la tolérance, l’humilité, la charité, la justice, la clémence, l’écoute, la solidarité, la tempérance, l’écoute, le pardon des offenses, la recherche d’une meilleure connaissance de soi, la recherche de la lumière, et j’en oublie. Mais le rôle parfois ambigu joué par la Maçonnerie, aux XVIIIet XIXsiècles, l’idéal de liberté qui a été opposé à « l’oppression » de l’Eglise, ont provoqué des scissions et l’abandon, le retour puis l’abandon de nouveau de cette référence dans certaines obédiences. La fraternité a été alors comprise comme une fraternité sociale, humaniste, tout aussi généreuse mais sans la composante chrétienne. 

Passons sur l’histoire mouvementée des Obédiences et Régimes pour analyser la situation présente.

 

On retrouve les deux approches des définitions du Trésor de la langue française et les conséquences de la diversité des histoires dans le fonctionnement : certaines obédiences travaillent sur des problèmes sociétaux, politiques, économiques, sociologiques, sont mixtes, masculines ou féminines, laissent à chacun le choix de ses opinions religieuses ou les excluent de la réflexion : d’autres travaillent dans le silence sur des sujets symboliques, historiques ou humains comme le problème du transhumanisme qui provoque autant d’inquiétude que d’espoir. 

 

Certains respectent les « Old Charges », la vêture complète historique, le silence, l’agape fraternelle qui n’est pas une beuverie, la chaîne d’union et la prière, l’absence de critiques en Loge, ce qui n’empêche pas les discussions hors du temple bien sûr, les traditions. D’autres prennent plus ou moins, parfois beaucoup, de liberté avec la tenue vestimentaire ou la tenue correcte, physique et orale, l’écoute respectueuse de l’autre. La question n’est pas de savoir qui a tort ou a raison, chacun vit sa vie comme il l’entend, et tous les maçons de toutes obédiences, hommes, sont accueillis « comme des frères » s’ils toquent à la porte de notre Loge : « Tapez et on vous ouvrira ».

Malgré ces différences qu’il serait vain de nier, nous sommes tous frères et unis dans une fraternité initiatique, à base de symboles, de rites, de traditions, dans une perspective de bâtir un monde meilleur, en construisant le temple de Salomon, en vivant notre fraternité bien plus intensément que les fraternités profanes. 

Une citation de réflexions d’un frère bien plus avancé que je ne le suis résumera notre perception du mot fraternité :

La Fraternité qui éclaire et anime les temples maçonniques possède plusieurs spécificités :

La Fraternité du Cœur, pour une empathie sincère et une sympathie sans arrière-pensée,

La Fraternité de l’Esprit, la recherche de la vérité, à partir des débats et de l’échange des convictions, acceptées dans leur diversité,

La Fraternité de l’Imagination, à travers l’étude des symboles, et enfin,

La Fraternité du but commun, celle d’œuvrer en tous lieux au progrès de l’humanité, et cette construction, qui se doit d’être de qualité, passe par la fraternité des bâtisseurs.

 

Ce qui n’empêche pas, bien sûr, d’être actif dans la fraternité sociale, profane, l’aide aux démunis, aux handicapés aux « cabossés de la vie », aux malades et à tous ceux qui sont en difficulté, dans le cadre d’un engagement personnel.

 

On pourrait parler du but de la fraternité, de ces limites, de son rôle initiatique mais nous entrerions dans un domaine que les profanes découvriront s’ils entrent en Maçonnerie.

 

Pour terminer, (provisoirement ?) cette intervention je rappellerai qu’un maçon répondra oui si on lui demande s’il est maçon, il n’y a pas à s’en cacher, mais ne se présentera jamais en disant « Je suis Franc-maçon » par respect pour ceux qui ne le sont pas. Ceci explique que je ne signe pas de mon nom profane mais d’un acronyme.

 

MESA

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W
Merci, mon Bien Aimé Frère, pour ce partage.<br /> <br /> Moi aussi je signe par un acronyme (sourire).<br /> <br /> CBCS
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