Vacances, temps de prière
Avec l’été qui commence vient le temps des vacances, celui où pendant quelques semaines nous pouvons échapper à nos agendas habituels. L’état de « vacances » est une invitation à la disponibilité, à l’inattendu, à la capacité d’étonnement au delà de la banalité du quotidien.
Le matraquage publicitaire nous assène exactement l’inverse : tout temps de vacances qui ne serait pas occupé par des consommations programmées serait un temps vide. Et nos sociétés marchandes ne cessent de nous supplier de continuer à faire tourner un système dont la logique est d’accumuler sans fin des échanges monétarisés.
Pour tout être éveillé à une vie spirituelle un temps de vacances est un temps de prière. Non pas la prière qui demande à Dieu de compléter ce que la société de consommation n’arrive pas à nous fournir, mais celle qui ouvre à l’inconditionnalité de la grâce.
Le rabbin et philosophe Léon Askénazi définit avec bonheur ce qu’il appelle cet état de prière : « Comment faut-il faire pour que je sois capable de recevoir tout l’être que Dieu veut me donner ? Si l’on est un peu vivant, on sait que celui qui donne veut tout donner. La volonté de Dieu est de donner tout ce qu’il peut donner. (…) Le propos de la prière mystique inverse complètement le propos de la prière classique. La souffrance du priant, dans cette prière-là, n’est pas du tout celle de l’homme à qui il manquerait quelque chose ; c’est celle de celui qui ne peut pas encore recevoir tout ce que Dieu voudrait lui donner » 1.
Bien loin d’être ce marchandage sans fin avec une image de Dieu plus ou moins bien bricolée, la prière est la prise de conscience que tout est là, tout est offert et que ce qui manque ce n’est pas le don mais notre ouverture de cœur et d’esprit.
En ce sens la prière rejoint le travail poétique. On ne pénètre pas le secret des choses par effraction mais par amour. Il faut les apprivoiser, s’ouvrir à leur message. Le poète, comme l’orant, est celui qui s’établit dans un état permanent d’offrande et de disponibilité à ce qui vient. En recevant il se donne. En donnant, il reçoit et se reçoit comme l’exprime cette admirable prière écrite il y a plus de cinq siècles par Nicolas de Cues :
« Comment ma prière parvient-elle à toi qui es totalement inaccessible ? Comment te demanderai-je ? Car quoi de plus absurde que de demander que tu te donnes à moi, toi qui es en toutes choses ? Et comment te donneras-tu à moi si tu ne m’as pas donné également le ciel et la terre et tout ce qui s’y trouve ? Mais surtout comment te donneras-tu à moi si tu ne m’as pas donné moi-même à moi-même ? Et, tandis que je me repose dans le silence de la contemplation, toi Seigneur, au sein de mes entrailles, tu me réponds par ces mots : “ Sois à toi-même et je serais à toi ”. Ô Seigneur, suavité de toute douceur, tu as mis en ma liberté que je sois moi-même si je le veux. C’est pourquoi si je ne suis pas à moi-même toi non plus tu n’es pas à moi » 2.
Bernard Ginisty
1 – Léon Ashkenazi (1922-1996) est un rabbin franco-israélien. Texte extrait de son ouvrage La Parole et l’Écrit, Éditions Albin Michel 1999, p. 364-365.
2 – Nicolas de Cuès (1401-1464) est un penseur majeur dont l’œuvre se situe au cœur du passage du Moyen Âge à la Renaissance. Cardinal, conseiller du Pape Pie II, c’est un des premiers humanistes et un esprit universel. Cette prière se trouve dans un petit livre qu’il fait paraître en 1453, traduit en français sous le titre Le tableau ou la vision de Dieu, Éditions du Cerf, 1986. Eugen Dewermann la cite au terme de son ouvrage Fonctionnaires de Dieu, Éditions Albin Michel, 1993, page 651.