Un nouveau pape… pour quoi faire ?
Un nouveau pape va être désigné. Les médias ne cessent d’évoquer cet événement, annonçant les demandes de la société : mariage des prêtres, ordination de femmes, mariage des homos, contraception, avortement, euthanasie, remariage des divorcés… On peut faire une liste à la Prévert et tout cela est de bien peu d’intérêt tant que ces questions sont posées hors de la foi.
L’Église est une vieille institution, alors le monde lui demande de se moderniser pour être plus présentable, mais est-il si bien placé pour exiger des chrétiens de soumettre leur vie de foi aux idées reçues ? Par contre ces questions, souvent issues de véritables souffrances, doivent prendre toute leur place dans nos interrogations sur ce que peut être une vie chrétienne. Les Chrétiens sont dans le monde – et c’est essentiel, l’incarnation nous interdit de nous extraire du monde – mais ne sont pas du Monde. Toutes ces exigences, lorsqu’elles sont ainsi formulées par les médias, sont du Monde. Si le christianisme est fidèle il ne peut plaire au Monde et n’a pas à se préoccuper de lui plaire. C’est quand il s’est affadi pour être accepté ou quand il a pris le pouvoir dans le monde qu’il s’est dévoyé et nous en payons les conséquences.
Mais au vu de l’action du Vatican, on peut être tenté de laisser aller : cette élection n’est pas notre affaire, qu’en attendre ? La tentation d’abandonner l’institution à ses démons est grande. Pourtant la responsabilité des Chrétiens doit être portée par des structures pour ne pas être éphémère. Même si les institutions trahissent par essence, on ne peut les récuser ; par contre il faut sans cesse les remettre en question.
Il est possible de dégager des exigences, des demandes, à l’occasion de cette élection. C’est même une excellente occasion de le faire. L’Église catholique n’est pas bien vaillante ; il serait temps d’y réfléchir. La crise actuelle n’est pas tellement celle des croyances (l’homme du 21e siècle est même trop crédule, pensons-nous) mais celle des sujets et des institutions qui ne correspondent pas aux exigences de la foi. Le langage utilisé pour dire la foi est devenu inaudible, il ne correspond pas à ce que nous savons de l’homme et il prétend annoncer un Dieu dans des catégories qui ne font plus sens.
Pour commencer demandons-nous ce qu’est notre foi qui ne peut être réduite à un ensemble de croyances, et ce que peut dire la théologie.
Pendant longtemps régnait la théologie transcendantale, tout comme la métaphysique. Depuis Kant on a dépassé la métaphysique en en montrant le caractère abstrait détaché du monde et ne pouvant atteindre une vérité qui se trouverait dans un au-delà. La théologie non plus ne peut être séparée de l’histoire et de la pratique. Elle ne peut décrire un Dieu en soi, supposer la connaissance d’une identité préalable de Dieu. Nous connaissons Dieu à travers son action au milieu des hommes, décrite d’abord par les premiers témoins –Abraham… – puis révélée par Jésus-Christ connu à travers le témoignage des Évangélistes… Cette connaissance nous a été transmise au long des siècles par le peuple chrétien (la Tradition). Chacun de nous, au bout de cette chaîne, peut découvrir la réalité de Dieu dans sa vie et en témoigner aux autres. L’homme non plus n’est pas un être en soi, mais réponse à l’autre, souci de la part de l’autre, être fait de relation, être incarné dans un monde réel, dans une société concrète, et c’est dans cette relation et au sein de cette société qu’il se construit et découvre l’action de Dieu à laquelle il participe.
La théologie ne dit pas la Parole de Dieu – personne ne la possède – elle la sert. Quand le pape parle, il ne dit pas la Parole : elle ne lui appartient pas. Il parle pour aider les Chrétiens à recevoir la Parole, à la saisir, à la comprendre – ce qui signifie la mettre en pratique (le second commandement est semblable au premier). La Foi n’est pas une connaissance mais un suivre Jésus, donc une pratique.
Il est temps d’en finir avec un discours théorique et idéologique tant sur l’homme que sur Dieu. Ce n’est plus audible, non parce que cela ne plaît pas au monde mais parce que ce discours ne peut exprimer la vérité de la Parole adressée aux hommes. Il serait temps de préciser ce qu’on appelle loi naturelle qui permet aux autorités de l’Église de proclamer une parole prétendue universelle et contraignante pour tous les hommes. Sur ce terrain la parole vaticane manque bien souvent de base solide. Au nom de quoi peut-elle prétendre avoir la vérité sur tout ? La théologie dite naturelle n’est pas révélée, à quelle autorité peut prétendre la hiérarchie catholique ? Cela devrait être enfin clarifié.
Tout chrétien découvre Dieu dans sa vie, dans son chemin à la suite de Jésus, et peut alors dire quelque chose sur lui. La vérité ne vient pas du sommet de la hiérarchie, elle est à l’œuvre en chacun, on la trouve à travers la réponse des chrétiens, au cœur de la société, au cœur des combats menés pour se tenir debout devant Dieu. Le Père appelle des sujets qui soient des hommes libres devant lui. Les hommes, pour devenir sujets, doivent sortir de la misère et de l’oppression. Notre libération garantie par le Christ passe par la Croix et la Résurrection de Jésus et nous fait entrer dans sa vie. Il est impossible d’ignorer les combats des hommes pour se libérer – et pas seulement se libérer de leurs pesanteurs intérieures. C’est tout l’homme, fait de relation avec les autres et de réponse à leur appel, accueil de leur propre réponse – qui doit être libéré pour se tenir devant Dieu. Le souci des plus pauvres, des plus vulnérables, des plus meurtris ou dominés devient alors primordial sauf à nier l’incarnation.
Le système hiérarchique de l’Église doit être remis en cause. Actuellement le pape est mis dans l’impossibilité d’entendre la Foi des chrétiens, il se trouve hors de l’action de Dieu dans son peuple. Sa parole est alors sans signification, elle s’adresse à du vent et elle brasse du vent. Si le pape est théologien, comme Benoît XVI, il peut continuer son travail de théologien et dire une parole de théologien, mais en quoi a-t-elle plus d’autorité qu’une autre parole ? S’il ne l’est pas, il n’a plus rien à dire sauf à développer un discours de pure forme qui n’atteint personne. Les Évêques sont tentés de reproduire les mêmes schémas et sont dans l’impossibilité de faire remonter au pape cette découverte du Père par les chrétiens.
Toute l’irrigation de l’Église est à reprendre. Les théologiens d’une part, tous les pasteurs aussi ont un rôle très important : mettre en forme l’expérience de Dieu par les chrétiens, qui n’ont pas les outils pour le faire, pour exprimer cette expérience. C’est un travail essentiel et difficile, un travail humble, car il exige de reconnaître que la source est ailleurs que chez celui qui fait la mise en forme. Le pape et les évêques sont au service de la Parole, ils n’en sont pas les propriétaires. Ils ont un rôle de discernement qui doit être développé avec beaucoup de prudence ; la tentation est grande de mépriser ce qui ne vient pas de nous. La hiérarchie demeure, mais comme service. On retrouve alors le sens de Serviteur des serviteurs de Dieu qui a bien souvent été une escroquerie.
S’il faut être concret, on comprendra qu’il est urgent, pour permettre ce retournement de la hiérarchie, de nettoyer les écuries d’Augias du Vatican. Le Vatican, scandale pour les Chrétiens, est devenu un pouvoir sans légitimité. Loin de nous de nier la nécessité du siège de Pierre et de son action, mais l’Esprit souffle autant chez les chrétiens des paroisses – et hors paroisses ! – que chez les prêtres, les évêques ou le pape. Il serait temps de considérer que bien des chrétiens qui sont des marginaux de l’Église institutionnelle sont aussi habités par l’Esprit, nous aussi sommes l’Église proclament-ils… dans le désert.
Le pape a la charge de conserver l’unité de l’Église ou, mieux, de la servir. Mais l’unité n’est pas l’uniformité. Donner des consignes pour l’Église universelle semble une erreur dans la majorité des cas. Tant que la théologie reste transcendante et s’adresse à des êtres en soi, désincarnés, sans histoire ni milieu social, elle peut énoncer des vérités universelles – qu’elle prétend être la Parole de Dieu, et les imposer au monde entier. Mais si la connaissance de Dieu passe par les chrétiens, incarnés dans leur milieu, la grande majorité des affirmations possibles ne peut avoir une portée universelle. On pourrait alors renoncer aux contorsions de langage pour dire le contraire de ce qui se disait cent ans auparavant tout en prétendant le compléter ! La discipline, souvent édictée par Rome, est une conséquence de notre amour de Dieu (et donc de nos frères) ou un moyen pour le mettre en œuvre.
Le Christ n’a lui-même pas donné de consignes, il serait temps de ne pas en faire des absolus, mais des exigences datées et situées, le mot exigence n’étant surtout pas oublié. Pourquoi une discipline unique et rigide ? La difficulté n’est pas qu’elle est rejetée par les chrétiens et qu’à la base évêques et pasteurs doivent bien composer avec ce refus, mais qu’elle n’est pas fondée : elle serait plutôt un abus de pouvoir par une hiérarchie s’estimant devoir commander et diriger.
Par ailleurs il ne faut pas affadir le message sous prétexte d’unité, d’éviter à tout prix que tel ou tel se détache de l’Église. Le message est dérangeant, il est normal que certains le refusent. La question n’est pas de pouvoir aligner un milliard et quelque de chrétiens, mais de construire une Église fidèle au Christ. Bien des opérations politiques semblent s’intéresser plus à une fausse unité pour pouvoir aligner des chiffres qu’à la vérité du message.
Nous donnons en note quelques exemples ; bien d’autres pourraient être évoqués (définition des ministères, rôle des femmes, ou encore avortement et euthanasie…). 1 2 3
Terminons en résumant alors ce que nous attendons du nouveau pape.
- Qu’il reconnaisse que l’Église est située ni hors du temps ni hors des lieux. Il y a opposition entre le Nord et le Sud : les bénir ensemble est privé de sens. Il faut mettre en cause la prétendue innocence de l’Église et des chrétiens, cachée sous une parole qui se prétend universelle.
- Une parole humble quand il s’adresse à l’humanité. Il n’a pas le monopole de la vérité quand il s’agit de « loi naturelle ». Il ne peut prétendre que toute prise de position sur des sujets concernant l’humanité est conséquence de la Révélation.
- Une parole vraie qui ne prétende pas être la Parole de Dieu, mais la servir.
- Une parole qui entre dans la modernité – sinon elle est vide. Après Kant et sa raison pratique individuelle, Marx et sa prise en compte de la praxis sociopolitique, Nietzsche et sa déconstruction de la métaphysique (pour ne citer que des têtes d’affiche) il est temps de revoir la façon de considérer l’homme et l’action de Dieu parmi nous. Notre parole ne doit pas être une parole du Monde mais doit se situer au cœur du monde. « Eux sont dans le monde […]. Ils ne sont pas du Monde de même que moi je ne suis pas du Monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les préserves du mal. » (Jean 17,11,14-15)
- Un retournement de la hiérarchie de l’Église, du bas jusqu’en haut. Que la parole de Dieu, libératrice des hommes, puisse ainsi irriguer toute l’Église. Ni le Vatican ni les sièges épiscopaux ne peuvent être des lieux de pouvoir, mais des lieux de service. La Parole ne passe pas par le pouvoir.
- La définition d’une discipline adaptée aux diversités, exigeante mais non hypocrite, qui libère au lieu d’enfermer, construite à partir de la réalité vécue du peuple de Dieu. Se souvenir que ce qui est au centre, c’est le suivre Jésus à partir duquel s’établit cette discipline. Elle ne peut se construire que dans la réalité concrète de ce suivre vécu quotidiennement.
L’important n’est pas de plaire. Ceux qui ne veulent pas être dérangés par la Parole s’éloignent librement. L’Eglise doit nous appeler à la fidélité, à la conversion, pas nous plaire afin de nous garder en son sein. La foi est d’abord un chemin de conversion 4.
- Une solidarité avec tous les combats de libération des hommes. Pour se tenir comme sujets libres devant la face de Dieu, ils doivent être des hommes libres. Cette solidarité est une pierre de touche du sérieux de l’annonce de la Parole.
- Un travail constant au service de l’unité de l’Église et pour susciter partout la conversion. Le siège de Pierre est le lien entre toutes les Églises locales, le lieu privilégié pour les aider à s’enrichir les unes par les autres. Il doit les écouter et s’enrichir de leur témoignage de la Parole pour le transmettre à tous. Ce travail au service de l’unité inclut les relations avec les autres branches du christianisme qui doivent être faites d’ouverture, d’écoute. Nous n’avons pas toute la vérité.
- Annoncer une parole optimiste. Du non que Dieu oppose à ce que Jésus a désigné comme le Monde surgit un oui de la grâce qui nous fait lever et nous comble. L’homme est sauvé, enfin libre et appelé à vivre dans l’amour. Ce oui ne doit pas être occulté par le non.
Récemment, dans un débat télévisé sur le sujet entre quelques « personnes compétentes », les uns affirmaient que le prochain pape serait le dernier s’il ne réformait pas en profondeur. Après l’Église serait séparée en plusieurs Églises liées à des continents, vu les forces centrifuges. D’autres pensaient que de toute façon le dernier pape comme nous les avons connus venait de démissionner, que le prochain ne pourrait tout bonnement pas continuer dans la même ligne. Et chacun de s’accorder pour dire que cette transformation serait très lente, qu’il faudrait beaucoup de patience…
Ils avaient probablement raison. Mais la théologie, lorsqu’elle n’oublie pas l’apocalypse, nous presse dans le temps. C’est tout de suite que vient le Royaume, les temps sont accomplis. Alors espérons que cette urgence sera ressentie et nous mettra en route. L’annonce de notre libération et du don de l’amour de Dieu est trop importante pour qu’on les enterre.
Vivons donc dans l’espérance qui prend racine dès ici et maintenant.
Marc Durand
4 mars 2013
1 – Mariage des prêtres. On dit que l’Afrique et l’Amérique du Sud ne l’accepteraient pas et que cela provoquerait un schisme. Pourquoi ne pas laisser les conférences épiscopales régionales en décider – en accord avec Rome ? La question n’est pas de plaire au « Monde », ou d’éviter d’effaroucher certains. L’engagement de l’Eglise n’est pas soumis au bon vouloir des peuples afin de les amadouer (les ramener comme on entend souvent). Le service de la Parole n’est pas celui du bon vouloir des chrétiens, le Christ dérange, c’est un fait. Mais ce service de la Parole nécessite une écoute de la connaissance que le peuple chrétien a de Dieu, ce qui exige une ouverture à la modernité, l’homme de ce siècle n’est pas celui des siècles précédents, l’homme d’Afrique n’est pas celui d’Europe, le pauvre ou l’exclu n’est pas le bourgeois installé dans les biens de ce monde. On ne doit pas rester arc-bouté sur ce qui s’est toujours fait ni courir derrière les nouveautés qui nous permettraient de faire moderne. Il suffit de prendre en compte la présence de Dieu parmi les hommes d’aujourd’hui. La question du mariage des prêtres est une question de discipline, pas de foi (mais la foi s’exprime dans la discipline). Enfin il faut prendre en compte la réalité vécue, non pour tout approuver mais ne pas nier la réalité. En l’occurrence combien de prêtres (et d’évêques) vivent avec une femme, et particulièrement en Afrique et Amérique du Sud qui s’opposent le plus au mariage des prêtres ? Cela devrait donner à réfléchir sur cette discipline, se demander si cette réalité s’oppose de fait à une vie de foi. On ne peut ignorer la réalité quand on prend des décisions.
2 – Divorcés remariés. Le mariage est indissoluble, qu’est-ce à dire ? Que signifie un mariage dans lequel il n’y a plus de relation ? On peut imaginer qu’un nouveau mariage ne puisse être sacrement de l’amour du Christ et de l’Église, mais doit-on interdire un nouvel amour réel vécu et béni par Dieu ? L’exemple de la cohabitation avant le mariage – interdite par la discipline mais universellement pratiquée, montre les limites de la discipline vue d’en haut. La majorité s’accorde pour penser que c’est une bonne chose qui permet de fonder un mariage plus solide, plus éclairé. Sans rentrer plus avant dans la discussion, on voit là encore que l’écoute du peuple et de l’action de Dieu en son sein est nécessaire, et qu’une loi universelle dans le temps et l’espace n’est pas signe de vérité.
3 – Contraception. Il y a unanimité dans le monde pour dire que la contraception est un grand progrès. Il est tout à fait possible que l’enseignement du Christ soit en contradiction avec l’unanimité des hommes. Mais il serait bon d’être prudent. Il s’agit d’une réalité humaine et c’est dans cette réalité que Dieu s’exprime. L’ignorer est non seulement une hypocrisie mais un détournement de la Parole que l’on doit servir, en la déconnectant de ce que vivent les hommes et ce qui les construit dans leur humanité. On pourrait en dire autant de nombre de décisions basées sur la soi-disant loi naturelle. Le cœur de la relation amoureuse, cœur de ce qui constitue l’homme et la femme comme réponses d’amour de l’un envers l’autre et don de l’un à l’autre, sujets construits l’un par l’autre, est occulté au nom d’une parole transcendante alors que c’est dans l’immanence de cet amour que la Parole est dite. Cela ne donne pas la solution, mais cela exige de revoir complètement la manière de servir la Parole.
4 – L’Église n’est pas là pour plaire, son message est exigeant. Cela n’empêche pas qu’elle est faite d’hommes et de femmes se débattant dans les difficultés de la vie, leurs difficultés, leurs peurs et leurs lâchetés, leurs petits désirs et espoirs. Alors cet appel exigeant doit être proclamé avec humilité, proposant des chemins de salut aux hommes là où ils sont, sans les juger. Ceux qui ont la charge d’appeler à la conversion doivent eux-mêmes se reconnaître pécheurs, et bien loin du « suivre Jésus » qui est le cœur de leur foi. L’Église doit tracer ces voies qui nous mèneront à la libération de façon à ce que tous puissent y cheminer, quelque soit leur situation du moment.