Vagabond
Extraits du livre « La ferveur du jour »
de Gérard Bessière
Éditions Liens & résonance
Octobre 2008 - 220 pages, 16 €.
Le jour de ma naissance, le secrétaire de mairie mit ses lunettes et inscrivit mes nom et prénom sur le registre d’état-civil. J’avais un père et une mère, des aïeux paysans à perte de vue, et les cellules de mon corps nouveau-né portaient déjà une programmation précise. Cependant quand je regarde ma carte d’identité, quand je pense à mon héritage de chromosomes, je me dis : c’est moi et ce n’est pas moi.
Gérard Bessière est derrière moi mais il est aussi devant moi. Mon identité « personnelle », je suis en train de la bricoler, tant bien que mal, au long des jours et des années. Je n’en ai pas une idée et un projet précis. Les rencontres, les événements, les recherches avec d’autres, tout concourt à ébaucher ce pauvre « visage d’éternité » qui recueillera un jour ce que ma vie était et voulait être...
C’est clair : je refuse de déclarer mon identité. Je déclare que je suis vagabond, que tous les horizons sont provisoires et que la terre n’est ronde que pour être ouverte partout à l’immensité de l’univers. Bien sûr, j’ai les jeux bleus, j’ai pris le départ il y a cinq fois onze ans, et je mesurais 1,785 mètre le jour du Conseil de révision. J’ai passé avec succès le permis de conduire et quelques autres examens.
J’ai été au séminaire et j’ai été ordonné prêtre. Mais tout n’est pas dit avec les mensurations de corps, d’esprit ou d’âme. Tous les vagabonds sont cernés de signes distinctifs et cela ne les empêche pas de vagabonder.
Après ce préambule, je déclare que je ne suis pas chrétien. Ce n’est pas parce qu’on m’a enregistré sur le registre de catholicité après avoir versé l’eau sur mon front que je « suis » chrétien. Si d’autres le disent de moi, cela les regarde et je ne refuse pas l’appellation, même si je me sens radicalement indigne de l’arborer.
De mon côté, je voudrais suivre Jésus, même de loin, même en traînant les pieds. C’est lui le prince des vagabonds. Ne lui demandez pas ses papiers, à lui non plus. Obliger un chemineau à sortir des papiers loqueteux, c’est déplacé. Celui-ci n’a pas d’identité identifiable avec nos mots et nos cases. Les sbires qui l’ont arrêté un jeudi soir doivent bien savoir à peu près quel était son gabarit et s’il pesait lourd quand on le tabassait, mais son regard était insoutenable… et le dimanche matin, impossible de le retenir.
J’ai choisi là mon « identité chrétienne ». Parmi les cris d’oiseaux de cette aurore d’un dimanche. Il est donc compréhensible que je ne puisse pas donner beaucoup de précisions.
Ne me secouez pas, ne me menacez pas, ne me demandez pas de signer des formulaires ou de solliciter l’imprimatur. Je ne peux pas et je ne veux pas. Je réclame humblement et fermement que soient respectés Dieu et la lumière du désert. À toutes les cartes d’identité, je préfère les déclarations d’exode. (...)
Vous me demandez : « Qu’est-ce qu’être chrétien ? » Je suis incapable de répondre et heureux de l’être. Vous trouverez ma carte d’identité au bureau des objets perdus, dans la Jérusalem céleste. Casier : vieux pèlerins. Mais là, il n’y aura plus d’électricité ni même de soleil, car Dieu sera toute Lumière. Les murailles seront de pierres précieuses, vous serez fascinés et vous n’aurez plus aucune envie d’aller contrôler les papiers du « monde ancien ».
Gérard Bessière
pp 121-123