La tentation de l’ostentation
Le port public d’insignes indiquant ses convictions soulève une question épineuse. L’acte ne semble pas foncièrement coupable, à la condition qu’il ne vise pas à saper les fondements du contrat social. Or il peut le faire de deux manières. D’abord en proclamant des principes qui sont radicalement contraires à ceux qui fondent notre société : par exemple, en affirmant légitimes des discriminations de race ou de sexe. Ensuite, en procédant à une sorte de harcèlement ostentatoire à l’égard des autres occupants légitimes du même espace ; et là, nous sommes dans l’échelle mobile des degrés d’appréciation et dans les incertitudes de la notion de trouble à l’ordre public : la longueur de la croix portée au cou, la largeur de l’insigne annonçant son appartenance à un parti, l’exhibition d’un accoutrement symbolisant sans équivoque l’adhésion à une idéologie, la visibilité d’un slogan sur un tee-shirt, etc.
L’appel à la discrimination tombe sous le coup de la loi et doit donc être réprimé. Le harcèlement ostentatoire ne peut guère être combattu que par la régulation qui maintient tant bien que mal, et, me semble-t-il, plutôt pas si mal dans l’ensemble, les règles de la bienveillance, de la modestie, et de la politesse dans les rapports humains. Les rugueux et les bilieux à la personnalité dilatée y verront un conformisme moutonnier, les heureux pacifiques jugeront qu’il est préférable de vivre dans une société où elles sont plus courantes que les comportements inverses.
Mais le voile islamique n’est nullement le signe d’une appartenance religieuse, ostentatoire ou pas, puisque les hommes musulmans ne le portent jamais (les Touaregs et consorts ne s’en recouvrent évidemment pas pour des raisons confessionnelles). C’est une obligation d’origine religieuse imposée exclusivement aux femmes, que naturellement les convaincues s’imposent à elles-mêmes avec ferveur et prosélytisme ; et dans les pays où règne l’intégrisme musulman on l’impose justement à toutes les femmes quelle que soit leur confession, en raison du caractère spécifique prétendu de leur nature de femme qui en cela les discrimine des hommes. Le porter ou en recommander le port revient donc à proclamer ou à tout le moins tolérer une inégalité entre les sexes, que les sophistes dissimuleront sous le voile du différencialisme sans ne convaincre personne qu’eux-mêmes. Ce n’est qu’à ce titre qu’il est légitime de l’interdire. De même, le clergé catholique offre des emplois de prêtres, intégrés dans le monde du travail par des droits sociaux, dont les femmes sont exclues au nom d’une vocation spécifique aux furieux relents d’infériorité. Il y a là une discrimination à l’embauche infiniment plus intéressante à relever pour les phobiques de la calotte que les batailles contre des figurines d’argile colorées héritées des Saturnales, mesquineries qui font honte à la laïcité, et qui risquent de mettre en péril un jour la loi de 1905.
Cela dit, le législateur a agi sagement en s’appuyant sur les traditions bien implantées issues de la loi de 1905 pour interdire le voile à l’école plutôt que d’engager une épuisante bataille sur le terrain de l’apartheid du sexe (l’interdiction de la burqa a une autre justification dans la loi), et s’il ne se sent pas en état de résister à toutes les discriminations de sacristie au pays où la Manif pour tous a ressuscité la Sainte Alliance, force lui est d’en tolérer certaines. Mais ce concept de tolérance mériterait d’être assumé haut et fort pour sortir de l’hypocrisie tout en proclament qu’il y a des comportements en sursis que la République tient à l’œil en attendant d’être en mesure de les éradiquer. Parallèlement, puisqu’il faut faire face à la concurrence des niaiseries, il serait utile de compléter la loi de 1905, comme on l’a fait pour celle sur la burqa 1, d’une liste d’objets traditionnels d’origine religieuse utilisables sans référence au culte auquel ils ont pu être reliés : la statue de la déesse Thémis, le caducée du dieu Hermès, le gui des druides du jour de l’an, la croix de la Croix Rouge, celle des armoiries de Marseille, Toulon, la Savoie, le croissant qui orne celles d’Allauch et qui s’offre aux regards dans toutes les boulangeries, le Père Noël, les étoiles et sapins, les gâteaux des Rois, etc.
Alain Barthélemy-Vigouroux
1 – Loi n° 2010-1192 du 11/10/2010 : Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. [...] l'espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
L'interdiction [...] ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.