Silence et mutisme
L’Évangile me provoque.
Plusieurs fois Jésus fait parler les muets. Matthieu (9,32 ; 12,32) raconte plusieurs guérisons de ce genre et Luc parle même d’un démon muet (11,14).
En se donnant, le Verbe donne la Parole : c’est logique !
Les prisonniers de l’expression orale sont déliés. La parole se libère. Le dialogue s’instaure, la communication devient plus simple, nul n’est obligé de parler, l’écoute même suppose attention et recueillement pour accueillir la parole d’autrui, pour la loger dans son cœur, là où elle s’enracine, se précise et devient féconde.
Le silence respecte la parole, celle de Dieu, des humains et... de la nature, car elle aussi a quelque chose à dire.
Le silenceest action et apaisement, il ouvre à l’altérité.
Offrande et pas du tout repli, prélude à toute cantate, le silence veille à ne rien laisser perdre :
- il donne du poids à la moindre conversatio- il imprègne de réflexion les mots jetés
spontanément
- il calme les bavards, freine les logorrhées,
- il permet de conserver à l’intime de soi-même la confidence d’autrui ; l’humilité lui donne sa taille, la charité sa force souriante et débonnaire, le silence crée un bon climat de
fécondité,
- il soutient l’action de grâce, il est en gésine de la réplique douce et audacieuse, il étouffe le bavardage.
Le mutisme est à l’opposé du silence.
Il enferme, sans discussion, il clôt le débat, il mure en soi-même, tue le dialogue, alourdit l’atmosphère, la rend irrespirable. Il asphyxie les mots qui meurent avant d’être proférés.
Il me semble que dans l’Évangile la guérison des muets nous pousse à implorer le Christ pour qu’il nous délivre de nos mutismes. Quand je réfléchis, j’en découvre de nombreuses sortes qui ravagent les relations dans tous les groupes humains.
Dans les familles, les formations politiques, les syndicats, les communautés religieuses, les associations de toutes sortes, les équipes hiérarchiques... les bouderies exacerbées parasitent la communication de ceux qui se réunissent en principe pour se concerter.
Oui, rien de plus calamiteux que le mutisme. Plusieurs catégories, cousines germaines entre-elles, paralysent les échanges au sein d’un groupe :
- le mutisme de paresse : peur d’avoir trop à parler et de se fatiguer à expliquer sa
pensée.
- le mutisme de déception : à quoi bon prendre la parole, ce que je pense n’est pas important.
- le mutisme de lâcheté : prendre position est vraiment trop dangereux.
- le mutisme d’orgueil : “ ils ” sont trop sots, “ ils ” ne comprendront pas.
- le mutisme hiérarchique : parler à ses subordonnés leur donne des armes contre le pouvoir ; les tyrans se taisent pour régner.
- le mutisme de rage : la rancœur envahit l’être et assèche la parole.
- le mutisme de la jalousie : il sèche la bouche et épaissit la langue.
- le mutisme de défiance de soi : « je n’ai rien à dire d’intéressant ! »
Il y a sans doute beaucoup d’autres manières de sombrer dans le piège du mutisme tendu par le diable pour semer la division, pour détruire la dynamique populaire, pour ratatiner les consciences, pour contrecarrer l’offrande de soi.
Le Christ a fait parler les “muets” : Seigneur délivre-nous de la fermeture qui tient captive la parole, véritable bien commun de l’humanité !
Christian Montfalcon (1999)