Superstar… À perdre la raison

Publié le par G&S

Le cinéma, art de notre temps : non seulement le cinéma donne à voir le monde tel qu’il va, mais il donne à penser, il invite à un regard critique sur nous-mêmes et sur la société telle qu’elle fonctionne. Retenons pour illustrer cela deux films sortis récemment.

 Superstar

de Xavier Giannoli (France)

Superstar--affiche-film-.jpgUn brave homme (Kad Merad), employé dans une entreprise de recyclage informatique travaillant avec des handicapés, se trouve un beau matin pris sans savoir pourquoi dans le tourbillon de la célébrité, poursuivi par les paparazzis, reconnu dans le métro, pourchassé pour ses autographes.

De manière étonnante, le même thème se trouvait abordé très récemment par Woody Allen dans un des sketchs de son dernier film, une comédie brillante sur le mode burlesque, To Rom with love, et c’était Roberto Benigni qui était brusquement touché  par la célébrité, signe que cette situation est dans l’air du temps.

Xavier Giannoli aime placer des gens ordinaires dans des situations exceptionnelles, comme déjà dans À l’origine, mais c’est toujours pour parler de notre société, et il le fait ici avec brio et efficacité, il invite à réfléchir en particulier dans trois directions.

C’est d’abord une critique virulente du monde des médias et de leur place dans notre société. Certains journalistes de télévision (mais aussi d’Internet) transforment tout en spectacle, mélangent le réel et l’artificiel, marchent au chantage, sont prêts à tout pour faire de l’audience : « on ne discute pas les goûts du public ! ». S’y ajoute une critique acerbe de la psychanalyse lorsqu’elle entre dans le jeu du spectacle : ses flèches aigües peuvent détruire une personne, au lieu de l’aider à se construire. Sommes-nous à ce point dans une société du « people » ? La question est posée.

Plus profondément, le film soulève donc une question majeure : la difficulté à être soi-même dans le monde actuel, la crise d’identité de chacun. Comment être et devenir soi-même, dans un monde où tout est soumis à l’apparence, à l’artificiel, au succès passager ? Comment être vrai, alors que tout pousse au paraître, au mensonge, à viser le vedettariat ?

On rejoint donc ainsi une autre question de fond. Le film est librement inspiré d’un roman de Serge Joncour, L’idole, dont il est question dans la dernière partie du film. Un monde où Dieu est absent a sans cesse besoin d’idoles et en fabrique avec facilité : footballeurs, vedettes de cinéma ou de télévision, ou même n’importe qui. Le mot « pourquoi ? » et la question du sens reviennent sans cesse. L’homme a besoin d’absolu, de quelque chose qui le dépasse, aujourd’hui comme hier. Au lieu d’idoles, la découverte du Dieu vrai peut rester une Bonne Nouvelle.

 Àperdre la raison

de Joachim Lafosse (Belgique)

A-perdre-la-raison--affiche-film-.jpgLe beau film belge de Joachim Lafosse est très émouvant, il soulève de vrais problèmes de société et pourra se prêter à bien des débats. Inspiré d’un événement réel survenu en Belgique, il se consacre en particulier à la difficulté d’être femme dans le monde actuel, quand se cumulent la charge de quatre enfants, un travail professionnel et une belle-famille encombrante.

Mounir est né dans une famille marocaine, mais très jeune il a été emmené à Bruxelles et élevé par un médecin, le Dr Pinget, qui le regarde comme son fils. Mounir tombe amoureux fou de Muriel, une jeune institutrice, et tous deux se marient en habitant dans le vaste appartement du médecin, qui les entoure de son affection. L’histoire est longtemps proche d’un conte de fées, le beau mariage, le voyage de noces, la naissance de trois filles. Puis la charge des enfants, et la présence tutélaire mais étouffante du médecin devenu le Papy va peu à peu détériorer la vie de famille, jusqu’au drame final.

Le film s’attache d’abord au problème des relations affectives à l’intérieur d’une famille : le père adoptif, tellement généreux et bienveillant à l’égard de son fils et de sa belle-fille, devient omniprésent et possessif, le mari d’abord gentil mais écrasé par son père adoptif se révèle velléitaire et irresponsable, la femme est emprisonnée entre ces deux hommes et ses enfants. Dans les relations affectives, comme on l’a écrit, « la douceur peut être une arme plus destructrice que la violence ». Il existe des mères possessives ; on peut rencontrer aussi, comme ici, des pères possessifs et dominateurs

Mais le film aborde aussi le choc entre deux univers culturels : ce médecin belge, riche et cultivé, a pris chez lui ce jeune garçon venu du Maroc, il continue à aider cette famille marocaine pauvre, mais il le fait de manière paternaliste, en faisant peser sur chacun sa supériorité d’homme nanti et installé. On est loin d’une vraie relation d’égalité et de fraternité.

L’interprétation d’Émilie Dequesne dans le rôle de la jeune femme est remarquable de bout en bout, et lui a valu à Cannes le Prix d’interprétation féminine dans la Section Un Certain Regard. À côté d’elle, Niels Arelstrup dans le rôle du médecin est correct sans plus ; Tahar Rahim, devenu célèbre avec « Un Prophète », est toujours beau garçon, mais il ne semble pas vraiment habiter son rôle.

Jacques Lefur
le 7 septembre 2012

Publié dans Signes des temps

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