Stéphane Hessel, résistant, diplomate, indigné, est mort
L’ancien résistant et diplomate Stéphane Hessel est mort dans la nuit de mardi à mercredi 27 février à l’âge de 95 ans. Il aura, sous toutes les latitudes, combattu contre les injustices jusqu’au bout de ses forces, et avec la distinction qui le caractérisait. À la fois intrépide, infatigable et enthousiaste dans cette lutte, ce résistant de la première heure a toujours eu des convictions de gauche et s’est publiquement prononcé en faveur de François Hollande, lors de la dernière campagne présidentielle.
Il était revenu sous les projecteurs de l’actualité en octobre 2010, à 93 ans, par la publication de « Indignez-vous ! » (plus de 4 millions d’exemplaires vendus dans le monde), petit livre à l’origine de l’émergence du mouvement des jeunes « indignés » dans plusieurs capitales occidentales.
L’éternel jeune homme
Visage jovial et humour subtil quand il ne se faisait pas dénonciateur, Stéphane Hessel puisait son dynamisme d’éternel jeune homme dans ce qu’il avait nommé, lors d’une longue rencontre accordée à « La Croix » en 1999, « un vieux rapport dès le plus jeune âge avec le bonheur de se trouver dans le monde, même s’il a des côtés atroces ». S’il est né le 20 octobre 1917 à Berlin dans une famille d’écrivains, son père Franz (d’origine juive) et sa mère Helen (blonde Prussienne) s’étaient en fait rencontrés en 1912 à Paris, où l’effervescence culturelle les avait attirés.
Helen revient à nouveau dans la capitale française en 1924 pour refaire sa vie en compagnie de ses deux fils, avec le romancier Henri-Pierre Roché, ami de longue date du couple. Franz accepte la liaison, et Roché la transposera dans un roman, Jules et Jim, porté plus tard à l’écran par François Truffaut.
Jules et Jim
Au milieu de cet imbroglio familial, le jeune Stéphane a l’occasion de croiser les stars du surréalisme et doit sans cesse répondre aux exigences maternelles. C’est Helen qui le persuade de ne pas se laisser gagner par l’indolence, alors qu’il a le bac en poche et qu’il est féru de littérature : il le restera toute son existence, avec une prédilection pour la poésie 1. Après deux années d’études peu assidues à la School of Economics de Londres et à l’École libre des sciences politiques de Paris, il suit hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, puis est reçu à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1937, année où il obtient la nationalité française.
Il rejoint de Gaulle en 1940
Concernant sa vie 2, Stéphane Hessel avait l’habitude de parler de « chance extraordinaire ». Après la percée allemande de mai 1940, il est retenu prisonnier dans le camp de Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne) avec plusieurs hommes de son unité où il a rang de capitaine. Il s’en échappe rapidement et se trouve parmi les premiers à rejoindre de Gaulle à Londres.
Outre-Manche, il est affecté au bureau de contre-espionnage, de renseignement et d’action (BCRA), service chargé de gérer les relations entre l’état-major britannique, le général de Gaulle et les divers responsables de la Résistance en France. En mars 1944, il est envoyé dans l’Hexagone dans le cadre d’une mission visant à organiser, avant le débarquement, la couverture radio du territoire.
Arrêté à Paris par la Gestapo
Mais le 10 juillet 1944, à la suite d’une trahison, il est arrêté à Paris par la Gestapo, qui le torture et l’expédie à Buchenwald. Là, il est sauvé avec quelques autres de la pendaison grâce à la complicité d’un intellectuel allemand qui échange leur identité avec celle de prisonniers fauchés par le typhus. Il parvient une nouvelle fois à fuir, lors d’un transfert par train vers un autre camp, et s’intègre dans un détachement de soldats américains qui vient d’entrer en Allemagne.
Rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme
Stéphane Hessel s’affirmait guidé, depuis son adolescence, par « le respect des droits de l’homme. Après la seconde guerre mondiale, alors qu’il commence une carrière de diplomate au quai d’Orsay, il participe à la rédaction de la déclaration universelle des droits de l’homme, signée en 1948 dans le cadre des Nations unies.
De gauche mais, selon sa propre expression, « sans dogmatisme », le normalien diplomate prend ses distances avec le marxisme. Il intègre le cabinet de Pierre Mendès France, lorsque celui-ci arrive à Matignon en 1954. Sous la présidence de Charles de Gaulle, il s’occupe de coopération à l’ambassade d’Alger et, sous celle de Georges Pompidou, il devient directeur aux organisations internationales à Paris avant d’être détaché comme administrateur à l’ONU.
Entre au gouvernement en 1981
En 1977, Valéry Giscard d’Estaing le nomme représentant de la France auprès de l'ONU à Genève. Sous la présidence de François Mitterrand, il est délégué interministériel pour l’aide au développement, avant de faire partie de la Haute autorité de la communication audiovisuelle et de conseiller le premier ministre Michel Rocard sur les questions d’immigration.
L’une des dernières images publiques que l’on a gardée lui est aussi celle du médiateur des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, à Paris, en 1996. Sa mince et élégante silhouette était apparue sur la scène médiatique pour exhorter, avec quelques autres personnalités, le gouvernement Juppé à faire preuve de souplesse face aux 350 Maliens en situation irrégulière qui occupaient l’église du 18e arrondissement. Il plaidait non pas pour la régularisation de tous les clandestins, mais pour l’examen des situations individuelles, au cas par cas, et à la lumière des droits de l’homme, de la famille et de l’enfant. La méthode fut finalement privilégiée par le gouvernement que Lionel Jospin constitua en 1997.
Stéphane Hessel était prêt à participer à tous les débats 3, y compris théologiques. « L’immortalité de l’âme est liée à la divinité pour les uns et à des valeurs éternelles pour les autres », disait-il en ne cachant pas qu’il se situait dans la seconde catégorie et qu’il avait « de la considération » pour la première.
Veuf et remarié, il était père de trois enfants et huit fois grand-père.
Antoine Fouchet
Article de La Croix
1 – Lire son anthologie de poèmes commentés : Ô ma mémoire : la poésie, ma
nécessité (Le Seuil, 2010)
2 – Lire son autobiographie : Danse avec le siècle (Le Seuil, 1997)
3 – Dernier ouvrage paru, un livre d’entretiens avec Roland Merk : À nous le peuple de jouer (Autrement, janvier 2013, 12€)