Sexualité : « Et Dieu vit que cela était bon »
Qu’il s’agisse du « différent » qui oppose Rome aux religieuses américaines, des positions de l’Église catholique sur l’homosexualité en lien avec les projets de mariage gay et d’homoparentalité, c’est la « vision » catholique de la sexualité qui est en jeu et qui semble aujourd’hui, à beaucoup, d’un autre âge !
Je ne sais pas si je dois, dès à présent, rassurer mes lecteurs les plus intransigeants : non je ne puis me prévaloir d’aucune compétence théologique particulière en la matière et ne prétends, au travers de mes propos, ni faire école, ni générer une quelconque dissidence. Mes réflexions se limiteront ici à celles d’un honnête homme, profondément croyant, persuadé que si le sexe a une évidente dimension spirituelle, le Christ n’a jamais fait sur le sujet la fixation de l’institution ecclésiastique.
Fâchés avec Dieu… pour des questions de braguette !
Il ne faut pas être grand clerc pour constater que l’enseignement de l’Église en matière de sexualité n’intéresse plus grand monde. Et qu’il a sûrement contribué, dans une large mesure, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, à éloigner de nos églises des millions d’hommes et de femmes de « bonne volonté », bien décidés, en la matière, à ne pas se laisser dicter le permis et le défendu par des ecclésiastiques ayant fait pour eux-mêmes le choix du célibat… donc de la continence. Avoir conduit des générations à se détourner de Dieu pour des questions de braguette… là est le véritable scandale.
Car enfin, réaffirmer avec constance – j’allais écrire avec entêtement – que seuls sont moralement licites les rapports sexuels vécus dans le cadre du mariage, et plus encore à la condition de rester ouverts à la transmission de la vie… voilà bien le plus formidable déni non seulement de la réalité mais de la morale communément admise. Et que l’on ne vienne pas m’objecter le témoignage de couples fidèles à l’enseignement du Magistère qui vivent cette exigence comme chemin de sanctification… J’ai pour eux le plus profond respect mais cela ne me convainc pas du bien fondé de la discipline à laquelle ils s’obligent.
« Morale naturelle », que de crimes commis en ton nom ! De l’idée, aujourd’hui démentie par la science, que les animaux ne copulent que pour se reproduire, la morale catholique a conclu que c’était également là la volonté de Dieu pour la plus aboutie, la plus aimée de ses créatures : l’homme, homme et femme. Point de sexe donc hors de la transmission de la vie. Et aujourd’hui comme hier point de plaisir solitaire, de sexualité juvénile, de cohabitation hors mariage, d’homosexualité active, de contraception dite artificielle… Le seul « devoir conjugal », Dieu merci non sans amour !
Le sexe dans la Bible : avant tout préserver la survie du peuple Hébreu !
Si la Bible est explicite sur la condamnation de l’onanisme et de la sodomie, au point de servir à ce jour encore de fondement aux « interdits » du catéchisme… elle décrit également nombre de situations, somme toute « peu catholiques ». C’est Dieu qui demande à Osée d’épouser une prostituée ; ce sont les deux filles de Loth qui se glissent dans le lit de leur père ; c’est la pratique de la polygamie généralisée chez les patriarches au point que les douze fils de Jacob – d’où sortiront les douze tribus d’Israël – sont issus de quatre lits « simultanés » : ses deux épouses et ses deux concubines. Et qui ne s’est jamais interrogé, un peu gêné, sur la manière dont Caïn avait bien pu avoir une descendance, sinon en couchant avec sa mère, Ève ?
Si tout cela a un sens caché, ce que je crois, c’est sans doute celui-ci : comment le petit peuple Hébreu, peuple élu, peuple du Dieu unique, vivant sous la menace constante des famines, des épidémies, de la mortalité infantile, de l’hostilité des tribus voisines, aurait-il survécu si la sexualité des uns et des autres avait été détournée de l’unique devoir de donner la vie à une descendance nombreuse ? 1 Cela suffit, à mes yeux, à expliquer ET les interdits (onanisme, homosexualité) ET les tolérances (inceste, polygamie…). Et l’on peut trouver les mêmes impératifs, souvent de nature religieuse, dans d’autres sociétés confrontées aux mêmes dangers.
La sexualité : nature et/ou culture ?
Si la « loi naturelle » et le simple bon sens continuent de nous dire, en ce début de millénaire, qu’il faut bien un homme et une femme pour donner vie à un enfant, elle peut plus difficilement être sollicitée pour justifier l’amoralité supposée de la sexualité dès lors qu’elle exclurait toute finalité reproductrice immédiate 2. Est-il dans la nature de l’homme, voulu par Dieu, de se laisser enfermer dans une forme de biologisme au point d’en oublier qu’il est appelé, par ce même Dieu, à transformer sa condition et donner sens à son existence ? Ce qu’on appelle… la culture ! D’ailleurs l’Évangile n’est-il pas un appel constant à dépasser la simple nature pour modeler une éthique ? Quoi de moins « naturel » que l’injonction du Christ : aimez vos ennemis ?
En 2012, le genre humain est-il menacé de s’éteindre par refus de transmettre la vie ? Non, et c’est bien pourquoi, dans leur lent travail d’émancipation par rapport au christianisme, nos sociétés occidentales ont reconnu et proclamé l’autonomie du sexuel vis-à vis de l’exigence de « reproduction » du groupe. Serait-ce alors l’Église catholique, comme nouveau « peuple élu », qui serait physiquement menacée, justifiant le maintien des anciens interdits ? Cette idée, il faut le reconnaître, reste présente ou tout au moins sous-jacente, ici et là 3, dans bien des documents d’Église.
À trop se crisper, l’Église passe à côté de sa mission
Ce qui pose bien des questions : de quel droit un « petit peuple catholique », prétendument menacé dans son existence même, imposerait-t-il sa morale de survie dans un monde sécularisé soucieux, avant tout, de maîtriser les risques de surpopulation pour permettre à chacun de mener une existence digne ? 4 Et si les catholiques restent figés dans leur vision de la sexualité, ne se condamnent-ils pas à un repli sectaire, à une stigmatisation, voire une exclusion de facto de celles et ceux parmi eux – notamment les personnes homosexuelles – qui bien qu’attachés au Christ ne reconnaissent pas dans cette morale l’enseignement de l’Évangile ? Mais plus encore : en se posant ici en contre-culture, en réfutant toute idée d’évolution de sa discipline l’Église ne se prive-t-elle pas de la chance de partager avec les hommes et les femmes de ce temps le sens profond de la sexualité dans le plan de Dieu, qui ne saurait se déduire d’une lecture fondamentaliste de la Bible ?
Je vais au bout de ma pensée. Je trouve aujourd’hui pareillement insensées la diabolisation sans nuance de la masturbation et la condamnation morale des relations sexuelles pré-maritales dans nos pays où l’on se marie en moyenne à l’âge de 30 ans, alors que la maturité sexuelle des jeunes n’a jamais été aussi précoce 5 ; insensées tout autant la prohibition des méthodes de contraception dites artificielles et l’obligation morale faite aux personnes homosexuelles de vivre leur vie durant dans la continence. Car il n’est de sexualité « contre nature » que pour autant que l’on maintient le principe selon lequel la sexualité doit rester, pour tous, potentiellement ouverte à sa finalité de reproduction 6, même si ce n’est pas la seule 7.
Regardons autour de nous : l’enseignement de l’Église en matière de sexualité n’est plus respecté au-delà d’un petit cercle de fidèles ; dans le même temps, nos sociétés occidentales ont marchandisé le sexe et promu un hédonisme inhumain et dévastateur. Mais s’imaginer lutter utilement contre des dérives consuméristes et libertaires par le simple retour à un moralisme chrétien est sans doute utopique. Qu’est-il préférable pour l’Église, ou plus exactement où est-elle le plus dans la vérité de sa mission : en maintenant contre vents et marées des interdits dont le fondement théologique semble parfois mal assuré, ou en faisant le pari généreux d’éduquer chacun à la liberté et à la responsabilité d’une sexualité « adulte » qui procède de cette Création dont la Genèse nous dit : « et Dieu vit que cela était bon » ?
Dépasser la simple répétition d’interdits incompréhensibles
Je ne vis pas sur une autre planète que notre Terre commune et j’observe autour de moi que les jeunes générations, avec ou sans pratique de la contraception, avec ou sans cohabitation pré-maritale, sont rarement dans le vagabondage sexuel mais plutôt dans la quête d’une fidélité et d’une fécondité amoureuse ; j’observe que les personnes homosexuelles que je connais sont le plus souvent engagées dans un lien de couple profond et durable, respectueuses d’elles-mêmes et des autres, plus désireuses de reconnaissance fraternelle et sociale que d’accès à un statut matrimonial.
Nous chrétiens, porteurs d’une Bonne Nouvelle, n’avons-nous pas autre chose à offrir aux uns et aux autres, comme aux sociétés dans lesquelles nous vivons, que la simple répétition d’interdits devenus incompréhensibles et inopérants ? 8 N’est-ce rien de dire à tous, à la lumière de l’Évangile, que la confiance accordée à l’autre, la fidélité, la solidarité, le dépassement de sa finitude par le don de la vie ou toute autre forme de fécondité généreuse, le total abandon dans le plaisir donné et reçu, ou le choix volontaire de la continence, offrent la plus parfaite expérience de l’amour que Dieu nous porte ?
Que l’homme, homme et femme, n’a jamais fini de se construire dans la liberté, pour peu qu’il sache regarder juste, haut et loin ?
René Poujol
Publié sur le site http://www.renepoujol.fr
et par G&S avec l’aimable autorisation de l’auteur
1 – La Bible n’hésite pas à
écrire : « L’aînée dit à la plus jeune : “Notre père est vieux et il n’y a point d’homme dans la contrée pour venir vers nous, selon l’usage de tous les pays. Viens, faisons
boire du vin à notre père, et couchons avec lui, pour que nous conservions la race de notre père”. »
2 – La plupart des théologiens conviennent que, quelles que soient les qualités de l’encyclique
Humanae Vitae, sa prétention à fonder sur la « loi naturelle » l’interdit des méthodes de contraception artificielle est difficilement recevable.
3 – Il m’est arrivé de lire que Rome devait rester inflexible sur la condamnation des méthodes
artificielles de contraception, car seules les familles nombreuses donnaient des prêtres à l’Église.
4 – La démographie en France se « porte bien » malgré la législation sur la contraception et on imagine mal les autres pays européens retrouver une dynamique
de croissance de leur population en « criminalisant » la régulation des naissances.
5 – Dans le monde juif au temps du Christ on se mariait à 13 ans. Roméo et Juliette n’en avaient
guère plus de 15 lorsque le frère Laurent les maria. Autant dire que puberté et mariage ont coïncidé durant des siècles et coïncident encore dans certaines sociétés, non sans problème. Peut-on
aujourd’hui, au nom de la morale, refuser de tenir compte de l’écart existant entre puberté et âge de l’installation dans la vie adulte ? On sait qu’en terre d’Islam les agressions sexuelles
se multiplient contre les femmes, nées des frustrations d’une jeunesse sensée arriver vierge au mariage. Et que l’homosexualité « de compensation » y est chose courante.
6 – Pour ce qui me concerne, je ne vois donc aucune raison objective de condamner moralement
l’homosexualité et de refuser à des personnes homosexuelles de vivre en couple et de bénéficier de la protection des lois. En revanche, il me semblerait pour le coup « contre-nature »
de leur élargir le droit au mariage, à l’adoption ou à l’aide médicale à la procréation, qui supposent une différenciation des sexes ici, par nature, inexistante. À ce jour, aucun argument en
faveur de cet « élargissement » des droits ne me semble réellement convaincant.
7 – De ce point de vue l’enseignement du pape Jean-Paul II a « magnifié » la notion de
l’amour conjugal et d’épanouissement humain des époux, mais sans jamais remettre en cause la nécessité de l’ouverture permanente au don de la vie.
8 – Pour autant, on perçoit bien la révolution copernicienne qu’un tel changement représenterait pour
l’Église catholique. Un seul exemple : les religieux font vœu de chasteté, les prêtres vœu de célibat… alors que l’Église attend des uns et des autres qu’ils vivent dans la continence. Si
l’obligation du lien sexualité-mariage-transmission-de-la-vie était supprimée, rien n’interdirait plus aux religieux et aux prêtres, d’avoir des relations sexuelles… sauf à leur faire prononcer
un nouveau vœu : celui de continence.
N.D.L.R. de G&S : sur l'image Madame lit Les positions du
Kamasutra pendant que Monsieur lit Les positions de l'Église !