« Tout homme est une histoire sacrée »
Avec quelle vigueur retentit en ce beau dimanche dans la petite église de mon village ces belles paroles d'un chant bien connu. Et moi-même de poursuivre avec des trémolos dans la voix : « l'homme est à l'image de Dieu ». Il n'est sans doute pas anodin que l'auteur unisse ces deux phrases.
Qu'il est beau, qu'il est bon de chanter à l'unisson !
Mais, au moment du geste de la paix je me surprends à dissimuler un léger retrait envers ma voisine. La personne assise à mes côtés n'est rien d'autre que la vieille dame qui, la semaine dernière, d'une parole quelque peu acerbe a blâmé mon retard à la messe.
Elle à l'image de Dieu ? Son histoire une histoire sacrée ?
Et mes pensées de s'envoler…
Que dire de ce clochard à la sortie de l'église qui tend la main après avoir essuyé son nez tout morveux ? Et puis mon voisin qui ne cesse de médire sur toute personne osant quelque peu empiéter sur sa place de parking (même s'il peut, sans encombre, sortir sa voiture) et puis que dire de… de … non je préfère m'arrêter, de peur d'en arriver bien vite à tous ces génocidaires qui, au mieux, méritent la peine de mort.
« Tout homme, une histoire sacrée » ? Le chanter est une chose, le croire, en est une autre.
Sur le chemin de retour, toute à mes réflexions, je me surprends à sourire devant ce gamin de quatre ans qui, avec volupté, saute à pieds joints dans toute les flaques d'eau qu'il croise. Son grand-père tente vainement de le détourner, mais toute petite retenue d'eau l'attire comme un aimant.
Devant mon regard amusé, c'est toujours plus drôle quand ce ne sont pas les vôtres, le grand-père murmure en me croisant : « tel père tel fils ; c'est tout son père ». J'ai du mal à imaginer un enfant espiègle en cet homme austère au sourire souvent pincé, que je croise régulièrement lorsque je rentre à la banque. En effet ledit « son père » c'est mon banquier.
Mon imagination s'emballe et rien ne peut désormais l'arrêter. J'imagine en culotte courte cet homme au visage fermé en train de faire rager sa mère, son père. Difficile de voir en ce quinquagénaire un enfant rieur, désobéissant, qui aime goûter la vie. Se peut-il que ce visage adulte si souvent grognon ait gardé quelque trace de son espièglerie d'antan ? Serait-il possible, même, de la re-susciter ?
Difficilement croyable !!!
Un auteur met dans la bouche d'une vieille paysanne ces mots surprenants, qu'elle prononce tout en montrant son front : « j'ai, là, un certain jour »… Un certain jour ? N'est-ce pas dire que cette femme sait présente au plus profond d'elle-même – même si à première vue, nul ne peut la voir – cette lumière capable de l'illuminer ? « Ce jour » est constitutif de sa personne ; c'est même le mystère qui lui donne son identité. Elle seule peut le dire, car c'est elle qui ressent la chaleur de cette lumière qui peine à éclairer son entourage
Où est l'homme ? Comment le connaître ? Comment le définir ? Où le situer ?... sinon en ce lieu secret où sa vie s'enracine en Dieu Au-delà de notre raison, au-delà de nos limites au-delà de notre péché, au plus profond de tout, il y a le jour, le jour éternel, le jour infini, le sacré.
N'avons-nous pas expérimenté qu'un vieillard, plongé dans les abîmes de la maladie d'Alzheimer, tout comme un idiot, un débile mental répond au sourire de la bonté ?
Il y a quelque chose aux racines de leur être qui s'éveille, comme par enchantement et qui, à l'image du tournesol se dirige vers le Soleil. Ils respirent alors Sa manière, ils respirent l'Infini"
Poursuivant ma route, ce sont ces mots qui rythment alors mon pas : « Tel père, tel fils » , et cette ritournelle répond comme en écho au refrain de Didier Rimaud : « tout homme est une histoire sacrée ».
Si je me reconnais enfant de Dieu, fille du Père, Père de tous les hommes, un lien de parenté m'unit à tous les hommes ; c’est le lien au Père qui nous rend frères. Tel père, tel fils peut alors se décliner tel Père, tels fils. Le sacré qualité propre de Dieu habite tout homme ! Là, s'enracine notre conformité au Père commun : du sacré, mis en germe en chacun d'entre nous de façon quasi congénitale oserais-je dire.
Christian de Chergé, lors d'une retraite qu'il prêche aux Petites Sœurs de Jésus à Mohammedia en novembre 1990, commente le "Lève-toi... viens-t'en !" (Cantique des cantiques 2,10). Il cite Saint Bernard : "Avance jusqu'à toi-même pour rencontrer ton Dieu " et il poursuit : « ce pèlerinage intérieur invite à aller jusqu'au tréfonds de soi-même là où Dieu non seulement nous voit, nous crée, mais est. Là où l'Esprit vit. Là où la source jaillit. Ce tréfonds de nous-mêmes qui dit : Abba, Père (...) Le regard de Dieu ne cesse de nous voir là où il nous a créés. Et il vit que cela était bon. Il y a toujours en nous un point vierge où seul le regard de Dieu peut se poser. »
Le Sacré ne serait il pas ceci : ce qui, en nous, est le plus profond, le plus authentique, le plus infini, le plus éternel ?
Ne serait-ce pas cet espace illimité de lumière et d'amour qui cohabite en l'être limité que nous sommes ?
Ne serait-ce pas ce qui en nous, devient ferment de joie et de liberté, si nous acceptons de l'identifier et de le libérer ?
Je ne sais.
Mais ce à quoi je m'engage, amis lecteurs, sans même en imaginer les fruits c'est d'y penser au moment de franchir le seuil de la banque la prochaine fois.
J'accueillerai ce Sourire qui dort trop souvent au fond de moi, afin qu'il illumine mon visage et réveille celui de l'enfant espiègle qui lui aussi sommeille derrière ce bureau où s'empilent des dossiers.
Car, en fait, au plus profond de moi je le sais, je le crois :
« tout homme est une histoire sacrée, l'homme est à l'image de Dieu » !
N'est-il pas ?
Nathalie Gadea