Voulons-nous des prêtres « modelés » ?
Une phrase du témoignage d'un séminariste de 21 ans, Louis-Emmanuel, publié dans Fécamp Forum, journal de
la paroisse Saint-Guillaume à Fécamp : « (…) pour
ma part, je suis entré au séminaire à 18 ans et je ne le regrette pas. Plus on rentre âgé, plus il est difficile de se remodeler… » me
pousse à poser la question suivante :
Quels prêtres veut-on et pour quelle Église ?
Ces jeunes hommes, que le séminaire « modèle », je dirais même « formate », ces jeunes hommes, souvent issus de milieux préservés, à la fois socialement et culturellement, connaissent-ils le peuple de Dieu ? Pas celui des églises du dimanche, plutôt celui des pauvres, de ceux qui ne reçoivent pas d’amour, n’ont aucune sécurité de vie, ceux que notre Seigneur, laveur de pieds, appelle ses amis, et dont Il dit à longueur d’Évangile que le Royaume des Cieux est à eux ?
Ces jeunes hommes ont-ils senti le feu redoutable de Dieu ? Le feu qui détruit les idées toutes faites, le feu qui chaque jour oblige à se remettre en cause, pas pour savoir si on a bien respecté les normes imposées dans l’Église, mais si on a su donner de l’amour, surtout à ceux qui nous dérangent, qui nous questionnent, qui sont si différents de nous ? Les Évangiles, les Épîtres, les deux Testaments sont des paroles brûlantes, qui secouent, qui exigent une remise en cause permanente, loin des piétés… qui ne changent pas un iota de la vie.
Ces jeunes hommes sont-ils les prophètes que l’on attend, qui labourent les esprits et les fécondent ?
Est-ce qu’ils se conduisent comme le père du fils prodigue, qui laisse à son fils la liberté de choisir son chemin puis qui lui pardonne et l’accueille ?
Ces jeunes hommes sont-ils matures, dans leur cœur et dans leur corps ? Ont-ils éprouvé la souffrance, ont-ils éprouvé le désir ? Savent-ils ce que c’est que la responsabilité d’une famille, pour juger de ce qui est bien ou mal en famille et dans l’intimité d’un couple.
Les prêtres doivent être à l’avant-garde de l’Église, et non regarder vers le passé comme la panacée. L’Église a bien souvent changé, chaque fois qu’elle s’est trouvée trop en retard sur la création de Dieu, qui comme on sait, continue entre les mains de tous.
Faut-il avoir peur de demain ? N’est-ce pas notre responsabilité de construire demain à partir d’aujourd’hui, en fonction des changements techniques, sociaux, et même moraux. Notre devoir n’est-il pas d’accompagner, de construire, de devancer, plutôt que de freiner ? 1
Il semble aussi que désormais on va supprimer dans les séminaires l’aide des psychologues pour aider les jeunes à un meilleur discernement quant à leur engagement : on voudrait les « piéger » qu’on ne ferait pas mieux !
Ces prêtres « modelés », « formatés », quelle Église nous construisent-ils ?
Une Église d’adultes responsables, debout, et libres de choisir le chemin de la foi vers un Dieu père, tout puissant d’amour ? Ou une Église d’enfants, même vieux, soumis à un Dieu imprécateur, culpabilisateur et finalement juge ?
Une Église qui partage ses espérances sans les imposer (« nous sommes tous des éclaireurs »), ou une Église coincée dans des certitudes ou des dogmes inexplicables ? « Le shabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le shabbat » (Marc 2,27) : voilà une parole forte qui remet bien l’indispensable Tradition à sa juste place.
Une Église qui défend les riches ou les pauvres ? 2 Une Église pour les gens en souffrance ou pour les gens « bien dans la ligne » ?
Que veulent nous dire ces jeunes prêtres qui réclament des pèlerinages, des processions, des dorures, des dentelles… et une scénique des puissants et des faibles ?
Qu’ils veulent retrouver une position dominante dans la société et s’en donnent les signes ? Qu’on ne dise pas qu’il s’agit de déférence envers notre Seigneur et Maître ! Lui-même ne le voulait pas. Non, ne s’agirait-il pas d’abord de récupérer un statut social, alors que justement les prêtres doivent se mettre au service des autres, dont ils sont les premiers prochains ? (car on ne peut avoir deux maîtres à la fois, Dieu et l’argent, c’est-à-dire le pouvoir) Le sacré ? Non, on nous demande d’être des saints, pas des danseurs d’une danse complexe dont on ne connaît plus le sens, mais qu’il faudrait reproduire justement parce qu’on ne le comprend pas. C’est la Tradition utilisée non comme signe de communion, mais comme cadre de vie, bien clos. Où, dans le Nouveau Testament, Jésus, de près ou de loin, manifeste qu’il veut à son égard, ou à l’égard de son groupe (qui n’était pas alors une « Église ») quelque chose qu’on pourrait assimiler à de l’adoration ?
L’occident chrétien est tellement paniqué par le manque de prêtres, qu’il oublie facilement que Jésus est un nomade qui mange avec les impurs et parle aux prostituées.
N’oublie-t-on pas quelque peu les Évangiles… et notamment l’histoire de la Samaritaine… « L’heure viendra où on n’adorera plus le Père ni sur la montagne (de Samarie) ni dans le temple (de Jérusalem), mais en esprit et en vérité » (Jean 4,23-24). Jésus a choisi des apôtres (hors de l’Église instituée, hors de la tribu de Levi) pour transmettre son enseignement, car tout continue et le Royaume se construit toujours, jour après jour. Mais cela ne veut-il pas aussi dire que l’Église qui serait figée ne peut être le centre de la foi, la référence obligée ? 3
L’Église s’est ouverte au monde, à la suite de Vatican II : oui, nos paroisses se sont embarquées au service de la paix, de la justice, de l’Amour : n’est-ce pas ce que les Évangiles réclament ? N’est-ce pas ce que le Christ lui-même nous a engagé à faire ?
Est-ce à dire que l’Église, réciproquement, pourrait omettre de parler de péché, de grâce et de vie théologale ? Pas du tout, mais sans doute ne doit-elle plus en parler en terme d’obéissance, mais en terme d’adhésion, de conviction. N’est-ce pas le signe que l’homme est adulte ?
Visiblement, aujourd’hui, il y a un hiatus entre le peuple de Dieu et ses jeunes prêtres ; d’ailleurs beaucoup de fidèles du Christ s’en vont sur la pointe des pieds, sans demander leur reste. Face à cela, des groupes, des associations se créent pour défendre la ligne de l’Amour, c'est-à-dire du peuple debout. Ce hiatus peut il durer ?
Que faire ?
Repenser à coup sûr le partage entre les prêtres et les laïcs, femmes comprises. Un rêve sans doute, mais n’y va t-il pas de la survie de l’Église, et par-delà, de la propagation des Évangiles et de l’avenir du Royaume ?
Clémence Cursol
1 – Il nous appartient de faire des nouvelles technologies, des moyens de plus de liberté et non de perdition. Mais à qui la faute ? Si l’on condamne TOUT, on n’est plus crédible !
2 - Certes, plusieurs encycliques, dont la dernière de Benoît XVI, semblent s’inscrire dans cette ligne, mais dans les faits ne condamne-t-on pas plutôt ceux qui tentent par tous moyens de donner aux pauvres dignité et… minimum vital ?
3 - In Le Christ philosophe, Frédéric Lenoir, éd. Plon 2007