Strauss-Kahn, médias et justice américaine
Ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Strauss-Kahn provoque un phénomène médiatique mondial à la mesure des responsabilités exercées par celui qui était qualifié de grand argentier de la planète. Le dépôt d’une plainte, pour harcèlement sexuel et séquestration, par une femme de service de l’hôtel où résidait Dominique Strauss-Kahn a provoqué, en 48 heures, la chute du directeur général du FMI et probable candidat à l’élection présidentielle en France.
On se réjouirait de constater que la justice américaine prenne en compte la plainte d’une femme de chambre face à l’un des hommes les plus influents de l’économie mondiale si, en même temps, et avant tout jugement, elle n’avait pas livré aux médias, en dépit du principe de la présomption d’innocence, les images d’un hommes aux abois, mal rasé et menotté. La personnalité de DSK ne mérite ni le privilège que serait l’étouffement d’une affaire qui reste très grave, ni l’indignité à laquelle l’a livré la justice américaine avant même que les faits soient établis de façon contradictoire.
Une fois encore se vérifie à quel point l’utilisation des médias télévisés, en temps soi-disant « réel », submergent les débats rationnels dans nos démocraties. Évoquant le temps record que les Américains passent devant l’écran de télévision, l’ancien vice-président Al Gore écrit : « Celui qui passe quotidiennement quatre heures et demie devant la télévision aura vraisemblablement un modèle de fonctionnement cérébral fort dissemblable de celui qui lit pendant quatre heure et demie » et il poursuit : « L’axiome bien connu qui préside aux journaux télévisés locaux est “Plus ça saigne et plus ça paye” (ce à quoi certains journalistes désabusés ajoutent : “plus tu penses et plus tu crains”) » 1.
Inculpé d’agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration, Dominique Strauss-Kahn nie pour l’instant ces accusations. Quel que soit le verdict du tribunal appelé à le juger, il portera sur le comportement d’un homme vis à vis de la loi et non pas, comme on le lit trop souvent, sur la qualité de son travail au FMI, l’élection présidentielle française ou l’image de la France dans le monde.
La personnalisation à outrance qu’entraîne le mécanisme de l’élection présidentielle dramatise de façon peu rationnelle les vicissitudes du parcours des grandes figures du monde politique. Cette dramatisation a pris une tournure particulière avec le mode de fonctionnement de la justice américaine, comme l’analyse Nicolas Demorand dans un éditorial du journal Libération :« Partout des caméras et des appareils de photos, cette transparence totale caractérise la justice américaine mais rappelle, ici, un vieux supplice d’Ancien Régime : l’exposition publique, autrefois réservée aux condamnés qui, sous les yeux de la foule, devaient payer leur faute au prix de la honte. Le spectacle de cette déchéance marquera profondément et pour longtemps le rapport des Français à la politique » 2.
Bernard Ginisty
1 – Al Gore : La Raison assiégée. Editions du Seuil, 2008, pages 25 et 29. Et l’ancien Vice-Président des Etats-Unis ajoute : « Pour cette raison et pour d’autres, la presse américaine s’est retrouvée dans une étude internationale au trente-troisième rang mondial pour la liberté de la presse. (Index 2006 de la liberté de la presse dans le monde Reporters sans frontières, 23 octobre 2006) ».
2 – Nicolas Demorand, Éditorial du journal Libération du 17 mai 2011, page 2.