Burkini ou bikini ?
Ainsi donc la polémique récurrente dite Du voile recommence sous une nouvelle forme. Je le dis tout de suite, j'étais et je reste hostile à l'usage des voiles intégraux type burqa dans la vie quotidienne, les lieux publics, la rue, comme signe discriminant (et oui, si les mots gardent un sens, c'est la différence avec le reste de la population qui est "discriminante", non les tenues communes). Leur caractère ostentatoire, voire provocateur, dont on peut tirer des interprétations variées, voire contradictoires, présente l'inconvénient majeur de stigmatiser (= marquer au fer rouge ou autrement, selon le dictionnaire Littré) les femmes qui les portent en attirant spécifiquement l'attention sur elles. Respectons les modes topiques ! Après tout, les pays musulmans n'acceptent pas la mini-jupe.
Sur les plages1, le burkini est-il plus indécent (sensu stricto = qui ne convient pas) que le string ou le monokini ? Met-il en danger, dans ces lieux de détente familiaux, les valeurs de notre culture (lesquelles en l'occurrence ?) ou de la République ? Est-il une insulte à la laïcité 1905, et en quoi ? La réponse n'est pas évidente – même si, je le répète, on peut être hostile à cette mode qui souligne la situation de dépendance des femmes musulmanes, quand bien même celles-ci l'accepteraient.
La preuve de cette complexité : les hésitations des responsables des piscines, des centres nautiques et bases de loisirs qui prennent des dispositions au coup par coup et pas toutes cohérentes.
Puisqu'on permet aux nudistes d'user de plages privées, va-t-on conjointement permettre aux musulmanes désirant se baigner d'obtenir des plages réservées ? Pour le coup, la laïcité serait peut-être davantage mise en question. Qu'on se souvienne de l'émotion liée à la réservation de créneaux horaires particuliers pour les femmes dans certaines piscines, y compris dans des communes dirigées par des socialistes.
Une question plus sérieuse se pose, en relation avec la mise en cause des modes de vie de notre société. L'éclosion de ce phénomène est-elle une pure coïncidence, ne représente-t-elle qu'une entreprise commerciale permettant d'écouler une marchandise nouvelle, comme le croit la sociologue des religions Danièle Hervieu-Léger ? Ou bien y a-t-il intention délibérée de certains milieux plus ou moins intégristes de tester le degré de résistance des autorités et de l'opinion françaises face à leurs exigences répétées et toujours plus revendicatrices d'imposer le plus possible de bribes de charya à toute une nation, qui y est étrangère ?
Question annexe : le voile intégral est-il théologiquement consubstantiel à l'Islam ? Il nous manque un pape ou un Saint-Office musulman incontestable qui nous dirait ce qu'il en est. Toutes les musulmanes qui ne l'ont pas porté, pendant des décennies, sont-elles vouées aux flammes de l'enfer ?
Le Premier Ministre, dont on peut ne pas apprécier le ton sur la question, a raison au moins sur un point : il s'agit bien « d’une bataille culturelle identitaire », comme l'avait été la querelle sur le voile à l'école2. Il faudra en sortir un jour en cessant d'improviser dans l'à-peu-près.
Enfin, puisqu'on en appelle constamment à nos valeurs, entendons en priorité liberté et égalité ; on peut partager le propos du sociologue de la laïcité, Jean Baubérot (peu suspect d'être communautariste), quand il s'interroge sur la discrétion demandée – à juste titre dans une perspective laïque – aux fidèles de l'Islam : « Comment appeler les religions à la discrétion dans leurs convictions et par ailleurs soutenir la liberté d’expression lorsque les caricaturistes s’en prennent à Mohammed ? »
Bref, comme disait Victor Hugo : « Ces choses-là sont rudes. Il faut pour les comprendre avoir fait ses études ». Cessons donc de dire n'importe quoi à propos de l'Islam, fut-il de France, et travaillons un peu en collaboration avec des philosophes et théologiens patentés, et pas seulement nos "spécialistes" médiatiques, sur ce qui est musulman et ce qui ne l'est pas.
Il faut être au clair et affirmer ce qu'on peut admettre, dans le cadre de nos lois et de notre style de vie, et ce qui n'est pas acceptable. Tout le monde étant prévenu agira comme il se doit et ceux qui ne pourraient se reconnaître dans les exigences de notre pays en tireraient les conséquences.
Comme écrivaient les Oratoriens sur le fronton de leurs collèges : « Entre qui peut, sort qui veut ».
Jean-Baptiste Désert
1 – Dans les piscines, des responsables de la sécurité sanitaire affirment qu'un vêtement complet pose des problèmes d'hygiène. Dont acte.
2 – Celle des cantines est d'un tout autre ordre et nécessiterait une autre réflexion.