Sa seule faute était d’être un Sans-papiers

Publié le par G&S

Constat fait à partir de cas observés à Aix-en-Provence
par l’ASTI d’Aix-Marseille et par l’AITE

 

ASTI-net.jpgCommençons par expliciter les sigles, ASTI, Association de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés ; AITE, Accueil Information de Tous les Étrangers et personnes d’origine étrangère.

Ces deux structures aixoises ont une longue histoire commune. L’ASTI a pour origine un « comité aixois d’entraide aux familles musulmanes » constitué en 1958 durant la guerre d’Algérie, l’AITE est une émanation plus récente de l’ASTI, créée dans le courant des années 70, lorsque la charge de « l’aide administrative » devint trop lourde à gérer au sein de l’ensemble des activités (apprentissage de la langue pour les adultes, accompagnement scolaire, initiation aux pratiques courantes de la vie citoyenne, échanges culturels, etc.).

Ces deux associations ont donc une longue expérience de l’accompagnement, des relations chaleureuses et conviviales avec les étrangers, et aussi du dialogue et de la concertation avec les autres structures associatives qui agissent dans le même sens au pays d’Aix (Aix-Solidarité, Association des Travailleurs Maghrébins en France, Cimade, Ligue des Droits de l’Homme, Secours Catholique et bien d’autres).

Pour donner une idée de l’importance de l’activité d’accueil de l’AITE, activité qui s’est concentrée depuis plus de 30 ans sur l’information, l’orientation, l’aide à la constitution de dossiers, etc. – en un mot sur l’accès aux droits pour les étrangers de l’agglomération aixoise – le nombre total de personnes reçues en trois ans a été de 3 119, soit plus de 1 000 annuellement en soulignant que ce chiffre correspond en réalité à 8 189 visites car ces femmes et ces hommes qui cherchent un soutien reviennent entre deux et trois fois pour le traitement de leur demande initiale ou pour des demandes nouvelles qui apparaissent lors des entretiens.

Ainsi donc c’est plus de 2 700 visiteurs qui fréquentent l’AITE chaque année.

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Au cours de cette longue pratique d’un demi-siècle, l’ASTI comme l’AITE ont été confrontés à de nombreux cas d’étrangers sans papiers mais c’est surtout à partir des années 80 et de la loi Bonnet (ministre de Raymond Barre) que l’entrée et le séjour irréguliers sont devenus véritablement des motifs d’expulsion. Depuis, la législation n’a pas cessé de se durcir et notamment de 2002 à nos jours sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac devenu président en 2007.

Voici, tiré de notre expérience récente, quelques exemples de situations particulièrement pénibles pour ceux qui les vivent et même parfois totalement inhumaines.

Prenons d’abord le cas d’une veuve marocaine mère de deux filles en bas âge qui n’avait ni emploi ni ressources et aucun espoir d’une vie accomplie au Maroc après la mort de son mari. Elle a tout fait pour rejoindre sa famille en France.

En effet, son père et sa mère titulaires de cartes de résidents ainsi qu’une sœur de nationalité française mère de sept enfants étaient installés à l’Isle-sur-Sorgue. Elle avait par ailleurs deux frères dont l’un est français et une autre sœur, elle aussi de nationalité française, qui résidaient à Ville d’Avray. C’est donc dans cette proche banlieue de Paris qu’elle a d’abord choisi de venir vivre en 2003 et qu’elle a aussitôt inscrit ses enfants à l’école.

Puis assez vite elle est venue s’installer à Aix-en-Provence où elle a facilement trouvé le moyen de se rendre indispensable auprès de personnes très âgées. Elle s’est ainsi rapidement intégrée avec ses filles à la société française… Mais en situation irrégulière du fait des lois en vigueur, c’est-à-dire sans-papiers.

Connaissant sa situation, l’ASTI a tenté de la faire régulariser dans le cadre d’une circulaire du ministère de l’Intérieur datée de juin 2006 qui permettait, en principe, d’admettre au séjour les parents d’enfants scolarisés. Elle essuya malheureusement le refus de la préfecture. Il faut se souvenir que la circulaire en question était surtout destinée à un effet d’annonce et que son application limitait strictement le nombre de bénéficiaires dans chaque préfecture.

Plus de trois ans après ce refus, sa précarité de sans-papier vient tout juste de se terminer par suite de démarches répétées et coûteuses avec une mobilisation intense de militants pour l’aider à préparer à chaque fois les énormes dossiers accumulant les preuves de son identité et de sa présence en France, les certificats de scolarité et bulletins scolaires de ses filles, les témoignages d’amis ou d’employeurs, les avis d’imposition, etc., etc. Plus d’une centaine de photocopies à réunir !

Pendant tout ce temps, de 2003 à 2010, elle n'a jamais bénéficié – à part la couverture maladie universelle – d'aucune aide sociale ni pour elle ni pour ses enfants : pas d'allocations familiales, pas de droit au logement social et par conséquent pas d'allocations logement, pas de facilités particulières pour la cantine scolaire où elle n’envoie donc pas ses filles et pas non plus de possibilité d'inscription en centre aéré.

Au total cette veuve et ses filles ont vécu tout ce temps dans une très grande précarité, elle-même s’est privée de tout, y compris de certaines nourritures comme la viande, elle n’est jamais sortie, n’a pris aucune vacance et s’est toujours désolée au moment des fêtes de ne pouvoir offrir de cadeaux à ses enfants comme c’est la coutume partout ailleurs.

Voilà quelle a été la triste réalité quotidienne d’une femme sans-papiers qui a pourtant rendu d’irremplaçables services à plusieurs personnes âgées, accompagnant même deux d’entre elles avec un véritable amour filial jusqu’à leurs derniers jours, et qui s’est en même temps complètement insérée dans la société aixoise.

Son cas est représentatif de la situation de milliers de sans-papiers et pour certains l’attente de régularisation peut durer plus de dix ans.

Voici une autre illustration, bien plus cruelle, de cette escalade des lois répressives vis-à-vis des étrangers.

Il s’agit cette fois d’un père de famille aixois qui a été expulsé vers l’Algérie il y a maintenant plus de deux ans, c’était en décembre 2007, laissant son épouse et ses deux enfants nés en France, alors âgés de sept et deux ans, et qui n’a toujours pas été autorisé à revenir en France.

Ayant fui les violences en Algérie en 1999 et n’ayant pu obtenir le statut de réfugié, sa seule faute était d’être un sans-papiers parmi des milliers d’autres, sans-papiers qui a eu la malchance de se faire contrôler un dimanche après-midi sur un Cours Sextius quasiment désert (!) par des policiers en civil.

Son épouse, elle-aussi sans-papiers, n’a maintenant plus de ressources et compte sur sa famille résidant à Aix pour l’assister, ses deux garçons sont orphelins de fait et l’ASTI qui les accompagne sur le plan scolaire a pu constater l’immense traumatisme qu’une telle disparition leur a causé.

Il faut savoir que ce père de famille travaillait le plus régulièrement possible comme cuisinier dans un restaurant bien connu d’Aix-en-Provence, qu’il déclarait ses revenus et logeait tous les siens sans faire appel à une quelconque aide sociale.

L’ASTI, les parents d’élèves de son fils aîné et d’autres associations sont intervenus auprès de Madame le député-maire d’Aix-en-Provence pour demander son intervention en vue de le faire revenir au plus vite. C’est par la plus totale indifférence qu’elle a répondu.

Les cas dramatiques comme celui-là sont malheureusement très fréquents et restent le plus souvent méconnus du public car les pouvoirs en place font tout pour maquiller des expulsions inhumaines en refoulement de clandestins, lesquels sont insidieusement qualifiés de délinquants.

On pourrait évoquer bien d’autres cas, mais, sans s’étendre, il y en a un qui est significatif de l’hypocrisie relative à la « double peine » – internement puis interdiction du territoire – que le ministre de l’Intérieur, déjà cité, avait soi-disant supprimée en 2003.

Ainsi, à Aix-en-Provence, un père de trois enfants, marié à une française, arrivé d’Algérie en 1985 n’est toujours pas régularisé. Il a été expulsé deux fois, la première en 2001 suite à une interdiction du territoire prononcée en 1997, la seconde en janvier 2006 malgré une requête en justice pour un relèvement de cette interdiction, compte tenu de l’ancienneté des faits, de l’accomplissement d’une peine d’emprisonnement qu’il avait entièrement purgée en 1998, de l’absence de récidive et, surtout, du besoin impératif de sa présence auprès de son épouse et de ses enfants.

On lui a donc quand même appliqué en 2006 la fameuse double peine alors que le gouvernement avait fait mine de la considérer, avec la loi du 26 novembre 2003 et en réponse à la longue campagne de nombreuses associations regroupées autour de la Cimade, comme contraire à l’égalité de tous les justiciables devant la loi pénale.

Cet homme n’a pu se résoudre à laisser sa famille, il est revenu par ses propres moyens mais il est en permanence menacé d’une nouvelle expulsion, il n’a évidemment aucun droit, notamment pas droit au travail… 25 ans après son arrivée en France, où il a passé plus de la moitié de sa vie, il n’a droit à aucune rémission, il reste toujours sans-papiers !

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Aix-en-Provence, ville bien tranquille, abrite comme toutes les autres villes de l’Europe des personnes dont on veut nier l’existence et les droits fondamentaux.

Quand prendrons-nous enfin conscience de leur détresse ? Quand agirons-nous massivement pour la faire cesser ?

Pour les chrétiens, il y a une sentence de l’Évangile qui dit à peu près ceci : ce que tu fais au plus petit d’entre les miens, c’est à moi-même que tu le fais.

Philippe Chouard
ASTI d'Aix-Marseille et AITE
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Publié dans DOSSIER L'ETRANGER

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