La « révolution » de Pâques
Dans l’épître aux Colossiens, un des textes les plus toniques du Nouveau Testament, Saint Paul écrit « vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui, pour accéder à la connaissance, ne cesse d’être renouvelé à l’image de son créateur » 1. Il définissait ainsi ce que j’appellerai la pensée de la résurrection : accéder à la connaissance n’est possible qu’en gardant le contact avec le renouvellement créateur. Paul annonce ainsi que le réel déborde éthiques et idéologies. Il est d’abord événement qui nous arrive et dépasse tout ce que nous pourrions attendre. Le rôle central occupé par la Résurrection dans la foi chrétienne est de l’ordre de la naissance dans une vie d’homme. C’est un commencement absolu qu’aucune nécessité n’exige. Il n’est pas plus possible de coloniser cet événement que de négocier sa propre naissance. On le reçoit dans la reconnaissance ou dans la révolte comme une initiative qui nous précède.
La Résurrection manifeste que la force vivante en tout homme est plus radicale que ses peurs, ses échecs et ses enfermements. Elle indique, suivant l’étymologie du mot Pâques, que l’aventure humaine se réalise non dans la possession, mais dans le passage.
Dès lors, au lieu de nous consacrer à une croissance sans fin dont la pensée unique économiste nous rebat les oreilles, nous sommes invités à la fécondité. Il n’est pas indifférent que deux des principales maladies de notre temps, le cancer et l’obésité, soient des maladies d’un excès de croissance par rapport à la sagesse de la vie. Remplacer l’idée de croissance par celle de fécondité, c’est refuser de faire du monde une continuelle excroissance du moi. C’est prendre conscience que notre accomplissement est de permettre à d’autres de naître et de commencer autre chose que ce que nous avons entrepris au lieu de succomber au mythe de l’éternelle jeunesse qu’entretient la publicité.
« La fécondité, écrit Emmanuel Levinas, continue l’histoire, sans produire de vieillesse ; le temps infini n’apporte pas la vie éternelle à un sujet vieillissant. Il est meilleur à travers la discontinuité des générations, scandé par les jeunesses inépuisables de l’enfant » 2.
Pour cela, il faut libérer l’homme de l’aliénation économique qui peut prendre deux formes : celle de la misère qui l’empêche de vivre, celle de la soumission à l’impératif de la croissance infinie qui commande de consommer sans fin. C’est ce que Levinas appelle accomplir une révolution : « Je ne pense pas, écrit-il, qu’on doive définir la révolution d’une manière purement formelle, par la violence ou le renversement d’un ordre donné. Je ne pense même pas qu’il suffise de la définir par l’esprit de sacrifice. Il y eut beaucoup d’esprit de sacrifice dans les rangs de ceux qui suivirent Hitler. Il faut définir la révolution par son contenu, par les valeurs : il y a révolution là où l’on libère l’homme, c’est-à-dire là où on l’arrache au déterminisme économique. Affirmer que le personnel ne se négocie pas, ne donne pas lieu à marchandagec’est affirmer le préalable de la révolution » 3.
Le Passeur de Pâques nous montre que notre plus grande tâche est de transmettre le goût de naître et de commencer, par delà les enfermements mortifères des idéologies de l’avoir, du savoir et du pouvoir.
Bernard Ginisty
1 – Épître aux Colossiens 3,10
2 – Emmanuel Levinas : Totalité et Infini, éditions Martinus Nijhoff Publishers, 1984, page 246
3 – Emmanuel Levinas : Du sacré au saint, éditions de Minuit, 1981, page 24