Il faut « faire avec »
Servons la fraternité : Tel est le titre du texte qui exprime la résolution finale de ce grand rassemblement de plus de 12 000 participants à Lourdes pendant trois jours autour du Jeudi de l’Ascension.
Préparé depuis trois ans, avec en pointe François Soulage, président du Secours Catholique, réunissant plus de cent mouvements et congrégations, Diaconia 2013 s’est voulu ce moment fort d’un cheminement de l’Église de France pour remettre au centre le souci des plus pauvres. Étonnamment, ce mouvement rejoint les préoccupations mises en avant par le pape François qui a salué très chaleureusement cette manifestation dans une lettre lue dans la célébration d’ouverture qui se tenait dans l’immense basilique Saint Pie X.
Le grand nombre des manifestants de cette cause ne doit pas atténuer la dynamique de base autour du service à l’image du Christ qui se fait serviteur en lavant les pieds de ses disciples selon saint Jean. Il s’agissait d’être dans la proximité pour « permettre à chacun de se découvrir frère et sœur de tous » en n’étant plus « dans un faire pour ou à la place de mais dans un faire avec ». Un livre des fragilités et des merveilles avait été écrit par les participants indistinctement, pour inviter à faire lien en battant en brèche la séparation ordinaire entre ceux qui seraient dans l’avoir (le pouvoir et le savoir) et qui « aideraient » ceux qui seraient démunis, les mains vides, niés dans leur existence même.
Un tel pari semble profondément idéaliste et voué à l’échec. Selon moi, cependant, il a été mis en œuvre de telle façon qu’il a pu réussir momentanément, au moins pour ceux qui étaient venus là en toute simplicité, sans arrière-pensée.
L’option pour faire vivre ce lien a été de former des groupes de fraternité pour Marseille, d’une dizaine de personnes chacun, qui fonctionnaient dans les temps où il n’y avait pas de grands rassemblements ou de temps de forums qui étaient choisis individuellement. Selon moi, ce sont ces groupes qui ont été essentiellement un lieu d’expérimentation d’une Rencontre, malgré les différences sociales qui gardent certains dans le confort et jettent d’autres dans la précarité. Il me semble que tout s’est joué autour d’une perte des repères habituels révélatrice d’une commune fragilité humaine qui fait de chacun le gardien fraternel de l’autre. J’ai vécu la joie de pouvoir ainsi m’enrichir de cette mise en commun d’histoires individuelles si différentes.
Curieusement notre groupe, en particulier dans l’exercice du partage de la Parole, s’est retrouvé à chaque fois au milieu de la foule et dans le brouhaha de telle façon qu’il fallait tendre l’oreille pour s’écouter sans élever le ton pour éviter de se singulariser aux yeux des autres. Cela me paraît symbolique de notre condition de croyant aujourd’hui. Les structures protectrices permettant une identité à l’abri du monde s’effritent et nos églises traditionnelles se vident. Et pourtant dans ces moments ensemble uniques, nous faisions communauté, surmontant nos intolérances habituelles pour s’accueillir mutuellement dans l’Amour.
Les Marseillais, comme d’autres, sont revenus de ce marathon fourbus et bousculés. Il avait fallu par moments – et pour ma part j’ai du parfois me couper des autres – prendre sur soi pour ne pas céder à l’agacement né de situations psychologiques un peu difficiles même si chacun faisait ce qu’il pouvait pour apaiser les tensions.
En ce qui me concerne, je n’ai pas encore oublié certains mots exprimant les positions récentes de l’Église sur le mariage gay et qui ont rouvert en moi des blessures intimes. Comment peut-on affirmer comme dans ce beau mouvement de Diaconia que chacun est fragile unique, qu’il faut donc non pas proclamer des normes mais créer des liens et en même temps mettre à mal une minorité qui a connu tant de souffrance et de méconnaissance avec aussi peu de délicatesse ! Nous étions à nouveau ensemble alors que par la violence de ce débat, nous nous étions trouvés séparés.
Il m’a fallu à Lourdes suivre un forum autour de la diaconie de la beauté avec un évêque dont les prises de position me choquent souvent et pourtant comme un certain nombre d’autres évêques il avait fait ce déplacement. Monseigneur Pontier qui va remplacer André Vingt-Trois à la tête de la Conférence des Évêques de France était assis à nos côtés pour la célébration de clôture, il s’est levé pour rejoindre l’autel au centre de la basilique pour l’eucharistie. J’ai pensé combien était lourde, encore plus pour lui que pour les autre évêques, la charge de ce peuple de Dieu qui est comme beaucoup dans un manque d’amour fou ce qui le fait inlassablement rêver d’une communion parfaite inaccessible.
Se reconnaître fragile dans ce monde et tout à la fois capable d’émerveillement, c’est bien déjà le message de François d’Assise pour qui le dépouillement et la pauvreté est un choix qui permet de rejoindre toutes les misères sans en être altéré dans sa joie à célébrer la création. Pour lui les vrais prisonniers sont ceux qui vivent dans la convoitise, ce qui les amène à toujours consommer plus et donc à courir sans fin après la richesse. Sur le conseil d’un Franciscain appartenant à mon groupe, j’ai écouté un soir une conférence d’un de ses amis franciscains devenu évêque de Strasbourg. Si j’ai bien compris, l’enseignement de François est d’abord celui d’une conversion du cœur et d’un changement de regard. Nous avons accompli ce pèlerinage avec cette phrase de Bernadette citée dans le mot d’accompagnement de notre évêque : « la dame me regardait comme on regarde une personne. »
Comment continuer ce temps et mettre en place de nouvelles occasions de mixité sociale, c’est la question à la quelle chacun des participants dans ses organisations propres a aujourd’hui envie de s’atteler.
Suzanne Maurice