Tout événement peut être un avènement

Publié le par G&S

Andre-Gouzes---chant-du-coeur.jpgDans son très beau livre d’entretiens sur la foi intitulé Le Chant du cœur, André Gouzes, promoteur d’une liturgie et d’une musique sacrée de qualité, infatigable animateur de ce lieu inspiré qu’est l’Abbaye de Sylvanès, dans l’Aveyron, cite ce propos de Saint Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion », qu’il commente ainsi : « Celui qui n’éprouve plus rien est beaucoup plus à plaindre que celui qui a tous les désirs » 1.

En ce début d’année, il est d’usage de prendre de bonnes résolutions, de mettre au point nos projets et d’échanger nos vœux pour leur réussite. Mais au delà de ces nécessaires prévisions, il me semble encore plus important de nous souhaiter des rester des êtres de désir et de passion.

Or, trop souvent, les sociétés modernes nous poussent à souhaiter ce qui serait finalement la pire des choses : « qu’il ne nous arrive rien ». Par peur de perdre nos acquis, nous nous barricadons contre tout ce qui pourrait les bousculer. Le besoin de sécurité nous pousse à prendre des assurances contre le surgissement de ce qui est Autre. Nous risquons alors de nous fermer aux visitations de l’événement, à des invitations au voyage, à cet appel lancé jadis à Abraham et qui est le cœur de toute démarche spirituelle : quitte ce que tu connais pour aller vers ce que tu ne connais pas. Pour André Gouzes, cette fermeture menace nos sociétés : « Je me demande, écrit-il, si le monde occidental n’est pas en train d’amputer, de forclore les capacités ontologiques de l’expérience du divin, tellement tout est conçu pour se protéger. L’homme se protège, c’est-à-dire se fonde en lui-même, il ne se reçoit plus que de lui-même. Ne se recevant plus, il ne reçoit plus rien » 2

Et en effet, « ce qui arrive » est le plus souvent ce que nous n’avions pas prévu et qui dérange nos conforts intellectuels et matériels, nos habitudes, nos relations. Qu’il s’agisse d’une rencontre, d’une découverte, d’un accident de parcours, d’une nouvelle intuition forte, « ce qui nous arrive » réveille des passions et ouvre des horizons que nos sages planifications prétendaient éliminer.

Les grands moments de notre vie, notre naissance, nos amours, nos rencontres, les crises que nous traversons, la mort qui nous attend, ne sont pas le fruit d’une gestion d’experts ou de savantes et laborieuses constructions. Cela nous arrive comme une grâce vécue, tantôt dans la jubilation tantôt dans le douloureux sentiment d’absurdité lorsque cette gratuité n’est plus perçue comme le signe d’une présence.

Je ne connais pas de meilleur texte de vœux que les versets du Magnificat. L’exaltation et l’exultation de la Vierge ne viennent pas de ses prouesses spirituelles, mais de l’accueil de ce qui lui arrive : une Parole qui se fait chair. Alors dit le texte, « les puissants sont renversés de leur trône et les riches renvoyés les mains vides ».

Alors, tout événement peut être un avènement.

Bernard Ginisty

1 – André Gouzes : Le Chant du cœur. Conversation sur la foi, Éditions du Cerf, 2003, page 128.

2 – Id. page 27

Publié dans Réflexions en chemin

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D
<br /> oh, ça donne envie de le lire...Grâce à dieu j'ai toutes les envies, mon souci est plutôt de faire le tri...quant aux passions (artistiques!) elles se nourrissent l'une l'autre, car elles tendent<br /> vers le même chemin: la beauté, qui ouvre à la contemplation...si moi, artiste sait prendre des risques en toute honnêteté, ma démarche touchera, car elle sera JUSTE  (smiley qui connait le trac, comme moi!)<br />
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