Vivre en plein scandale
« Il est impossible que les scandales n'arrivent pas,
mais malheur à celui par qui ils arrivent ! »
Luc 17,1
À pleine page, à plein écran, les journaux et la télévision fournissent chaque jour une abondante ration de scandales. Tout se passe comme si la moitié de la planète scandalisait l’autre moitié, et réciproquement. Tout le monde y passe... Un long frémissement d’indignation parcourt les nations. Dans les arrières boutiques beaucoup murmurent « TOUS DES POURRIS ! ».
Le mal gangrène toutes les couches de la société : la finance, la politique, la religion, la vie familiale, les associations caritatives sont atteintes...
Le diable secoue le grand tamis du monde et prend un malin plaisir à jeter le discrédit sur l’humanité. Il souligne les turpitudes et ameute les populations pour que les “coupables” soient châtiés. Il brouille les cartes. Il fait danser ensemble calomnie et médisance.
Tout se passe comme si sans cesse l’un demandait la tête de l’autre.
Satan entretient la confusion et souffle un vent délétère : il discrédite. Mais si l’on fait bien attention on constate que le bruissement d’horreur n’est que le miroir pervers de ce qui s’agite au fond du cœur de chacun.
Les mises en examen se succèdent, les procès s’instruisent, les délibérations se préparent dans l’âme et la conscience des magistrats, les verdicts se mitonnent au fond des bureaux des palais de justice.
Il n’y aura bientôt plus assez de juges, on devra bâtir de nouvelles prisons, et enrôler encore plus de policiers et de gendarmes... Plus on traquera les coupables, plus on en trouvera.
Le peuple justicier veut des têtes, la meute est lâchée, le “gibier” affolé se précipitera du haut des falaises pour échapper à la traque sans fin. D’ailleurs est-ce que le tribunal ne serait pas manipulé, les constructeurs de “centrales” achetés par des pots de vins et les policiers recrutés parmi les Ripoux ?
À ce jeu on peut réduire en cendre le fragile consensus qui charpente les nations et sème un brin de bonheur dans la population.
Qui résistera à la fouille des archives ?
Qui pourra prétendre être assez pur dans son passé pour aujourd’hui assumer une fonction importante ?
Pourtant Péguy avait raison : « avec des eaux impures on peut faire des eaux pures ». Si la société n’a pas de pardon, s’il n’y a jamais de jubilé, de remise de peine, de prescription, tout va s’effondrer dans un ricanement sardonique.
Dans le monde qui existe depuis toujours des juges imparfaits condamnent les malfaiteurs, des prêtres pécheurs remettent les péchés, des professeurs paresseux tentent d’inculquer le goût de l’effort aux élèves...
Aujourd’hui, nous devrions nous revêtir de pitié pour lire le journal, nous frapper la poitrine avant de stigmatiser les auteurs de scandales.
L’humilité sauvera le monde.
Rejetons la déception, elle est fille de l’orgueil et de l’illusion mensongère. Sans cynisme, entrons dans un réalisme de bon aloi.
Ni désenchantés ni désabusés, portons un regard de compassion sur ceux qui égarent l’opinion et troublent la société. S’il faut empêcher de nuire et souligner la vertu, rien ne sert d’idéaliser notre pauvre planète. Elle n’est que ce qu’elle est.
Vivre au sein de la malfaisance nous pousse à redire chaque jour : « Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous ».
La clémence pousse à la sainteté et nous avons plus besoin de “saints” que de « parfaits. ». Un seul, nous suffit !
Christian Montfalcon
Cet article a été écrit le 3 novembre 1999...