Sauve-nous de l'Idolâtrie !
J'aime beaucoup prier pour que le Pape, Évêque de Rome, persévère dans la foi et reste fidèle à sa mission.
Dans le bréviaire, le jeudi de la troisième semaine à Vêpres, dans la prière d’intercession, nous disons :
« Nous te prions pour le pape Benoît ; que sa foi ne défaille pas et qu'il encourage ses frères ».
Si, avec coeur et confiance, nous formulons cette demande pour le souverain pontife, c'est que nous désirons, pour lui et pour nous, rester dans l'humble fidélité et échapper à l'idolâtrie. Nous supplions Dieu de faire miséricorde à l’évêque de Rome et de pallier les insuffisances normales de tout être humain, même s'il a reçu la grâce de l'ordination épiscopale et les promesses de l'Évangile.
Quelle sagesse ! Quelle humilité !
Simples serviteurs de Dieu et de son Christ, nous avons sans cesse les uns et les autres de nous garder d'absolutiser nos jugements et nos paroles en les confondant avec la pure Volonté de Dieu.
Même sanctifié par la Force et l'Esprit du Christ, nul n'est parfait, personne ne peut affirmer qu'il est vierge de tout péché et indemne de toute erreur.
Chacun navigue dans la recherche du meilleur vent. L’audace prophétique du chrétien a d'autant plus de poids et de pertinence qu'elle ne triche pas avec la fragilité humaine.
Par bonté Dieu sauve son peuple de l'adulation, et les ministres de l’Église de l'illusion orgueilleuse.
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Plus de quarante ans de ministère passionnant et passionné m'ont permis de rencontrer beaucoup de fidèles du Christ, évêques, prêtres ou laïcs. D'un grand élan, les uns et les autres nous avons désiré vivre l'Évangile, faire connaître le Christ et contribuer pour notre part à l'édification de l'Église catholique.
Mais surtout nous les prêtres, pris parfois par l'élan professionnel"du ministère presbytéral, nous avons investi notre énergie sans mesure, à tel point qu'aujourd'hui je me demande si, parfois, nous n'idolâtrions pas l'Église. Il a dû nous arriver de préférer (inconsciemment je l'espère) la stratégie pastorale efficace au Royaume de Dieu qui, déjà là, appelle toujours le discernement et l'accueil : l'un et l'autre fruits de la foi.
Peut-être que, dans le feu de l'action, notre zèle exagéré a outrepassé parfois la douceur de l'Évangile. Il ne serait pas invraisemblable qu'à tel moment nous ayons été plus proches du représentant placier ou du sergent recruteur que de l'apôtre du Christ. Oui, il se peut que notre ardeur ait cousiné avec l'esprit sectaire et les pratiques idolâtres.
À notre décharge, je peux affirmer que nous n'avions ni ambition personnelle, ni goût de lucre, mais nous foncions tête baissée, entièrement à notre tâche, sans ménager nos efforts, au risque de ruiner notre santé. 1
Je reconnais que nous avons pu tomber dans le travers des Présidents Directeurs Généraux ou des commis de l'État qui adorent leur entreprise ou leur service au point de s'y vouer corps et âme.
Comme nous pensions faire le bien, nous vivions sans scrupule et sans remords, comme ces médecins ou ces travailleurs sociaux qui s'épuisent en nageant dans l'absolu de leur dévouement.
Nous étions pourtant ministres du Christ mais notre enthousiasme nous piégeait et nous n'entendions pas nos maîtres spirituels qui s'époumonaient à nous rappeler les bienfaits de la longue oraison et la seule grandeur de la Gloire de Dieu.
Si, par malheur, nous avons transformé l'Église en Veau d'Or, alors Dieu dans sa miséricorde pour nous et par amour de son peuple a cassé cette idole. Les débris de la statue nous sauvent. Notre reconnaissance ne sera jamais assez grande.
Quand l'Église connaît l'exil, le « petit reste des pauvres » devient semence pour une moisson nouvelle. Renonçant au tintamare de la conquête, elle cherche dans la Trace de Dieu l'humble force de la Mission.
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Le diable ricane encore de notre naïveté, mais Dieu sait notre loyauté. Il sait aussi la rectitude de quelques confrères d'une époque différente qui vacillent au bord d'une autre idolâtrie. Pour éviter l'affairisme, ils se sont voués à l'encensoir, aux processions, aux homélies intemporelles sous couvert d’éternité.
Ainsi certains collègues, par une opposition symétrique à notre époque, se trompent de culte, ils vénèrent l'image de Dieu que la tradition intègre leur a livré en chronopost recommandé. Au lieu de rendre un culte au Dieu Vivant que rien ne peut pétrifier tant il est bon, miséricordieux, lent à la colère et plein de clémence, ils risquent de dresser des autels pour dissimuler l'assassinat des prophètes.
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Mais alors que faire si l'idolâtrie nous cerne de toute part ? Péché suprême contre lequel le peuple de Dieu se débat depuis l'origine ; embûche pernicieuse que seule la vigilance de YHWH peut nous épargner ; confusion sacrilège de la conscience dont l'adoration de l'Unique en esprit et en vérité nous guérira ; égarement suicidaire de la foi dont la seule panacée se trouve dans la tendresse de Dieu.
Oui, que faire ?
Marc fait retentir dans l'Évangile la Parole de toujours (Marc 12,28) : Un scribe demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ? » Jésus répondit : « Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur. Et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme de tout ton esprit et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Hier, comme aujourd'hui et demain, Le Verbe nous sauve de l'idolâtrie. L'amour renverse les idoles car il donne à chacun ce qu'il lui doit.
Dieu est l'Unique. Il vit absolument d'Amour.
L'Église n'est que l'Église, son importance lui vient de la Promesse, de l'Alliance, de sa foi, de son humilité. Elle n’est qu’un signe ; nous désirons qu’il soit lisible par sa simplicité et son amour des choses journalières. Parce qu'elle connaît le péché, sa grandeur lui vient par le pardon. Elle ne possède pas La Vérité, elle la cherche et la sert. Habitée par l'Esprit-Saint, elle sait qu'elle peut se tromper, parce qu'elle n'est pas Dieu. Elle n'a pas honte d'être nue, pauvre et démunie. Pénitente, chaque jour elle fait Eucharistie.
L'homme n'est que l'homme, mais sa fragilité n'est pas une tare ; il vit aussi d'amour mais dans la relation chaotique des jours et des siècles. En restant à sa place de créature, il déploie la magnificence du monde.
Avec le Christ Jésus qui le guérit de la démesure insensée, et prend soin de lui, le baptisé reste ouvert à Dieu, et ainsi il participe au salut de l'humanité. Il ne s’estime pas lui-même comme le centre de tout, car, si par malheur il se fabriquait et se donnait des dieux, il détruirait aussi bien la création que ses frères humains.
Que Dieu nous préserve de l'idolâtrie.
Christian Montfalcon
1 – Je me permets de citer un passage de Maurice
Blondel :
Idoles que "l'Inconnaissable", que la Solidarité Universelle, que l'organisme social, que la patrie, que l'amour, que l'art, que la science, dès que la passion s'emparant d'un coeur lui
persuade qu'il y trouve de quoi se rassasier, dès qu'elle y consacre toutes les puissances de la tendresse et du dévouement comme si l'homme y avait
enfin trouvé son tout. (L'action, 1893, p. 315)