L’Europe à l’heure de l’élection présidentielle

Publié le par Garrigues et Sentiers

Dans une récente émission de télévision, Yannick Jadot, candidat écologiste à l’élection présidentielle a déploré que les jeux d’appareil, les querelles d’egos et les déboires judiciaires fassent l’essentiel d’une campagne présidentielle qui devrait être l’occasion, pour le pays, de débattre des enjeux du vivre ensemble dans un monde de plus en plus incertain. À l’heure où les nationalistes populistes Donald Trump et Vladimir Poutine rivalisent d’attaques ou de sarcasmes contre l’union européenne, Yannick Jadot regrettait que l’horizon européen soit absent de cette campagne, sauf pour s’en servir comme bouc émissaire.

En 1792, dans l'élan de renouveau qui les portait, les jeunes révolutionnaires français de 1792 affirmaient : « le bonheur est une idée neuve en Europe ». Le moins qu'on puisse dire c'est qu’aujourd’hui les débats européens ne sont pas des moments de grand bonheur ou de ferveur. À force de réduire la politique à la gestion économique et financière, l'Europe ressemble au conseil de gestion d'une holding chargée d'optimiser les performances du groupe des pays membres.

Comment une Europe notariale où chacun défend son pré-carré pourrait-elle constituer une nouvelle frontière pour nos engagements citoyens ? S'il est prudent qu'un notaire apporte sa contribution à toute union, il serait désolant que ce soit lui qui fixe les buts du vivre-ensemble. Les Européens ne sont plus les colonisateurs et les donneurs de leçons de l'univers. Cela doit-il les conduire à se replier pour cultiver leur jardin et à perdre le goût de la création et des valeurs universelles ? L'Europe a-t-elle un projet à proposer, non seulement pour elle-même, mais pour le monde ? Il faut méditer ces propos de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l'Europe, qui écrivait dans ses Mémoires : « Si l'Européen vit concentré sur lui-même, il ne pourra plus, ni pour son propre bonheur ni pour la civilisation, apporter la contribution qu'il a toujours fournie dans le passé, et qu'il ne peut apporter à nouveau qu'à condition de vivre en harmonie avec le rythme du monde qui l'entoure »

Le grand européen que fut le Président tchèque Vaclav Havel s’exprimait ainsi dans un discours sur “ L’âme de l’Europe : « Depuis longtemps, l’Europe n’est plus le chef d’orchestre universel (...) Une mission nouvelle s’offre à elle, et par là, un contenu nouveau de sa propre existence. Cette mission ne consiste plus à diffuser – pacifiquement ou par la force – sa propre religion, sa propre civilisation, ses propres inventions ou sa propre puissance. (..) Si l’Europe en a la volonté, elle peut accomplir une tâche plus modeste et bien plus utile : à savoir servir d’exemple, par sa propre manière d’être, pour démontrer que toute une variété de peuples peuvent coopérer pacifiquement, sans perdre pour autant une once de leur originalité. (...) Une autre occasion encore s’offre à elle : celle de se rappeler ses meilleures traditions spirituelles et les racines de ces traditions, pour chercher ce qu’elles ont en commun avec les racines des autres cultures ou sphères de civilisation »1.

Voilà de quoi nourrir le renouveau d’un engagement politique à la hauteur des problèmes de notre époque.

Bernard Ginisty

1 – Vaclav Havel : Discours sur L’âme de l’Europe prononcé le 15 mai 1996 à Aix-la-Chapelle.

Publié dans Signes des temps

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A QUI, A QUOI IMPUTER NOTRE SILENCE ACTUEL FACE A LA DIMENSION "EUROPE" DU VOTE PRÉSIDENTIEL ? <br /> Cet article offre une analyse hélas impeccable, et implacable, de l'état de l'Union. Et qu'opposer de mieux, effectivement, à ce tableau que l'appel que lançait Vaclav Havel :"Si l’Europe en a la volonté, elle peut accomplir une tâche plus modeste et bien plus utile : à savoir servir d’exemple, par sa propre manière d’être, pour démontrer que toute une variété de peuples peuvent coopérer pacifiquement, sans perdre pour autant une once de leur originalité". <br /> Ceci étant, ce n'est pas l'élection présidentielle dans laquelle nous sommes engagés qui est spécialement en cause dans le fait que nos débats nationaux s'écartent des véritables enjeux ou les traient sur un mode de plus en plus dégradé. Cette dévaluation du politique, cet abaissement de la vie démocratique, ce déni ou ce travestissement des défis européens, tiennent principalement au système institutionnel que la Vème république a configuré, et en premier lieu à la dégradation du débat public qu'a entraîné le mode d'élection du président de la République adopté en 1962. <br /> Les effets de l'un et de l'autre ont tardé à se se faire jour - parce que les personnalités d'exception (Charles de Gaulle, François Mitterrand) ou de qualité (VGE, Jacques Chirac) portées à la tête de l'Etat s'accordaient à l'étendue des pouvoirs captés par un président devenu le chef d'une monarchie élective. Cette adéquation disparue, ne sont restés que les traits d'un régime de pouvoir personnel issu d'une élection plébiscitaire. Existe-t-il, a-t-il jamais existé un exemple d'un régime plébiscitaire qui ait permis aux citoyens, qui leur ait créé les conditions, d'élever la vie publique au niveau où une nation se saisit en responsabilité des questions qui déterminent son destin ? <br /> Didier LEVY - 25 02 2017
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