Vous avez dit : « social » ?

Publié le par G&S

Le Secours Catholique vient de publier son rapport annuel concernant l’année 2010 1. Il porte principalement sur l’aggravation de la situation des jeunes dans notre pays. Près d'un jeune sur cinq est concerné par la pauvreté. Les 18-25 ans représentent 12% des bénéficiaires, une proportion plus importante que dans la population française (près de 10%). Selon Bernard Thibaud, secrétaire général du Secours catholique, les jeunes de 18 à 25 ans « sont aujourd'hui les plus touchés par la pauvreté, bien plus que les personnes âgées. Le passage du jeune à l'âge adulte est devenu plus difficile car les trois facteurs qui soutenaient son autonomie (la famille, l'emploi, le logement) sont fragilisés ».

Plus d'un tiers des jeunes accueillis vit dans des "substituts de logement" (hôtel, amis, centre d'hébergement, abris de fortune, caravane...). Peu accèdent à des logements sociaux. Ils rencontrent de vraies difficultés à stabiliser leur vie professionnelle, ont peu de ressources et des contrats de travail précaires. Autre constat : pour la première fois, la proportion de personnes ayant un niveau d'étude supérieur (39,8%) est plus importante que celle n'ayant pas dépassé le primaire (36,6%). Cela démontre que « même le niveau d'étude supérieur ne met pas à l'abri de la pauvreté ».

Face à cette situation, on nous explique une fois encore que le social est une charge et qu’il faut donc, à marche forcée, être de plus en plus compétitif et performant. Or, tant que le dogme qui fait du social un sous-produit de l’économique restera celui des gouvernants, il y a peu de chances que l’on réponde à l’ampleur de la crise.

Dany-Robert-Dufour.jpgC’est ce qu’analyse avec beaucoup de justesse Dany-Robert Dufour dans une tribune du journal Le Monde : « D'où vient donc cette courte vue qui pousse à croire que les remèdes à la crise sont économiques ? Cette illusion émane des théories ultra et néolibérales elles-mêmes qui prennent l'économie marchande et financière pour référence unique. Du coup, ce sont les autres grandes économies humaines qui sont oubliées, avant d'être mises au pas : les économies politique, symbolique, sémiotique et psychique. Nous vivons en quelque sorte dans un nouveau totalitarisme sans le savoir, découlant de l'impérialisme théorique de l'économisme néo et ultralibéral faisant l'impasse sur tous les autres secteurs où les hommes échangent entre eux : qu'il s'agisse des règles pour gouverner la cité, des valeurs dont ils tirent des principes, des discours porteurs de signes à la recherche du sens, des intensités et des flux pulsionnels mis en jeu 2 ».

On aimerait que la légitime préoccupation de nos gouvernants à bien remplir leur copie pour mériter la note triple A des agences de notation dont le paradigme fondamental, en matière financière, est justement celui qui a conduit à la crise, s’accompagne d’une mobilisation encore plus importante face à la dégradation du tissu sociétal dans notre pays.

Bernard Ginisty

1 – Rapport statistique 2010 du Secours Catholique, novembre 2011.

« En 2010, le nombre de personnes aidées par le Secours Catholique augmente : 1.492.000 personnes rencontrées, soit + 2,3 % par rapport à 2009. La proportion de situations de pauvreté déjà connues augmente aussi (35 % en 2010). Un des premiers constats est que le Secours Catholique accueille de plus en plus de familles avec enfants : 52,7 % des situations rencontrées. Par ailleurs, 92 % des ménages sont bien au-dessous du seuil de pauvreté. Les jeunes subissent de plein fouet la crise économique et sociale ; ils sont plus diplômés, plus qualifiés que les générations précédentes mais paradoxalement plus précaires. Ils cumulent tous les risques et toutes les difficultés. Ils devraient bénéficier d’un certain nombre de droits (formation, emploi, santé, logement) mais ce n’est pas le cas. L’État est globalement peu présent à leurs côtés. Ainsi, 30 % des jeunes accueillis par le Secours Catholique sont sans aucunes ressources, 36 % vivent en logement précaire, et plus de 40 % sont au chômage » http://www.secours-catholique.org

2 – Dany-Robert Dufour : Fukushima, dettes ou « affaire DSK » : nos sociétés vivent une dépression financière, mais aussi morale et intellectuelle. In journal Le Monde du 30 octobre 2011.  Dany-Robert Dufour est professeur de sciences de l’éducation à l’université Paris VIII. Il est l’auteur de l’ouvrage : Le Divin Marché. La révolution culturelle libérale. Éditions Denoël 2007.

Publié dans Signes des temps

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article