Sainte patience !
L’Ancien Testament raconte l’histoire de la grande patience de Dieu avec le Peuple qu’il a préparé de longue date pour donner chair à Jésus « quand les temps furent accomplis ». Faire alliance inclut les vicissitudes de la durée. Franchir les difficultés, dépasser les ruptures, demande une profonde tendresse : une vraie passion, une admiration, presque un aveuglement amoureux.
Le mot patience découle directement du participe présent patiens du verbe latin patior : subir, supporter. Quand les temps furent accomplis, Dieu envoya son Fils aux hommes. Pour célébrer la noce, il donna un cadeau vivant, ce qu’il avait de meilleur ; il a livré Jésus aux aléas de l’existence terrestre. La « passion » du Christ dans son absolu, exprime l’excessive « passion » de Dieu pour la création et les humains. Jésus, l’envoyé du Père, a lié son sort à celui de l’humanité. Obéissant à la Passion de Dieu, il a connu la fidélité jusqu’au paroxysme du supportable : Passio Domini nostri Jesus Christi.
Patience rime avec silence. Il ne s’agit point d’un sentiment désabusé ou énervé mais d’une intériorité discrète, totale, mystérieuse et féconde. Le Verbe, parce qu’il est la Parole, ne connaît pas le verbiage ; l’essentiel de son expression se révèle dans le silence… « Jésus se taisait devant Pilate ». Le temps pétri d’Amour attend silencieusement la moisson et la vendange. En attendant cet accomplissement total, « le semeur est sorti pour semer »
Entre la Moisson et le Moissonneur, entre le Vigneron et la Vigne, se tisse un pacte secret de fécondité. Le mauvais temps qui ravage les emblavures ou la grêle qui dénude les ceps ne détruit pas l’Espérance ; elle se réfugie en patience et attend le fruit au rendez-vous suivant.
Newman a fort bien écrit sur l’attente de l’Ami : l’écoute de son pas qui approche, l’éveil de tous les sens pour être prêt à l’accueillir, car il n’est jamais trop tard pour l’accueillir ; l’amour brossé par la Patience se dépouille de ses impuretés.
Le Père de « l’Enfant Prodigue » n’a pas perdu patience. Il n’a ni déménagé ni abandonné sa vigilance. Il est demeuré là, pour le voir « venir de loin ». Il s’est nourri de poussière et de patience pour ne pas manquer le retour éventuel de celui qu’il aimait.
Rien de brusque dans la patience : la douceur la charpente. La patience s’aiguise à la meule du temps et s’affûte à la pierre à huile. En elle, la colère et le ressentiment s’apaisent. La déception ne la corrode point. Si elle est affrontée aux intempéries, la patience ne se protège pas, elle les assume ; on dirait même que le « mauvais temps » la polit et la vivifie. Les éléments contraires la raclent jusqu’à la « douceur » qui, comme chacun sait, n’est point niaiserie mais affrontement sans illusion.
La patience connaît ses limites et les gère pour ne point se perdre en elles. En acceptant d’être imparfaite, elle ne s’effarouche pas des bouillonnements de colère. Des vapeurs qui la mettent sous pression, elle tire son énergie. Repérant ses faiblesses, elle les « convertit » en humilité et en souplesse. Ni fière, ni orgueilleuse, la patience compte avec les débordements mais elle ne les justifie pas.
Si Patience et Passion sont sœurs, les passions affectives sont de la même cousinade. Avec turbulence, elles s’agitent, émeuvent, déchirent ; il ne s’agit pas de les nier, ni de les piétiner, mais de les rassembler pour les mettre en gerbes : quand elles sont offertes elles deviennent force.
La chevauchée de la vie affective mène la patience à la source du lendemain.
« Prenez donc Patience, frères, jusqu’à la venue du Seigneur. » (Jacques 5,7).
Christian Montfalcon