Taizé, voie spirituelle vers l’universel
Les crises nous rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille et, par là, obligent à questionner ce qui fait sens pour nous et pour la communauté humaine. Quelles que soient nos appartenances de naissance : nationales, religieuses ou idéologiques, nous sommes tous acculés, à un moment donné, à en faire l’épreuve personnelle, c’est-à-dire à un travail non seulement intellectuel, mais spirituel.
Depuis plus de 60 ans, la communauté de Taizé se veut ouverte à ces cheminements. Les Éditions de Taizé publient actuellement les premiers écrits de Frère Roger, fondateur de la communauté. Ces textes me paraissent d’une grande force pour éclairer les chemins d’une spiritualité authentique. Dans la préface au second volume, le frère Alois, actuel prieur de la communauté note ceci : « Frère Roger nous disait souvent : “Nous ne sommes pas des maîtres spirituels ” ». Ces paroles signifiaient ceci : ce n’est pas nous-mêmes que nous voudrions mettre en avant. (…) Et pour cela, le frère Roger ajoutait : « nous sommes avant tout des hommes d’écoute » 1.
À partir de la prise de conscience de la division des Églises chrétiennes, Frère Roger appelle à un œcuménisme qui ne soit pas la roue de secours d’institutions se sentant menacées, mais une ouverture à l’universel.
Écrivant à une époque d’affrontement entre le christianisme et le communisme, Frère Roger écrit : « Nous nous alarmons de la facilité avec laquelle beaucoup regardent l’œcuménisme comme moyen de croisade des chrétiens contre le marxisme. Donner un tel mobile à l’unité retrouvée entre chrétiens, qui iraient s’opposant à d’autres hommes, est inqualifiable » 2. Dans une conférence de presse, en 1963, pour lancer une collecte œcuménique destinée à soutenir des coopératives agricoles en Amérique latine, Frère Roger déclare : « Un œcuménisme qui ne viserait que la rencontre des chrétientés occidentales serait voué à l’échec, car il nous ferait retomber dans le processus de repliement sur soi-même qui caractérise toute vieille société. Si nous coopérons pour apporter une promotion humaine aux plus pauvres (…) nous serons vraiment engagés dans l’oecuméné, (…) nous accomplirons ensemble le geste œcuménique qui résume tous les autres : l’accueil du prochain le plus pauvre » 3.
Au moment où la liturgie chrétienne va nous faire entrer dans le temps de l’Avent, il me semble important de méditer ces mots de Frère Roger : « Aujourd’hui, à cause de Noël, Dieu est là pour tous. Il n’est pas nécessaire d’être mystique ou intelligent. Dieu est homme. Il n’est plus exigé de monter pour l’atteindre, il est descendu parmi nous. Il est là pour tous, non plus pour un peuple, mais pour toutes les nations. C’est là un des ferments révolutionnaires de l’Évangile. (...) Aussi il se ferait menteur celui qui, portant le nom de chrétien, demeurerait l’homme d’un groupe élu, d’une secte, d’une caste » 4. Bien loin de nous amener dans un refuge hors du monde, le cheminement spirituel constitue la voie la plus radicale vers l’universalité de l’humain.
Bernard Ginisty
1 – Frère Roger, de Taizé (1915-2005)
: A la joie je t’invite. Fragments inédits 1940-1963, pages 5-6, Les Ateliers et Presse de Taizé en collaboration avec les éditions de l’Atelier, 2012.
2 – Id. pages 58-59.
3 –– Id. page 188. Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium en date du 24 novembre 2013, le pape François écrit : « Pour l’Église, l’option pour les
pauvres est une catégorie théologique, avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique (…) Cette préférence divine a des conséquences dans la vie de foi de tous les
chrétiens » (198).
4 – Id. pages 98-99. Frère Roger avait été invité par Jean XXIII à assister au Concile Vatican II comme observateur. Dans un texte intitulé Que demeure-t-il du concile ?
rédigé à la veille de sa mort et reproduit à la fin de cet ouvrage, il écrit ceci : « Il est par exemple une clarté d’Évangile que le concile a dégagée et qui était longtemps
demeurée sous la poussière des ans : “Le Christ est uni à chaque être humain sans exception ”. Cette expression est tirée de Gaudium et Spes, l’un des plus beaux textes
conciliaires. (…) Cette saisissante intuition peut ouvrir à une compréhension nouvelle de la foi sur terre », page 236.