Sortie de crise : par le haut ou par le bas ?
À l’heure où certains observateurs nous parlent d’une « sortie de crise », force est bien de constater que cette « sortie » est loin de se généraliser. Certes, malgré les élans d’indignation ou les mouvements de menton des dirigeants politiques, le monde de la finance recommence de plus belle à empocher des bonus mirobolants. Selon le Wall Street Journal, le montant des primes versées aux traders et à leurs patrons retrouve les mêmes niveaux qu’avant la crise. Ainsi, note le journal La Croix, « En dépit de la colère du grand public, la finance semble avoir repris ses anciennes habitudes. À Londres, Bob Diamond, patron de la Barclays, a d’ailleurs déclaré devant une audience parlementaire que la période de pénitence était terminée pour les banquiers… “ On est revenu à la case zéro”, se désole Thomas Philippon, professeur à l’université Stern de New York. “ Il faut s’interroger sur l’efficacité du G20 contre les bonus imbéciles” ajoute Olivier Pastré, professeur d’économie à Paris VIII 1.
Mais, face à ces lendemains de crise qui chantent pour le monde de la finance, la misère sociétale ne cesse de s’accroître. Ainsi on peut lire dans les journaux cette autre information : « Dans la capitale, le Samu social observe une hausse progressive de l’accueil des jeunes SDF dans des dispositifs de la dernière chance. Depuis 2008, la part des 20-24 ans dans l’hébergement d’urgence est passé de 8 à 10 % » 2. Exemple parmi d’autres de cette fracture sociale grandissante qui caractérise de plus en plus toutes les sociétés occidentales. Ce qui d’ailleurs conduit, au niveau politique, à la montée des partis nationalistes et d’extrême droite dans nombre de pays européens.
Il n’est donc pas vrai que tout ce qui est bon pour les acteurs du système financier soit automatiquement bon pour les économies et les sociétés. Il est plus que temps de s’arracher aux belles images médiatiques qui nous vantent les prouesses de « gagnants » dans un univers où le pacte social s’effrite un peu plus tous les jours. Ce qui est en cause, c’est bien le système de valeur au nom du quel nous jugeons nos sociétés.
À l’initiative du mouvement ATD Quart-Monde, la phrase suivante a été inscrite sur les murs du Conseil Économique et Social : “ Considérer les progrès de la société à l'aune de la qualité de vie du plus pauvre et du plus exclu est l'honneur d'une nation fondée sur les droits de l'homme”. L’attention à l'exclu, loin de constituer un superflu pour belles âmes, est au cœur de toute évolution des sociétés vers plus d'humanité. Non pour en faire un « gisement d’emplois » cher à nos technocrates, mais pour ne pas manquer un élargissement de la compréhension du monde. Admettre les exclus comme partenaires dans la vie politique et sociale, non pas pour les « expliquer » ou chercher à les « insérer » dans des dispositifs 3, mais pour d’abord faire place à leur parole, constitue le moteur d’une pensée renouvelée de soi et du monde. La phrase biblique « la pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs devient la pierre d'angle » 4 constitue non seulement une vérité spirituelle, mais le fondement même de l'humanisation de nos sociétés et du développement du psychisme humain.
Bernard Ginisty
1 – « Le montant des bonus reste élevé malgré une régulation plus stricte » in Journal La Croix du 9 février 2011, page 16
2 – « De plus en plus de jeunes se retrouvent à la rue. Une analyse de l’Observatoire du 115, réalisé en exclusivité pour La Croix, dresse un constat inquiétant sur la prisé en charge des jeunes SDF en France » in Journal La Croix du 21 avril 2011, page 2
3 – En 1993, on pouvait déjà lire ceci, dans un rapport préparatoire au XIe Plan, sur l'évolution du travail social : « L'insertion, comme concept et comme pratique, garde un certain caractère d'indécidabilité, car elle est l'outil que la société s'est donné à elle-même pour surseoir, pour ne pas décider du caractère discriminant ou non de l'emploi ou du non-emploi, et pour se donner le temps d'un lent travail de redéfinition de la citoyenneté et du pacte social ». (Commissariat Général au Plan : Redéfinir le travail social, réorganiser l’action sociale. La Documentation française, 1993, p. 41)
4 – Phrase tirée du Psaume 118,22, que l’on retrouve plusieurs fois citée dans le Nouveau Testament