Refonder le sacrement de la réconciliation
Certains trouveront ce projet bien en retard sur leurs propres pratiques. Tant mieux pour eux. C’est vrai qu’elles s’inscrivent naturellement dans la lignée de Vatican II et ont montré qu’elles étaient fécondes. Aujourd’hui, elles sont trop souvent mises de côté, au nom du retour des traditions, confondues avec la Grande Tradition de fraternité de notre Église, inscrite dans la Miséricorde de Dieu.
Confession, pénitence, deux mots profondément liés à la Tradition catholique. Empreints de dolorisme, ils rappellent les temps où la foi s’accompagnait de soumission, de repentance, et de punition. Ces temps étant révolus depuis le Concile Vatican II, les confessionnaux se sont vidés et le bien-fondé-même de la confession et du sacrement de pénitence qui s’en suivait – ou pas – pour beaucoup, n’en est plus perceptible. Pourtant, en même temps que le sacrement de pénitence devenait le sacrement de la réconciliation, il apparaissait qu’une confrontation, une mise en face à face de soi avec Dieu était nécessaire. Si Dieu nous offre inconditionnellement sa miséricorde, faut-il encore que nous comprenions en quoi et pourquoi notre interrogation, et le sacrement qui la conclut sont indissociables.
Le sacrement de pénitence de l’Église Catholique traditionnelle n’a de consistance que par rapport à celui du baptême 1. La question que doit se poser tout fidèle au long de sa vie est « Qu’ai-je fait de mon baptême ? ». Le sacrement pénitentiel est pour chacun de nous son baptême réactualisé, revitalisé, remis à jour Par notre baptême, Dieu nous envoie, paré de notre innocence, sur le chemin de la bonne nouvelle et de la sainteté : dans son Amour, il nous témoigne son estime et son espoir en nous gratifiant de cette marque de dignité qu’est la liberté. C’est ce que nous dit Jésus le Christ : « Soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait ». Saint Paul nous dit presque la même chose dans les Éphésiens (4,13) énumérant toutes les conditions que la communauté doit respecter pour arriver à « l’état de l’Homme parfait ».
Mais Paul constate avec lucidité : « Le bien que je veux, je ne le fais pas, mais le mal que je ne veux pas, je le pratique. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n’est plus moi qui l’accomplis, mais le Péché qui est en moi ». (Romains 7,19-20) Nous sommes infidèles ! Nous sommes Pécheurs de façon constitutive. Et nous altérons sans cesse notre baptême ! Nous offensons le Seigneur, et la communauté ecclésiale à laquelle nous appartenons, et finalement l’ensemble du genre humain.
Dieu, dans l’amour fou qu’il témoigne aux hommes, ne peut accepter ce paradoxe. Et Il est prêt en permanence à se réconcilier avec nous, pour peu que nous en exprimions le désir et la demande : être remis sur le droit chemin, retrouver son innocence, et être rendu à sa complète humanité. Arrivé avec un cœur brisé et broyé (Psaume 50,19) le pénitent repart avec un cœur dilaté par l’allégresse ! Le sacrement de pénitence est comme le baptême un sacrement du bonheur et de la joie.
L’Ancien Testament a beaucoup à nous apprendre sur le sujet.
Il marque cette permanence historique, quasi obsessionnelle, de la miséricorde divine : à chaque infidélité de son peuple, Dieu répond par l’offre d’une nouvelle Alliance… successivement à Adam, Noé, Abraham, Moïse, Esdras lors du retour d’exil.
Cette nouvelle alliance n’est pas proposée à chaque fidèle individuellement, mais offerte au Peuple de DIEU, considéré de façon collective. Le Peuple hébreux, puis le peuple juif encore aujourd’hui, célèbrent cette réconciliation par une grande fête, dite du Grand Pardon (Yom Kippour) dont le Lévitique précise la liturgie. Ce pardon collectif de Dieu pour le peuple est en plus subordonné à l’attitude spirituelle et au comportement du fidèle, sur le pardon vu dans les deux sens : celui qu’il demande pour les offenses qu’il a pu infliger aux autres, et celui des offenses dont il a été lui-même victime… (cf. le Notre Père). Toute collectivité humaine est un réseau serré de méfiance, de soupçons, d’hostilités et de vengeances plus ou moins assouvies. Dieu veut la disparition, ou du moins l’atténuation, de ce cercle mortifère : « Dieu vous accordera le Pardon afin de vous purifier » (Lévitique 16,30).
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La crise de la Pénitence dans l’Eglise contemporaine est patente. La pratique traditionnelle est assez éloignée des considérations précédentes. Tout est centré sur le rite de la confession, qui consiste à énumérer et dénombrer les péchés plutôt que de se reconnaître Pécheur, c’est-à-dire infidèles à notre baptême, infidélité qui offense à la fois l’Amour que Dieu nous donne et celui réciproque qui Lui est dû ainsi que l’Amour que nous devons à nos frères. La joie n’est pas au rendez-vous d’un rite qui est souvent vécu comme une corvée, ennuyeuse aussi bien pour le confessé que pour le confesseur. 2
Aussi une nouvelle réconciliation s’appuie-t-elle sur un vrai dialogue pénitentiel.
S’il s’agit d’un dialogue avec UN pénitent, c’est un dialogue entre les deux protagonistes, et un échange fraternel, où le prêtre « se sachant lui-même pécheur » et proche de ce frère, est ministre du Christ, bon Pasteur et humble guide spirituel. C’est donc en principe le dialogue entre deux intériorités, où la prière et la lecture de la Parole prennent une place déterminante. 3
S’il s’agit de la réconciliation de plusieurs pénitents, c’est une célébration pénitentielle de la parole de Dieu. Elle souligne la solidarité qui lie tous les disciples de Jésus dans la conscience qu’ils ont de leur fragilité et de leur condition de pécheur, aussi bien que dans leur joie de participer à la vie divine dont le baptême leur a ouvert la porte. Chaque pénitent y reçoit une intensification de sa foi dans l’écoute de la Parole de Dieu. L’homélie peut orienter sa réflexion vers des déficiences, des fautes d’action et d’omission, dont il n’avait jamais pris la mesure. Le caractère ecclésial de la célébration dépasse les frontières de l’assemblée qui y participe. 4
Aujourd’hui, les textes saints et le principe de réalité 5 nous conduisent sur une même voie : privilégier les célébrations collectives de réconciliation (nullement exclusives des dialogues personnalisés, à la demande). Au-delà de cette simple considération, nous pensons qu’une Grande Fête de la Réconciliation, célébrée dans chaque diocèse une fois par an, en rappellerait le sens fondamental, et lui conférerait un sérieux et une solennité qui refondraient le sacrement de la réconciliation.
Nous nous proposons, dans un second texte, de développer un manuel de révision de vie et de poser quelques bases pour cette Grande Fête de la Réconciliation.
Il n’est nullement besoin, pour commencer à mettre en œuvre ces projets, d’une autorisation hiérarchique. Il suffit de décider le conseil de paroisse et son curé.
La foi est une relation amoureuse.
Montrons-le dans un grand moment de joie et d’allégresse.
François Grémy/Danielle Nizieux-Mauger
1 – Redécouvrir le sentiment de réconciliation, Études, av 2009, P. Marset, prêtre et E Grieu, sj.
2 – Le Témoignage de Mgr Martini est pour nous un appui de poids. Il écrit en effet : « Nous sommes tous conscients qu’il y a actuellement dans l’Église, une crise de la pénitence. On dit que les confessionnaux sont vides, mais ils le sont des deux côtés, soit parce que les fidèles manquent, soit parce que les prêtres n’y entrent pas… Maintenant, on en parle beaucoup, mais personne ne vient. Il y a donc un éloignement progressif, pas toujours à cause des fidèles : en fait même des prêtres font souvent comprendre, plus ou moins explicitement, qu’il vaut mieux espacer les visites. » Tout cela est peut-être utile : c’est une crise salutaire, car elle naît du refus d’un formalisme excessif dans la façon de recevoir et de donner le sacrement de pénitence, qui à la fin laissait sur sa fin aussi bien le prêtre que le fidèle… Nous sommes dans cette situation, et l’Église est à la recherche de nouvelles voies pénitentielles. Il me semble que c’est une purification juste, un effort louable que d’abandonner une pratique purement formelle. Notre vie de Baptisés est une vie de Pécheurs, qui confiés à la Miséricorde, parcourent un chemin vers la Résurrection définitive. Par conséquent, le mystère de la pénitence est à l’œuvre en nous. Mais il ne faudrait pas que l’effort de sortir du formalisme nous porte à abandonner toute pratique pénitentielle : ce serait un très grand mal : nous ne serions plus dans la vérité, devant Dieu ni devant nos frères »
3 – Nous avons vu que la réalité vécue est souvent une caricature de cet idéal. Trop souvent, la durée est de quelques minutes, ce qui n’encourage pas le pénitent à approfondir son investigation personnelle. A la limite le sacrement tel qu’il est pratiqué de nos jours prend la forme d’une démarche administrative, et se trouve en quelque sorte galvaudé et profané par son caractère formel. Même quand il est administré de façon idéale, il reste individu-centré, et perd le caractère communautaire, c'est-à-dire ecclésial qui est par ailleurs recommandé par le Rituel.
4 – Le Rituel distingue deux formes de sacrements à caractère communautaire :
a) avec confession et absolution individuelles. « Celles-ci s’insèrent dans la cérémonie pénitentielle (qui peut être une messe), juste après la liturgie de la parole. Mais après la réconciliation, la messe communautaire continue dans l’Action de Grâce et l’envoi. Les fidèles ne se retirent pas un à un quand ils ont reçu l’absolution. Si l’assemblée est nombreuse, cette forme de réconciliation exige donc la présence d’un nombre proportionné de prêtres et l’ordonnance de la célébration serait compromise, si le temps consacré aux confessions individuelles dépassait le quart de la durée totale ».
b) avec confession et absolution collectives. « Après la liturgie de la Parole, l’homélie oriente l’examen de conscience des pénitents. Elle est suivie d’un temps notable de silence, où chacun de retrouve avec soi-même pour découvrir ses fautes et en demander pardon au Seigneur. Ce temps de silence révolu (un quart du temps total !), le prêtre qui préside invite l’assemblée à l’action de grâce. Elle consiste en un psaume ou un cantique, que conclut une prière sacerdotale de louange au Dieu de miséricorde. Le prêtre bénit ensuite l’assemblée et c’est l’envoi ». De fait, un rituel collectif était prévu dans des cas extrêmes (guerre ou catastrophes naturelles) et dans certains lieux où le prêtre ne peut faire que de rares et brefs séjours : le prêtre peut donner l’absolution collective sans confessions individuelles préalables. En 1972, le pape Paul VI l’a étendue à toute l’Église d’Occident. Il est réservé à l’Évêque du diocèse… de décider quand il est permis de donner ainsi l’absolution sacramentelle collective ». Mais quelles que soient les circonstances dans lesquelles est organisée une célébration de cette sorte, l’absolution collective est toujours valide.
5 - Ne serait-ce qu’à cause de la pénurie de prêtres dans le monde occidental.