Une mondialisation barbare
La longue crise que vivent actuellement les sociétés et les États est très souvent rapportée à la mondialisation des échanges qui en serait la cause structurelle. Certains hommes politiques proposent de lancer un processus de « dé-mondialisation » comme certains économistes parlent de « décroissance ».
La conscience de la mondialisation n’est pas un phénomène nouveau. Elle apparaît chaque fois que le « monde » habituel vacille, car des passeurs ont franchi des frontières et élargi les visions du monde. L’univers a été successivement pour l’homme sa tribu, son village, sa nation, sa religion, ses évidences rationnelles, ce qu’il appelait « la civilisation ».
Les projets de mondialisation ont existé dans l’histoire : l’empire romain, la catholicité, le communisme du « prolétaires de tous les pays unissez vous ». Actuellement la finance internationale dont le slogan est « financiers de tous les pays, mettez au pas les politiques » reprend à son compte ce projet. Enfin, les progrès technologiques font que la mondialisation atteint la vie quotidienne des habitants de la planète.
Le rêve d’une mondialisation des relations humaines a donc été présent dans l’humanité, parfois pour le meilleur et souvent pour le pire. Ce n’est donc pas, à mes yeux, ce projet qui est en cause mais son caractère « barbare ». Un espace barbare se caractérise par le fait de n’être pas régulé par des lois et la volonté politique traduite par les gouvernements légitimes. Il laisse libre cours à des forces physiques, économiques ou financières sans que le débat démocratique et les institutions politiques puissent les réguler.
Aujourd’hui, au processus de déréalisation du politique par l’économie se substitue un deuxième processus de déréalisation de l’économie par la finance internationale. De même que dans certaines entreprises la gestion de la trésorerie, à cause des bénéfices à court terme qu’elle procure, a tendance à prendre le pas sur des politiques d’investissements, de même, au niveau des États, les mouvements financiers internationaux bousculent les politiques nationales.
Par ailleurs, la financiarisation suppose des échanges immédiats et des réflexes rapides. Le temps de l’homme est celui du débat, de la réflexion, de la lente maturation. Le passage de l’animal à l’homme s’est traduit par une complexification du système nerveux. On est passé de l’arc reflexe qui reste au niveau de la moelle épinière pour un niveau cérébral de réflexion.
On a gagné en humanité ce qu’on a perdu en rapidité.
Aujourd’hui, les processus financiers nous ramènent à un arc réflexe qui vise des profits immédiats sans se soucier des répercussions sur l’homme.
L’éditorialiste Martin Wolf analyse ainsi cette absence de régulation : « Ceux qui sont censés tenir la barre donnent l’impression de n’être guère plus que des spectateurs » 1.
La fascination cupide pour le veau d’or que ne cesse d’illustrer les prouesses des traders internationaux n’est que l’envers de la pauvreté de notre volonté collective d’assumer ensemble notre destin.
Bernard Ginisty
1 – Martin WOLF : L’impuissance des politiques. In journal Le Monde, 6 septembre 2011.