Voici l’heure de sortir de votre sommeil
Les Chrétiens sont actuellement invités à vivre le temps du Carême pour se préparer à recevoir le message de Pâques. Dans l’épître aux Colossiens, Saint Paul écrit “ vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui, pour accéder à la connaissance, ne cesse d’être renouvelé à l’image de son créateur ” 1 Il définissait ainsi ce que j’appellerai la pensée de la résurrection : accéder à la connaissance n’est possible qu’en gardant le contact avec le renouvellement créateur. Paul annonce ainsi que le réel déborde les idéologies. Il est d’abord événement qui nous arrive et dépasse tout ce que nous pourrions attendre. Le rôle central occupé par la Résurrection dans la foi chrétienne est de l’ordre de la naissance dans une vie d’homme. C’est un commencement absolu qu’aucune nécessité n’exige. Il n’est pas plus possible de coloniser cet événement que de négocier sa propre naissance. On la reçoit dans la reconnaissance ou dans la révolte comme une initiative qui nous précède.
A-t-on assez reproché aux chrétiens, parfois à juste titre, de se réfugier dans un arrière monde qui les éloigne des combats pour l’homme ! Mais comment ne pas voir dans la course à l’argent, le désenchantement individualiste, les haines ethniques et raciales, les injustices établies, des “ opiums du peuple ” autrement dangereux ? Le dernier ouvrage de Joseph Stiglitz, américain prix Nobel d’économie, intitulé Le triomphe de la cupidité analyse à quel point la crise financière mondiale actuelle appelle autre chose que des rafistolages permettant de continuer à jouer comme avant. « Elle nous contraint, écrit-il, à repenser ce que nous avons si souvent adoré : les marchés libres et sans entraves sont efficaces ; s’ils font des erreurs, ils les corrigent vite ; le meilleur État est le plus discret ; la réglementation est un obstacle à l’innovation » 2. Pour lui, cette critique indispensable des idolâtries modernes montre qu’il ne s’agit pas simplement de problèmes d’ajustements techniques : « Les défauts de notre système financier illustrent les vices généraux de notre système économique, et les vices de notre système économique reflètent les problèmes de fond dans notre société » 3.
En effet, il est essentiel de comprendre que la cupidité radicale qui pousse un certain nombre d’acteurs financiers à se vautrer à nouveau dans d’invraisemblables bonus n’est pas qu’un seul problème de goujaterie ou d’immoralité individuelles. Il illustre la vision de fond d’une société obsédée par les profits à court terme. « On a beaucoup écrit sur les ravages que les institutions financières ont infligés à l’économie (…) On a trop peu écrit sur le « déficit moral » implicite qui est apparu au grand jour – un déficit encore plus grand que l’autre, et plus difficile à corriger. (…) Puisque gagner de l’argent est la fin ultime de la vie, il n’y a aucune limite au comportement acceptable. » 4
La Résurrection manifeste que la force vivante en tout homme est plus radicale que ses peurs, ses échecs et ses enfermements. Elle indique, suivant l’étymologie du mot Pâques, que l’aventure humaine se réalise non dans la possession, mais dans le passage. Aux toxicomanes de l’argent tentés d’enfermer l’aventure humaine dans l’avoir et le pouvoir le temps du Carême actualise l’invitation de l’Épître aux Romains : “ Voici l’heure de sortir de votre sommeil ” 5.
Bernard Ginisty
Chronique hebdomadaire de diffusée sur RCF Saône & Loire le 20.02.10
1 - Épître aux Colossiens 3,10
2 - Joseph STIGLITZ : Le triomphe de la cupidité - Éditions Les Liens qui Libèrent (LLL) 2010, page 10
3 - Idem page 465
4 - Idem pages 440-442
5 - Épître aux Romains 13,11