Témoignage d’un bénévole en soins palliatifs
« Nos Seigneurs les
malades »
Devise de l’Ordre de Malte
Bernadette Soubirous disait que « c’est un tel honneur de prendre soin d’une personne malade qu’il n’y a pas d’autres récompenses à attendre ». C’est bien dans cet esprit que je vais essayer de répondre au sujet relatif à « vieillissement et mort : chemin de résurrection. » Visiteur de malade ou bénévole en soins palliatifs depuis une quinzaine d’années, c’est une joie de pouvoir parler de mon expérience en la matière.
Les soins palliatifs, comme l’affirme l’Encyclique L’Évangile de la vie du pape Jean Paul II (1995) « sont destinés à rendre la souffrance plus supportable dans la phase finale de la maladie et à rendre possible en même temps pour le patient un accompagnement humain approprié » (E.V.n°65). Il écrivait le 12 novembre 2004 : « Comment oublier ensuite la contribution précieuse apportée par les bénévoles qui, à travers leur service, donnent vie à l’imagination de la charité qui diffuse l’espérance également dans l’expérience amère de la souffrance ».
Nous aborderons la question en trois temps : d’abord pourquoi être bénévole et réfléchir à nos motivations qui peuvent nous animer, ensuite comment être bénévole en essayant de mettre en valeur quelques mots clés qui nous servent de credo, enfin savoir quelles sont les personnes que nous accompagnons et dans quel cadre nous le faisons.
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Pourquoi être bénévole ?
À un moment de sa vie, on peut se poser la question de savoir s’il est possible d’aider son prochain d’une façon régulière. En effet, à la retraite, les circonstances font que l’on peut enfin trouver le temps nécessaire de s’engager pour une cause qui tient à cœur. Après avoir hésité entre des visites en prison et des visites aux malades, je me suis décidé pour cette deuxième solution. Mais alors quelles sont nos motivations ? Je répondrai à cette question en passant en revue celles qui peuvent animer un visiteur de malades. Il y en a de bonnes et de mauvaises.
Voyons les bonnes
- Elles peuvent être d'ordre purement religieux. En effet, dans l'Évangile de saint Matthieu au chap.25 l'auteur dresse le tableau du jugement des nations où il est dit : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde… Car j'étais malade et vous m'avez visité… » Il s'agit de visiter son frère malade et de reconnaître en lui le Christ sans forcément le lui dire car un visiteur rencontrant un malade et lui disant qu'il venait voir le Christ, s'était vu répondre : « moi, c'est Dupont, allez voir ailleurs… ! » En ce qui me concerne, c’est le verset de l’évangile de Matthieu qui m’a décidé et l’idée forte qu’il faut éviter à notre frère de mourir seul.
Ce célèbre passage de Matthieu n'est pas le seul dans les Écritures. La parabole du Bon Samaritain dans saint Luc chapitre 10, peut nous aider à comprendre qui est notre prochain et nous pousser à être présents à ses côtés. Martin Luther King disait : « Le Samaritain représente la conscience de l'humanité. Il nous appelle à nous centrer sur l'autre au lieu de nous demander qui est notre prochain ». Cette démarche de foi consiste à servir ses frères pour être « debout soi-même » ; elle correspond à une foi en Dieu et à un sens de la fraternité avec les hommes.
- Une expérience de maladie ou d'épreuve dans sa propre famille peut aussi générer une profonde motivation pour s'engager dans ce bénévolat. Ce peut être le cas de sa propre fille, de sa mère, de son beau-père, de son petit-fils ou d'autres enfants qui nous poussent à nous rendre disponibles pour accompagner d'autres personnes.
- La recherche sur le sens donné à la vie est aussi une bonne motivation. En effet, après une vie active qui a connu des épreuves, la retraite est une bonne période pour lui donner du sens et se centrer davantage sur le couple vie-mort. Cette recherche de sens peut être déclenchée par la lecture d'un livre sur le sujet.
- Tout simplement l'intérêt que l'on peut porter à rencontrer des personnes dans une relation vraie.
- Pour un autre qui aura beaucoup reçu pendant sa vie ou qui aura exercé un métier en rapport avec la relation d'aide, il semblera normal de faire profiter de son expérience ses frères malades sous forme d'une aide gratuite, bref un sentiment de solidarité. On peut se dire aussi que demain nous traverserons une semblable épreuve et que nous aurons besoin du même soutien.
- Enfin, comme vous vous en doutez, plusieurs motivations peuvent s’ajouter l’une à l’autre.
Glissons sur les mauvaises
- Je crois qu’il faut souligner qu’être bénévole pour se donner bonne conscience ou pour en tirer un profit quelconque est un mauvais choix. Cette décision entraînera un manque évident de sincérité et une souffrance encore augmentée pour le patient qui ne manquera pas de s’en apercevoir ; dans ce cas on joue un rôle avec quelqu’un qui va mourir et il vaut mieux faire autre chose.
C’est ensuite qu’après une discussion avec Mère Marie-José, supérieure de la Congrégation des sœurs de saint Thomas de Villeneuve, j’ai été pris comme bénévole dans l’Unité de soins palliatifs qui venait de se créer. J’emprunterai à Jean Delumeau ce qui pourrait être le début de notre parcours : « Le principal don que nous puissions faire aux autres, c’est celui de notre temps. Dans cette perspective, l’hôpital devient un point de rencontre exceptionnel… Il est – ou il devrait être – un lieu où chacun retrouve sa plus authentique personnalité et sa vraie valeur devant les hommes et devant Dieu. »
Comment être bénévole ?
À partir de ce temps donné à l’autre, essayons de voir ce qui se cache derrière la notion d’accompagnement. Le Petit Larousse précise que le bénévole d’accompagnement est celui « qui fait quelque chose sans être rémunéré, sans y être tenu ». Je précise ce détail car l’on m’a demandé plusieurs fois combien j’étais rémunéré pour cette action !
Pour moi les choses sont simples : accompagner quelqu’un, c’est être présent et l’écouter. L’accompagnement s’appuie donc sur une éthique de l’accueil et de la tolérance. Être présent à côté du patient, mieux être avec lui. Être présent avec un regard qui ose croiser le regard de celui qui souffre. Être là avec tous ses sens. Être là avec des gestes bienveillants non imposés, prendre une main, caresser une épaule. Parfois on ne sait pas si le patient admet notre geste car il ne peut plus s’exprimer ou manifester d’une façon quelconque son accord ou son refus. Il faut alors faire preuve de beaucoup d’humilité.
La présence débouche naturellement sur l’écoute car le bénévole aspire à une relation avec l’autre. Mais avant d’en arriver là, arrêtons-nous sur le silence. Le pasteur Daniel Bourget en parle comme d'une condition même de l’écoute : « Un des malheurs de notre temps c’est que l’écoute s’est appauvrie car on ne sait pas faire silence… Pour entendre la parole de Dieu – j’ajouterai : et celle des patients – le silence nécessaire est un silence intérieur, le silence du cœur, le silence des pensées qui bavardent à qui mieux-mieux dans un brouhaha autrement plus gênant que la télévision du voisin ou les mobylettes dans la rue. »
Faire silence c’est se rendre disponible, c’est accueillir l’autre comme une personne, telle
qu’elle est avec son histoire, ses convictions et sa souffrance. C’est aussi entendre les refus du patient et ses révoltes. L’écoute doit donc être attentive, prudente et apaisante. Michel Hodée
fait parler un malade : « Respecte mon silence et réponds simplement à mes interrogations. Accepte-moi tel que je suis. Deviens “espérance”. Ne sois pas un poseur de questions. Ne viens
pas d’abord pour “savoir” ce que je ne sais peut-être pas encore moi-même. Respecte ma vulnérabilité, ma dépendance… Sois gentil, ne fais pas partie des trop nombreux donneurs de conseils. Sois
discrétion. Deviens patience, délicatesse, simplicité, fidélité, présence. »
L’écoute se fait aussi pendant des moments de silence, lorsque tous les sens sont en éveil. Le regard peut prendre le dessus et l’emporter sur la parole, il peut saisir des gestes plus ou moins volontaires qui trahissent une attitude, voire des larmes qu’il faut laisser aller. Le toucher engendre parfois des moments d’intensité très forts ; une main se presse contre la vôtre, celle-ci caresse une épaule ou un visage. D’ailleurs, c’est dans ces moments d’écoute silencieuse qu’on communie avec l’autre avec intensité et qu’on vit le cœur à cœur avec le patient. On a parfois des surprises avec celui-ci. Au chevet d’’une dame, j’étais là et me taisais jusqu’au moment où elle m’a dit d’un ton autoritaire : « Mais parlez donc ! »
Je terminerai sur l’écoute en citant une lettre de Dietrich Bonhoeffer : « Celui qui estime son temps trop précieux pour pouvoir le perdre à écouter les autres n’aura en fait jamais de temps pour Dieu et le prochain. »
Encore une fois, la présence et l‘écoute se font avec tous les sens. Le regard est, me semble-t-il, le plus important de tous. Savons-nous regarder avec affection une personne qui présente un visage à moitié rongé par un cancer, un corps couvert de taches ou déformé ou toute autre blessure intérieure ? Emmanuel Levinas a des paroles bouleversantes à ce sujet, quand il se pose cette question fondamentale : « qu’en est-il de mon rapport avec l’autre ? […] la véritable rencontre d’autrui se tient dans le fait que je ne le possède pas. » Il s’agit de « reconnaître l’autre dans sa radicale singularité ». La rencontre du visage est pour Levinas le point de départ de la relation éthique. C’est le regard de l’Autre qui seul importe car c’est lui qui nous rend responsable. Que nous puissions ou non l’accepter ou l’assumer, cette responsabilité nous incombe indépendamment de notre volonté, de toute intentionnalité, de toute réciprocité. L’approche du visage est le mode le plus fondamental de la responsabilité. Pour en revenir au patient, le moindre arrêt du regard sur le visage de l’autre sera interprété comme une véritable faiblesse.
Pour conclure, être présent, écouter et respecter sont trois attitudes indispensables pour celui qui veut accompagner son prochain en fin de vie ou dans sa vieillesse.
On ne s’improvise pas visiteur de malades. À Saint Thomas de Villeneuve, le règlement intérieur de l’Association des bénévoles du centre de gérontologie précise que le volontaire qui veut servir dans l’Unité de soins palliatifs doit avoir un entretien avec le président de l’association, puis un rendez-vous avec le médecin et la psychologue de l’Unité. Ensuite, si le volontaire passe ce cap, il suivra un stage de deux mois dans l’Unité, en doublure avec quelques bénévoles plus expérimentés. Enfin,si tout se passe bien, il fera partie intégrante de l’équipe. Pour les autres services du Centre, maison de retraite, Cantou (service pour les malades Alzheimer), médecine et long séjour, un entretien avec le président et un autre avec l’infirmière référente du service suffisent. Le volontaire commencera aussi en doublure.
Le Centre propose des formations internes,de même que l’Association des bénévoles. Une fois par mois, l’équipe est supervisée par une psychologue extérieure à l’institution. C’est un moment privilégié où chacun peut parler de ses souffrances et de ses joies dans un climat de totale liberté et de parfaite discrétion. Dans cette belle mission au service d’autrui, en particulier en fin de vie, le bénévole éprouve des souffrances et des joies.
Nos souffrances
On peut se dire tout d'abord que ce n'est pas notre souffrance qui est importante, mais celle de l'autre. Cependant, nous ne sommes que des hommes et des femmes avec nos propres tripes et parfois la visite peut engendrer des souffrances. On peut être malheureux et souffrir pour de nombreuses raisons pendant ou après la visite.
Mais doit-on garder ses souffrances ? Il semble que non, nous pouvons les porter dans nos prières si nous avons la foi, mais chacun a sa propre famille et la vie continue. Il faut absolument se garder indemne pour la suite, mais en même temps accepter d'être vulnérable. L'abbé Pierre a une belle formule à ce sujet : « Être charitable, ce n'est pas seulement donner, c'est être blessé de la blessure de l'autre ». Je donne peut-être ainsi l'impression de me contredire ; cela prouve que notre situation est parfois complexe.
D'autres questions sont parfois difficiles à entendre, mais on a encore plus de difficultés pour y répondre : Un patient vous dit : « je veux mourir, c'est fini, je me sens inutile, j'ai fait la paix en moi et je suis prêt ». Alors on discute la main dans la main, les visages près l'un de l'autre. Cette situation est d'autant plus difficile à vivre que la famille n'est pas prête dans certains cas. Un autre patient, se sachant condamné, se demande pourquoi on va lui faire passer une radio, ce qui entraînera des souffrances pour le déplacement ; et il ajoute : « J'ai fait mon temps. Pourquoi l'injustice pour certains (donc pour moi) et pourquoi tout va bien pour les autres ? »
Un autre encore vous demande des médicaments ! Vous devez lui expliquer que ce n'est pas possible et la déception se lit sur le visage de celui qui vous fait confiance. Nous nous sentons parfois démunis devant tant de sincérité et de souffrances. On est là devant l'essentiel et non l'accessoire.
Ayant participé à une émission de TV FR3 Marseille en 2003 avec une "étiquette" précise : visiteur chrétien en S.P., j'ai reçu une lettre anonyme dans laquelle l’auteur courageux me traitait de « voleur de mort ». Ne voulant pas citer le reste, je préfère affirmer et dire que nous essayons plutôt d’être des « donneurs d’espérance ».
Nos joies
Même si le mot peut surprendre, nous connaissons aussi de grands moments de bonheur au contact de ces patients et de leurs familles qui vont à l'essentiel dans leur dernière démarche. Je vais essayer de vous faire partager ce sentiment par quelques témoignages :
- sentir l'apaisement du malade à cause de notre présence
- recevoir des paroles intimes qui ne seront pas exprimées à l'équipe soignante ou à la famille
- voir quelqu'un refaire surface, même si c'est pour mourir, mais dans une relation à soi-même apaisée
- emmener un malade faire une promenade dans le jardin du Centre et goûter avec lui la chaleur du soleil, l'image de belles fleurs ou regarder les poissons rouges du bassin
- ressentir et gagner la confiance du malade qui vous parle de sa maladie, de sa vie, de sa famille et qui vous dit : « Vous viendrez demain ; vous savez, je ne fais pas ces confidences à tout le monde »
- l'impression d'être attendu, d'être le bienvenu, se voir offrir un siège, s'entendre dire en partant :« revenez me voir », ou encore « je vous attendais »
- le bonheur d'un échange qui peut être parole, sourire ou geste
- l'insatisfaction momentanée due à une visite, mais la satisfaction à la pensée qu'un autre membre de l'équipe pourra poursuivre et améliorer l'échange
- la joie de partager un moment de prière et de donner la communion
- autre témoignage émouvant : la rencontre d'un membre de l'équipe avec un travailleur émigré sans domicile fixe. Toute l'équipe a connu et apprécié cet homme. La bénévole l'a accueilli le jour de son arrivée et cet homme l'a accueillie à chaque visite par un sourire chaleureux ; chacun a apprivoisé l'autre. Il a parlé de sa vie en France, de sa foi, des siens en Algérie. Un jour la bénévole l'a trouvé presque anéanti au fond de son lit car il sentait sa fin proche et allait retrouver son Dieu. Il lui a dit au revoir en ajoutant : « je parlerai de toi là-haut ». Quelle merveille, quel cadeau a reçu ce jour-là notre amie de la part de cet homme qui parlait souvent de sa foi qui l'entraînait vers l'espérance.
- Une autre forte expérience a été vécue par l'un d'entre nous. Un homme pleurait dans son fauteuil roulant ; la bénévole se présenta à lui et il lui dit très vite : « je veux la mort ». Un silence s'en suivit et il continua : « il faut me dire tu, est-ce que je peux te tutoyer ? » C'était un grand sportif, homme de compétition qui se mit à nommer toutes ses pertes physiques et celles de sa vie familiale, y compris sa mémoire qui s'en allait. Au fil des visites, la bénévole comprit qu'il acceptait le temps pour mourir, grâce à l'équipe soignante et à notre équipe, car nous l'avions tous visité. Il a revu ses enfants qu'il ne voyait plus et ses petits-enfants. Il n'était pas croyant et on sentait cependant sa recherche intense. Notre amie parlait avec lui de la nature, de la lumière dans la nature et elle essayait, par rapport à ce qu'il livrait avec générosité de sa vie, de le rassurer sur le doute qui l'envahissait du fait de la perte de ses facultés, de son aspect physique et sur la peur de « déranger les cœurs et les regards » de sa famille. C'est la confiance absolue manifestée par cet homme et l'impression d'être attendue de la part de la bénévole qui marquèrent profondément cette rencontre. En même temps que d'admiration envers sa compagne qui jusqu'au bout l'a accompagné avec beaucoup d'amour en l'emmenant puiser ses dernières forces près de la Montagne Sainte Victoire !
Ces rencontres sont un véritable cadeau où l'on ressort en même temps plus petit, plus humble mais aussi grandi.
Relations bénévoles-soignants / patients-familles
La relation des bénévoles avec les autres est semblable à une voiture qui possède quatre roues. Si l’une manque, l’ensemble s’en ressent. Quatre acteurs doivent tirer dans la même direction : le patient, sa famille, le soignant et le bénévole.
L'équipe de bénévoles ne peut opérer qu'en étroite coopération avec l'équipe soignante ; quels sont ces rapports ?
Je crois que la situation est celle d'un couple où l'on apprend à se connaître. Au début, soignants et bénévoles se demandent ce que fait l'autre, ce que pense l'autre et pourquoi il le fait. Très vite, les uns et les autres comprennent l'utilité de l'autre et des liens d'amitié se forgent peu à peu au point d’aboutir à une complicité entre nous pour le plus grand profit des patients et des familles.
Au début de chaque visite, nous prenons contact avec une infirmière ou aide-soignante qui connaît la situation de chaque patient. On nous indique telle visite à faire en priorité, que tel patient est en pleine dépression, que tel autre serait heureux d'aller se promener dans le jardin, que le membre d'une famille a besoin d'aide, que tel autre souhaite recevoir la communion. On s'organise alors et en fonction des visites de la psychologue de l'unité, on peut commencer notre propre visite.
Nous disposons au sein de notre équipe de notre propre cahier de transmission où chacun annote ce qui lui paraît important de communiquer au reste de l'équipe. Vous vous doutez de la confidentialité de nos échanges avec les patients. Certains propos ne sortent pas de l'échange, d'autres peuvent être confrontés en équipe ou dans le groupe de paroles, d'autres enfin sont à communiquer à l'équipe soignante pour le bien du patient. Le bénévole, par rapport au soignant, possède un immense avantage : celui du temps.
La relation patient-bénévole a déjà été évoquée lorsque j’ai parlé des mots clés du bénévole, de ses souffrances et de ses joies. Le point essentiel à retenir est que l’on vient rencontrer un vivant qui en général n’a pas envie de mourir. C’est bien dans ce cadre que la rencontre s’effectue même si, a contrario, s’occuper de soins palliatifs c’est tout de même côtoyer la mort et parfois en parler.
On peut se poser la question de savoir si le patient a des besoins. On ne se la pose plus quand on avance dans le bénévolat. Nous savons tous que le patient a des besoins physiques, des besoins psychologiques et des besoins spirituels.
Divers spécialistes existent dans l’Unité, dont c’est le métier de répondre à ces besoins : soignant, psychologue, aumônier lorsqu’il existe. Mais au gré de nos rencontres le bénévole peut servir d’interface ou être interpellé directement sur les problèmes suivants : le besoin de réconciliation avec un membre de sa famille (conjoint, enfant), la nécessité de se libérer parfois d’un sentiment de culpabilité, le besoin de mettre de l’ordre dans sa conscience et de terminer en paix avec soi-même, avec sa foi en Dieu.
J’ajouterai surtout le désir intense de ne pas mourir seul, mais d’être entouré par l’un des siens ou à défaut d’une personne de l’unité soignant ou bénévole. L’Évangile de Jean (19,28) nous parle du besoin exprimé par le Christ sur la croix : « J’ai soif » : comment ne pas établir un parallèle entre le Christ mourant sur la croix et le patient en fin de vie ? Tous deux ont une double soif, soif de liquide et soif de vie. Tous deux souffrent et ont peur de la mort. « Tout est accompli » (Jean 19,30) : le Christ atteint ainsi la perfection dans l’acte du don de sa vie.
Est-ce que tout est achevé pour le patient et pour celui qui l’accompagne ? Est-ce la fin de la vie pour le premier, la fin d’une relation privilégiée pour le deuxième ? Est-ce que tout est achevé lorsque l’on sort de la chambre du patient ? C’est parfois la première et la dernière visite !
Mystère de la vie, mystère de la mort !
Le bénévole passe autant de temps avec le patient qu’avec sa famille. En effet, les familles vivent une période difficile où chaque membre fait l'expérience de la souffrance, de la solitude et de la séparation. Les situations sont très différentes d'une famille à l'autre ; certaines savent la vérité mais ne veulent pas en parler avec leur malade, d'autres ignorent ou veulent ignorer la vérité alors que leur malade la connaît parfaitement, d'autres enfin connaissent la vérité, ainsi que leur malade et la mort peut venir plus doucement. Certaines familles se retrouvent au chevet du patient, tel père renoue avec sa fille perdue de vue, telle épouse avec son mari séparé.
Le bénévole a sa place au contact des familles pour leur faire visiter l'Unité de S.P. lors du premier contact, pour leur montrer comment s'y prendre à la salle à manger et avec les différents services du Centre, pour « tirer » une personne hors de la chambre et aller discuter avec elle lorsque l’on sent qu'elle n'en peut plus.
Nous vivons des situations de mensonge, parfois difficiles à gérer. La famille ment au patient pour ne pas le voir souffrir et le patient fait de même pour que sa famille ne souffre pas. Et le bénévole se trouve au milieu qui essaie d'aider au mieux les uns et les autres. Je me rappelle avec émotion deux sœurs que je connaissais par ailleurs. Celle qui allait mourir consolait l'autre qui lui rendait visite et qui n'arrivait pas à retenir ses larmes.
Nous sommes parfois témoins de scènes pénibles qui sont dues à la maladresse des membres de la famille, mais qui s’expliquent par leur souffrance. Voici quelques exemples :
- un fils rentre dans la chambre de sa maman et ouvre fenêtre et volet avec fracas pour que le soleil inonde la pièce et lui dit : « Maman, tu vas beaucoup mieux aujourd'hui » Le fait d'embrasser simplement sa maman aurait été beaucoup plus apprécié par celle-ci. Ce comportement est bien sûr une sorte d'autoprotection mais la patiente n'est pas dupe.
- une autre fois, un monsieur disait à voix haute des choses qu'il aurait dû taire au chevet de sa femme mourante. Je lui faisais remarquer que celle-ci était heureuse de sa présence et comprenait tout. Hélas, rien n'y fit, il continua de plus belle.
- une autre fois encore, le fils d’une patiente se comporta très mal en prenant à partie le personnel soignant.
- parfois la présence de la famille gène le rapport patient-bénévole car elle accapare la conversation sur un mode banal alors que le patient souhaiterait aller plus loin avec nous.
Mais le bénévole peut vivre aussi des moments de grâce ou de grande intensité. Je me trouvais dans une chambre, assis à côté de l'épouse au moment où son mari est décédé. Sa fille était de l'autre côté du lit. Son père mort, sa fille lui manifesta son amour de telle manière que je fus bouleversé par tant d'affection spontanée. Je me contentais de tenir l'épouse dans mes bras en silence.
Nous vivons avec les familles quelque chose de rare, le partage d'un moment unique dans la compréhension de la douleur, la leur et celle du malade qu'ils ne reconnaissent pas toujours. Nous sommes là aussi pour accompagner ce cheminement. Dans certains cas, une complicité s'établit avec des membres de la famille qui restent plusieurs semaines au chevet du malade. Et nous sommes toujours peinés de ne pas retrouver tel patient ou telle famille la semaine suivante.
L’accompagnement des patients en fin de vie est une mission d’une grande richesse. Certains parlent de travail, je préfère le mot de ministère, plus en rapport avec mes convictions. Je reprendrai le mot de Camus qui affirmait que « Ce qu’on attend de nous, ce sont les mots de l’espérance ». J’aime beaucoup la devise de l’Ordre de Malte que je cite en exergue de mon exposé, car nous marchons pas à pas, à côté et avec les malades, sans rien imposer, en toute humilité, en toute disponibilité avec un regard qui ne juge pas et qui se veut rempli d’affection et d’amour.
Bernard Jouishomme
Bénévole en soins palliatifs