Religions, sacré et laïcité
La laïcité est un principe qui doit permettre à une société de vivre en paix dans le respect de tous. Le « laios » est le peuple, dans sa diversité. Historiquement la laïcité s’est construite contre les religions, essentiellement la religion dominante – le catholicisme. Il fallait les remettre à leur place en les empêchant d’imposer leurs vues. Tant que valait l’adage « ejus regio, cujus religio » (le peuple avait la religion du prince), il n’y avait pas de problème. La religion ne pouvait pas être une pomme de discorde dans la société1. Mais dès la présence de deux religions, au seizième siècle, puis des « sans-religion », la légitimité à intervenir d’une religion dominante a été mise en brèche. La première exigence de la laïcité a donc été de renvoyer les religions au domaine privé. Mais entre l’État et le domaine privé se déploie toute la société, avec ses corps intermédiaires multiples. Ce renvoi au privé était donc trop réducteur, il fallait dépasser ce stade, voire aussi réexaminer la notion même de laïcité. Après avoir examiné le statut de la société, nous devrons considérer ce qu’exige la société vis-à-vis des religions, en nous penchant sur le concept de religion qui cache bien des facettes. Et cela amène à la question du sacré qui semble déborder toutes ces notions et être le nœud de la question de la laïcité.
Neutralité de l’État, laïcité de la société
En France l’État a depuis longtemps été hypertrophié. « L’État, c’est moi » affirmait Louis XIV. La nation française est née plus tard, avec la Révolution, et surtout les guerres révolutionnaires puis napoléoniennes. Bien différents sont les cas italien ou allemand, par exemple, qui ont créé un Etat pour parfaire la Nation, qui était première. La Nation est composée d’individus regroupés de multiples façons, les divers regroupements s’interpénétrant. Une même personne peut appartenir à une religion, être membre d’un syndicat, d’une fédération sportive, d’un regroupement culturel, habitant d’une commune, d’une région. Elle exerce sa citoyenneté à travers cette diversité. L’individu n’est pas une entité isolée, renvoyée à sa famille privée, il vit dans de multiples relations. La Nation se fonde sur un socle commun de valeurs (par exemple celles de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme), une histoire, un avenir commun. L’État est le fédérateur de cette multiplicité pour en assurer l’unité. La laïcité est là pour permettre à tous ces groupes de vivre, d’échanger, d’agir dans la société, dans le respect des autres, s’enrichissant des apports des autres, dans le respect des lois imposées par l’État pour maintenir la cohésion de l’ensemble. On comprend donc qu’elle se soit affrontée aux religions qui prétendaient à l’hégémonie et dicter à l’État son devoir. Mais limiter la laïcité à cette mise de côté des religions est par trop réducteur et ne garantit aucunement la possibilité d’un vivre ensemble de la Nation. L’exercice de la citoyenneté n’est pas uniquement individuel, chaque groupe peut s’exprimer, débattre, agir en tant que tel.
Pour permettre cette laïcité, l’État doit être neutre, mais non la société, sinon il n’y a plus débat ni échange, donc plus de citoyenneté. Entre l’espace privé et l’espace public de l’État, se trouve l’espace public social. Une mairie, une préfecture sont des lieux publics d’État, non pas les rues ni les entreprises, ni les espaces dévolus à la culture, au sport ou autres activités. Dans ces espaces ouverts, toute expression est possible, dans la limite des lois qui ne doivent pas opprimer mais libérer les citoyens. En ce sens l’interdiction de signes religieux dans l’enceinte de l’Ecole pose problème. Les élèves ne représentent pas l’État et ne sont nullement tenus à la neutralité, l’Ecole est un espace public mais non un lieu dévolu à l’autorité de l’État comme une administration, une caserne, etc. Cela explique probablement pourquoi l’interdiction des signes religieux ne s’est pas imposée à l’Université. Pour les écoles recevant des enfants mineurs les interdictions qui ont cours ont justement pour but d’éviter des comportements qui s’opposeraient au vivre ensemble (il serait peut-être plus judicieux d’interdire les vêtements de marque!), les enfants n’étant pas à même du recul nécessaire, ils sont encore en formation. Si les maîtres, dans leur fonction, doivent être neutres, c’est pour respecter cette diversité qui fait la Nation, pas pour imposer la neutralité aux enfants.
Que l’on soit prudent vis-à-vis des religions, qui ont toujours eu tendance à imposer leur vérité, c’est compréhensible, c’est nécessaire. Le combat n’est jamais fini. Cela mène à des durcissements des attitudes laïques, mais sur le fond il faut garder en vue le but : la possibilité d’un vivre ensemble en respectant toutes les conceptions et en leur permettant de s’exprimer, d’en rendre compte, d’échanger avec les autres. Il nous semble que certaines crispations actuelles sont de mauvais signes, quelque peu ridicules et témoins d’une agressivité qu’il faudrait justement dépasser2. La laïcité garantit le droit de chacun, seul ou à travers l’organisation de son choix, de décider de sa vie, de participer à la vie sociale, sans être contraint par les idéologies, dominantes ou non. Notre société est fondée sur un contrat social à l’intérieur duquel chacun, avec tout ce qu’il est, doit trouver sa place.
Un combat contre l’emprise du religieux
Ce combat de la laïcité n’est pas près de se terminer quand on pense à toutes les attaques subies du fait des « religieux ». Malgré ce qui est écrit plus haut, la religion est perçue encore très souvent comme l’obstacle à éliminer. Et quand on énumère tous les fondamentalismes, islamique, catholique, évangélique, juif ou autres, il faut bien reconnaître qu’il y a problème. Une réponse, souvent entendue, consisterait à éliminer le religieux, la question serait réglée. C’est le point de vue de ceux qui veulent autoriser le religieux uniquement dans la sphère strictement privée. En privé, l’individu est libre de penser ce qu’il veut. Une société athée, ou simplement agnostique, serait donc le meilleur antidote. Une telle solution, outre qu’elle est irréaliste (la puissance des religions, la pression des fondamentalistes sont là pour nous en persuader), semble aussi injuste : comment admettre que tout citoyen puisse s’exprimer, agir, s’engager, voire appeler d’autres à le suivre, au nom de sa philosophie, de sa conception de la vie, et pas de sa foi si c’est elle qui l’inspire3 ? Interdire l’expression religieuse serait un coup porté à la laïcité, ce serait refuser sa place à une partie de la population qui est tout autant que les autres liée par le contrat social, socle de notre vivre ensemble. C’est introduire dans le fruit le ver de l’intolérance. C’est récuser la fraternité, alors que la laïcité en est la fille. C’est parce qu’il y a la fraternité que les citoyens doivent se respecter, se tolérer, échanger, se confronter tout en maintenant la paix civile. Il faut donc se pencher sur le fait religieux pour définir la place qu’on peut lui laisser.
L’interdiction que s’est imposée l’État de toucher au religieux n’est peut-être pas une très bonne chose. Comme tout courant de pensée ou d’action, le religieux interfère avec la société et l’État, garant de l’unité de la Nation, ne peut pas s’en désintéresser. Alors il fait des contorsions pour contourner ses propres interdits, par exemple en déclarant sectes des religions qui l’inquiètent plus que d’autres, ou en soutenant en catimini les constructions des mosquées pour pallier à l’injustice subie par l’Islam qui était absent lors de la loi de séparation.
Les religions : leur statut, des raisons de leur mise à l’écart
Qu’est-ce qu’une religion ? On peut la définir comme un ensemble de croyances et de pratiques collectives par lesquelles les hommes entrent en relation avec une transcendance (y compris une transcendance dans l’immanence pour reprendre des formulations de philosophes contemporains). Cette transcendance n’est pas toujours un dieu unique éternel et créateur (par exemple dans le Bouddhisme ou le Confucianisme) et si l’on accepte cette définition, il semble que par exemple la franc-maçonnerie du Grand Orient ou le stalinisme ont toutes ces caractéristiques. Les uns comme les autres fondent leur rationalité sur des croyances a-rationnelles, que ce soit l’existence d’un dieu personnel (les Chrétiens, les Musulmans, les Juifs), d’un « grand ordonnateur » et d’une fraternité originaire pour les francs-maçons, ou encore l’homme nouveau à venir du communisme qui est la clé de voûte du reste. Les uns comme les autres ont leurs rites, leurs « grands-prêtres », leur corpus intellectuel, rationnel mais fondé sur certains a-priori. D’ailleurs toute personne, même hors de toute religion (ni rites, ni prêtres), fonde sa vie sur certaines hypothèses qu’elle est bien incapable de prouver. La généalogie de la morale de Nietzsche ou les recherches sur l’inconscient de Freud ne font que nous dire notre ignorance du socle qui fonde le sens de notre vie, sens qui pourtant nous est essentiel. C’est au nom de la rationalité que nous sommes tentés de refuser leur place aux religions, mais à y bien réfléchir cela nous mènerait à refuser sa place à quasiment tout groupe humain, à ne laisser place à rien entre l’État et le citoyen individuel, ce ne serait plus le dépérissement de l’État annoncé par Marx et Lénine, mais sa dictature. Le présupposé d’un dieu-amour est tout aussi a-rationnel mais efficient que celui qui ressort de la Déclaration des Droits de l’Homme. Peu importe pour la société le présupposé si nous pouvons nous mettre d’accord sur les valeurs qui la fondent.
Les religions seraient aussi discréditées à cause de leur histoire. Combien de guerres, de massacres, au nom de la religion ! Cela est bien vrai, et il est de leur responsabilité d’en tirer toutes les conséquences. Mais est-ce vraiment le fait religieux qui est à la source de tous ces crimes ? Dans une société dans laquelle la religion était omniprésente, dans laquelle les pouvoirs religieux interféraient avec les pouvoirs d’État, il est évident que la religion était mêlée aux conflits. Elle était aussi une façon de trouver son identité : est-ce à cause de la foi que s’est déroulé le massacre de la Saint Barthélémy, ou parce qu’il y avait deux partis qui se battaient pour le pouvoir ? Le peuple a été alors instrumentalisé et chacun s’est battu pour son camp. On pourrait analyser ainsi tous ces conflits, internes ou externes. Les conflits identitaires sont toujours meurtriers, la religion est une des voies pour définir une identité. Quant à l’inquisition, au moins celle qu’on cite ordinairement pour la vilipender, c’est avant tout une question de police politique, le pouvoir n’acceptait pas d’idéologie « déviante », la foi avait bien peu à voir en cette affaire. Nous descendons tous, croyants ou non, de ces populations qui s’entre-déchiraient pour bien des motifs qui, s’ils s’exprimaient en termes de religion, étaient autrement profonds et de toute autre nature.
Il reste que certaines exactions ont bien été perpétrées au nom de la Foi, et que cela continue par exemple maintenant avec les islamistes. Il ne suffit pas de dire que ce n’étaient pas de bons chrétiens ou qu’actuellement ce sont des musulmans dévoyés. Bien sûr l’Islam est utilisé, instrumentalisé, sert à dévoyer des gens pour en faire des combattants, sert aussi d’identifiant. Les questions d’identité, de reconnaissance identitaire sont très présentes dans les problèmes actuels. Mais il faut reconnaître que tous ces fondamentalismes (islamique, catholique, évangélique, juif) sont des excroissances des religions, sont profondément anti-laïques, et parfois criminels. Nous pensons qu’il faut aller au-delà des religions pour comprendre ces phénomènes.
Le sacré et la laïcité
C’est à la notion de sacré que nous nous heurtons. Dans un monde qui l’englobe et l’angoisse, l’homme s’accroche à un ordre indiscutable, intangible, auquel il se soumet pour se situer, pour user de sa liberté dans un cadre sécurisant. Le sacré est un absolu qui assigne à l’homme sa place dans le monde. C’est le « gnothi seauton » de Delphes, le « connais-toi toi-même » signifie « connais ta place » (et non quelque injonction psychologique ou morale) dans un monde ordonné par les dieux. Le sacré ne se discute pas, il est dans l’immédiateté sans la réflexion qui le mettrait en perspective, immédiateté du rapport entre l’homme et lui. A valeur de sacré ce qui met l’homme en consonance avec l’univers, dans un rapport immédiat. Ma liberté n’existe que dans un certain ordre, le sacré est l’ordre du monde. Il est intangible, le toucher est mortel (« voir Dieu et mourir »), il ne peut y avoir de sanction intermédiaire. Les hommes se regroupent autour de ce sacré qui les lie, tout transgresseur est exclu, tout ce qui est extérieur au groupe est refoulé, combattu, éliminé. L’homme, dans ce groupe où il trouve son identité, peut alors assumer toutes les conduites, même celles qu’il réprouverait totalement dans un autre contexte. Les exemples foisonnent qui sont évidents. En grattant un peu, on peut constater que cette réalité est sous-jacente à bien des situations dans lesquelles on ne pense pas immédiatement au sacré. Il peut être représenté par des objets symboliques, mais aussi des lieux, des temps, des idées. C’est un ordre irrécusable qui donne une grille de lecture pour évacuer l’anarchie du monde. L’homme a toujours construit du sacré, qui dépasse de loin les religions. Il paraît uniquement religieux ou quasi-religieux mais il est bien plus vaste. Il avance caché mais n’en est pas moins prégnant.
Ce sacré était ancré principalement dans la nature dans laquelle l’homme était plongé sans la dominer. La « technique »4 l’a détruit, mais elle a pris sa place. Elle est omniprésente, dans nos vies jusqu’au plus intime5. Le fait que l’on doive accepter cet envahissement manifeste qu’il est de l’ordre du sacré. Remettre en question l’intrusion du monde technique, c’est se mettre hors de la société, c’est une mort sociale. Qu’on se souvienne de ces accusations récurrentes d’archaïsme envers ceux qui discutent ce nouvel ordre du monde. La réponse en défense à ce sacré se trouve dans tous les discours sur la liberté individuelle, essentiellement sexuelle. Je fais ce que je veux de mon corps et le monde technologique n’y peut rien, n’a pas sa place dans ce domaine. Et l’on crée le sacré du corps, du sexe (auquel répond le sacré du corps caché de la femme dans l’Islam).
Il y a aussi l’État-Nation qui a remplacé Dieu et le roi. On lui doit tout, sans remise en question. Un sacré qui impose sa loi partout et auquel on oppose la Révolution, notion sacrée s’il en est, dévoreuse de ses enfants, toujours. La surveillance généralisée (téléphone, courrier, déplacements...) doit être acceptée, sinon c’est le signe qu’on a quelque chose à se reprocher, qu’on n’est pas un bon citoyen, qu’on est hors des clous. Un autre exemple se trouve dans la notion de patrie, la Patrie qui mange ses enfants. Svetlana Alexievitch6 donne tous ces témoignages de femmes qui, très jeunes filles, sont parties au front pour sauver la Patrie, la cause était sacrée, indiscutable, il fallait offrir sa vie quel qu’en soit le prix.
Sont aussi sacrés les personnages symboles du nouvel ordre : le footballeur par exemple représente le caractère sacré de l’argent et de la soumission à l’ordre – un travailleur au SMIC ne remet pas en question les salaires pharaoniques, le joueur qui a des écarts de langage envers ses dirigeants est immédiatement puni, écarté, exclu.
Entre autres tâches, les religions ont celle de gérer le rapport de l’humanité au sacré, mais il leur est antérieur et beaucoup plus ancré dans le cœur de l’homme que sa religion, il est beaucoup plus consubstantiel à l’homme, la religion dans certains cas peut s’en passer. Par deux fois le christianisme a entrepris une désacralisation du religieux. D’abord pendant les deux premiers siècles de sa fondation. C’est bien, entre autres, cette opération de désacralisation qui a valu au Christ son sort, que les premiers chrétiens ont été traités d’athées et ont été poursuivis. On peut dire d’ailleurs que le christianisme n’était pas une religion, il s’est bien rattrapé par la suite, principalement à partir du début du quatrième siècle avec Constantin puis avec le code édicté par Théodose en 391. Là où il avait désacralisé, il a reconstruit du sacré avec une force accrue. Puis au seizième siècle la Réforme a entrepris la même opération, mais pour peu de temps ! L’ordre intouchable du sacré s’est abattu sur Genève avec Calvin, Luther n’était pas en reste. On dirait que l’humanité ne peut s’en passer, le rebâtit et le renforce partout où elle le met en cause. Depuis les années 50 l’Église catholique s’attaque à nouveau au sacré, avec des hauts et des bas mais l’entreprise est en route, à ne pas confondre avec la sécularisation qui lui est parallèle. Ceci explique la violence des réactions des fondamentalistes, on ne peut pas toucher au sacré ! Il ne s’agit pas seulement de coutumes que l’on rangerait au placard et auxquelles certains tiendraient, il s’agit du cœur de ce qui fonde la place de l’homme dans le monde. Le toucher leur est proprement insupportable.
Qu’est-ce qui est sacré ? Où joue-t-il ?
Chez les salafistes, on a le Coran (impossible de le discuter, d’évoquer son exégèse, autrefois même de le traduire), le prophète, la Kaaba, la charia, le hallal, etc. Cela pour le sacré proprement religieux. Il y a aussi le corps de la femme qu’on ne peut voir (le voile intégral) ni toucher (serrer la main), qui doit mourir s’il est souillé. Du côté sacré négatif on trouve les tabous : le porc, l’alcool (il est contradictoire d’interdire l’alcool et non la drogue alors que le prophète avait interdit « ce qui fait perdre la raison », mais l’alcool a reçu ce caractère sacré alors qu’on ne parlait pas encore de drogue, donc il est tabou sans que la drogue ne soit interdite). Ce sacré s’impose au monde, celui qui le transgresse n’a pas droit à la vie.
Dans le christianisme, principalement les catholiques et les orthodoxes, la « Parole de Dieu » prise à la lettre, malgré les contradictions, au nom de laquelle on s’attaque au « mariage pour tous », aux discussions sur l’éthique (avortement, fin de vie, etc.), le prêtre qu’il faut mettre à part, garder vierge (intouché), le « dogme » que l’on a bien du mal à définir mais permet d’interdire la réflexion, etc. Dans le halo du christianisme, on trouve le sacré de bien des sectes : interdiction du sang, des interventions chirurgicales chez certains, etc.
Le sabbat des Juifs, ou le kasher, est du même ordre, avec tous les interdits qu’on ne peut plus compter.
On peut aussi se tourner vers le stalinisme. Au-delà du rôle machiavélique des dirigeants qui l’instrumentalisent à leur service, on découvre un sacré interdisant au peuple toute réflexion, toute prise de distance. On ne discute pas ou on disparaît. Lors des purges staliniennes de 1937, c’était la mort physique, après la guerre la mort par le goulag. Le Parti est sacré (et donc son chef !) : songeons à tous ces vieux communistes, combattants de la première heure, victimes de la répression et des procès mais incapables de se séparer de la machine sacrée qui les broyait.
Le sacré semble tellement inhérent à l’homme que les religions, lorsqu’elles l’ont détruit, le recréent sur ses cendres. C’est le sacré, plus que les religions, qui est cause de luttes, de guerres, de crimes dont l’humanité ne sort pas. Evidemment il est aux antipodes de la laïcité, laïcité comme possibilité de vie commune dans le respect des uns et des autres, de l’enrichissement des uns par les autres au-delà des divergences qui sont reconnues et assumées. Laïcité fille de la fraternité qui est une des valeurs fondamentales de notre société.
La laïcité exige de se méfier des religions, toujours prêtes à imposer leur vérité. Elle ne doit pas les brimer, comme elle ne doit brimer aucun courant de pensée, aucune communauté d’action. Mais il est encore plus important de débusquer les lieux où se cache le sacré car c’est par ce biais que le vivre ensemble est le plus profondément empêché, que la laïcité est mise à mal.
Marc Durand
1 – Évidemment ce n’était pas idyllique, les responsables religieux usant de leur pouvoir pour mettre au pas le peuple lorsque celui-ci était considéré comme récalcitrant, comme dans le cas de l’inquisition. Par ailleurs l’affirmation de l’unicité de la religion a servi à discriminer les Juifs, qui de ce fait n’avaient pas droit de cité.
2 – Je pense par exemple à l’interdiction des crèches dans les halls de quelques mairies. La crèche est une tradition remontant au 13e siècle de type folklorique. Elle n’impose aucune vérité, peut être vue comme l’imagerie d’un « conte merveilleux ». Il y a longtemps que la fête populaire de Noël n’appartient plus aux chrétiens, qui d’ailleurs avaient eux-mêmes« baptisé » la fête païenne d’entrée dans l’hiver. Ce combat contre des crèches a permis aux identitaires et autres fondamentalistes de revenir au devant de la scène pour s’attaquer à la vraie laïcité.
3 – On dit souvent que la différence vient du fait que la religion serait irrationnelle. Ses présupposés sont a-rationnels, cela comme ceux de toute philosophie. Il n’est pas plus rationnel de croire au Progrès, aux « lendemains qui chantent » ou à « l’homme nouveau » qu’à un amour universel à l’œuvre dans le monde. L’expérience spirituelle qui fonde notre vision de la vie est toujours un pari, y compris celle qui nous assure de l’amour de notre conjoint.
4 – Nous signifions par là le monde technique, l’ordre actuel du monde, non tel ou tel objet technique, ce monde qui prétend avoir libéré l’homme.
5 – Jacques Ellul a fort bien étudié ces phénomènes et montré leur dangerosité, par exemple dans « Les nouveaux possédés », éditions des mille et une nuits, 2003.
6 – Svetlana Alexievitch, La guerre n’a pas un visage de femme, Presses de la Renaissance, 2004.