Vanité des vanités : la vapeur s’évapore…
Vanité, du latin
vanitas qui signifie
état de vide, de non-réalité, vaine apparence,
mensonge, tromperie, fraude, frivolité,
légèreté, inutilité, jactance, fanfaronnade
(dictionnaire latin-français Félix Gaffiot).
Voilà une expression passée dans le langage courant mais dont plus grand monde ne sait d’où elle vient ! Je vais donc tenter – bien sûr en toute modestie ! – d’en découvrir avec vous le contenu, car elle est loin d’être vide…
L’expression Vanité des vanités se trouve dans la Bible, plus précisément aux versets 1,2 et 12,8 du livre de Qohelet, patronyme issu de la racine verbale QaHaL qui signifie convoquer, faire assembler, en grec ekklêsiazô, mot qui explique que ce livre soit aussi appelé Ecclésiaste et d’où dérive le français église. Son auteur avait-il une fonction de responsable d’une assemblée, de prédicateur ou de poète ? Nul ne le sait. Mais certains attribuent ce livre au roi Salomon, ce qui est improbable, tout comme le livre de la Sagesse (pourtant écrit directement en grec, jusqu’à preuve du contraire, et ne faisant pas partie de la bible hébraïque) ; mais ce n’est pas le sujet de cet article.
Vanité des vanités est bien sûr la plus grande des vanités, superlatif hébraïque comme il y a un Roi des rois, un Cantique des cantiques ou un Saint des saints. En français on pourrait gloser avec un Vide des vides (en français djeune on dirait Vide de chez vide !) ou un Vain des vains.
On touche là au niveau zéro de la consistance, à l’impalpable total, à l’insaisissable absolu, à l’inutile irréversible.
Comment l’hébreu dit-il vanité ?
Plusieurs mots sont traduits par vanité dans la Bible, mais l’un deux va nous intéresser particulièrement.
Disons un mot des autres :
- shav’, qu’on trouve en Malachie 3,14 et Psaume 127,2, désigne ce qui est mensonger ou inutile. Il est composé exactement des mêmes consonnes que le mot sho’ (ou sho’ah) qui désigne la destruction ; la plus connue et la plus abominable de ces shoahs fut de surcroît complètement inutile.
- ’éliyl, qu’on trouve en Psaume 96,5 et 97,7, s’applique essentiellement à l’idolâtrie et désigne le néant, l’inutilité des autres dieux que Dieu (cf. l’article Tous les catholiques sont-ils monothéistes ?).
- riyq, qu’on trouve en Psaume 2,1 et 4,3, désigne une chose vide ; jusqu’à quand aimerez-vous ce qui est vain, la vanité ?
C’est alors qu’on découvre, au détour du verset Isaïe 30,7 une espèce de doublon pléonastique : hével variyq (soit hével et riyq) que la Bible de Jérusalem traduit par vanité et néant.
Le voilà LE mot vanité le plus utilisé par la Bible hébraïque et constamment par Qohélet (dans 30 versets sur les 47 contenant le mot dans la B.J.) : hével !
Hével, la vanité des vanités
Hével s’écrit hé-beth-lamed, הֶבֶל, trois lettres “ ouvertes ” dont Fabre d’Olivet 1, dans son ouvrage colossal intitulé La langue hébraïque restituée dit : הב donnent l’image de l’être ou du néant, de la vérité ou de l’erreur. Dans un sens restreint, c’est une exhalaison, un soulèvement vaporeux, une illusion, un fantôme, une simple apparence, etc. et : בל représente une idée de distension, de profusion, d’abondance ; toute idée d’expansion, d’extension, de ténuité, de douceur, qui de façon intensive ouvre à l’idée du manque, du défaut, de l’abandon, de la faiblesse, du néant.
Hével est donc quelque chose de vaporeux, de fantomatique, de faible ; un rien du tout !
Telle est la vanité… mais tel est aussi un personnage célèbre de la Genèse, bien caché sous son nom francisé : ABEL, frère de Caïn.
Abel est un souffle, un être passager, vanité, vapeur, brouillard, rien. Comment imaginer qu’il ait pu survivre longtemps avec un tel patronyme, quand on connaît l’importance du nom sur le déroulement de la vie des personnages de la Bible (et de la Genèse en particulier) ?
Son manque de « consistance » est évident dès sa naissance (Genèse 4,2) : [Ève] donna aussi le jour à Abel, frère de Caïn et sa vie ne dure que six versets ; en Genèse 4,7 on lit : Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.
Résumons : Ève a mis au monde Caïn (et s’est écriée : « j’ai acquis un homme de YHWH ! ») puis un frère de Caïn (et ne s’est rien écriée du tout : le nom Abel n’est pas justifié ; l’aviez-vous remarqué ?) et Caïn a tué ce frère.
Pourquoi ? Parce que Caïn offrit des produits de la terre en offrande à YHWH et Abel offrit lui aussi des premiers-nés de son bétail et de leur graisse et YHWH regarda Abel et son offrande et Caïn et son offrande il ne les regarda pas. (Genèse 4,35)
Ainsi Dieu agrée l’offrande de l’être surnuméraire au détriment de celui qu’Ève a acquis de lui, Dieu. C’est le premier exemple de la (curieuse) préférence de Dieu pour les puinés, qui se répétera un certain nombre de fois, avec Isaac, Jacob, Rachel et bien d’autres moins connus, mais c’est aussi le seul qui se termine aussi mal, par l’assassinat dudit puiné par l’aîné.
On a beaucoup disserté sur cet épisode, en utilisant toutes les approches possibles, mais quelqu’un a-t-il remarqué que dès sa naissance, dès l’acquisition de son patronyme, Abel était fait pour passer très brièvement dans l’histoire du salut ?
Ce préféré de Dieu est vite pleuré (même si la punition de son assassin est terrible ; nous en reparlerons bientôt) et sa mère accouche d’un nouveau garçon qu’elle appelle Seth (en hébreu שֵׁת, Shet), car dit-elle : « Dieu m’a établi une autre descendance à la place d’Abel », rattachant ce patronyme à la racine verbale shout, שׁוּת, établir, poser. Mine de rien, elle fait disparaître Abel une nouvelle fois, car son fils Seth est réputé être né à sa place ; avec l’établissement de ce nouveau descendant tout se passe comme si Abel la vapeur n’avait jamais existé ; on efface tout et on recommence, souffler n’est pas jouer !
Lisons pour finir ce que dit Fabre d’Olivet de la racine bilitère שֵׁת : cette racine (…) indique le lieu vers lequel s’inclinent irrésistiblement les choses (…), le fond, le fondement, tant au sens propre qu’au figuré. Effectivement, tout à fait à l’opposé de ce qu’était Abel, Seth signifie fondement (dans tous les sens du terme…) ; le fondement est né et l’Histoire peut enfin se dérouler : la descendance de Seth commence aussitôt, suivie d’une généalogie jusqu’au Déluge, etc.
Seth est un maillon de la généalogie de Jésus dans l’évangile (Luc 3,38)…
Le pauvre Abel, dont rien ne dit qu’il a fait preuve de vanité quand Dieu a accepté son offrande a très (trop ?) vite justifié son patronyme, comme l’ont fait bien des personnages de la Bible (cf. mes articles sur Joseph d'Arimathie, Simon de Cyrène, Nicodème, Judas, entre autres) ce qui lui a été fatal…
Vapeur n’a pas tardé à s’évaporer !
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis reconnaissant envers mes parents de m’avoir appelé re-né : René !
René Guyon
1 – Nous aurons l’occasion de reparler de Fabre d’Olivet (1767-1825) dans un article de notre prochain dossier thématique, consacré au péché. Sa théorie « révolutionnaire » consiste à considérer que les mots hébraïques sont construits sur des racines bilitères alors que tout le monde s’accorde sur la présence constante de racines trilitères !