Tout est possible, rien n’est vrai : tout est permis...
Ces dernières semaines ont été fertiles en polémiques diverses touchant notamment les mœurs supposées du Ministre de la Culture ou la tentative d’imposer à la tête d’un des plus grands centres d’affaire européen le fils cadet de président de la République, âgé de 23 ans. Ces polémiques ont occulté bien des questions fondamentales, et notamment la fuite en avant dans des déficits publics qui commencent à inquiéter sérieusement la Commission Européenne. Jusqu’à présent, la droite était réputée être plus attentive à la rigueur de la gestion qu’une gauche régulièrement accusée de dilapider l’argent public. Sur ce point, l’ampleur des déficits manifeste une « ouverture » de la majorité actuelle aux facilités dont parfois la gauche a usé. Plus encore, les grandes déclarations qui ont accompagné la dernière élection présidentielle se trouvent aujourd’hui balayées par la montée inexorable du chômage et de la précarité.
Cette situation ne peut que porter préjudice à l’engagement citoyen.« Dans un monde toujours changeant et incompréhensible, les masses avaient atteint le point où elles croyaient simultanément tout et rien, où elles pensaient que tout était possible et que rien n’était vrai » 1. Ces mots d’Hannah Arendt, dans son ouvrage classique sur le phénomène totalitaire, me paraissent illustrer le climat politique actuel dans notre pays.
Que voyons-nous en effet depuis quelques semaines ? D’une part, des annonces futuristes sur une société de l'Internet qui nous assurerait, via la mondialisation heureuse, un avenir merveilleux et, d’autre part, une aggravation des problèmes sociaux et du sentiment d’injustice dans le pays. Cette juxtaposition d’un monde dont les progrès techniques laissent croire que « tout est possible » et d’une classe politique qui laisse de plus en plus au citoyen le goût amer du « rien n’est vrai », contribue à la crise du travail politique du vivre ensemble.
Nos sociétés ne pourront éternellement survivre à ce double jeu dans lequel Hannah Arendt voyait le lit du totalitarisme. En effet, juxtaposer le « tout est possible » et le « rien n’est vrai » conduit au « tout est permis ». Face à ce risque, il ne suffit plus d’invoquer de façon incantatoire le bien commun, la citoyenneté et la fameuse modernisation. Il faut leur donner corps dans un travail politique au quotidien.
Il y a plusieurs façons de ne pas faire de la politique, elles ont toutes un point commun : se défausser de sa responsabilité au nom de contraintes extérieures pour se résigner au destin tout en invoquant de grandes idées générales et généreuses ! Or, l’action politique consiste à risquer des commencements là où trop « d’experts » nous invitent aux enfermements et aux renoncements.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 24.10.09
1 - Hannah Arendt : Le système totalitaire. Éditions du Seuil, Paris 1972, p. 110.