Réflexion sur un arraisonnement
Si nous publions ce billet un peu particulier de Bernard Ginisty,
c’est parce que cette réflexion nous apparaît suffisamment profonde
pour contribuer à comprendre le nœud de vipères moyen-oriental
et parce qu'il nous semble qu’il peut, en d’autres temps ou en d’autres lieux,
être applicable à d'autres conflits internationaux.
G & S
L’intervention de l’armée israélienne dans les eaux internationales contre des navires qui apportaient une aide humanitaire à Gaza, relève juridiquement d’un acte qui serait qualifié pour tout autre pays de piraterie maritime. Cette intervention a été décidée pour faire respecter le blocus de Gaza imposé par Israël depuis plus de mille jours. Alors que ce blocus vise officiellement le Hamas qui a gagné les dernières élections, nombre d'organisations humanitaires constatent que c'est l'économie gazaouie qui se retrouve asphyxiée. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'O.N.U. signale que 61% de la population souffre d’insécurité alimentaire. 80% des 1,5 million d’habitants de Gaza se retrouvent dépendants de l'aide internationale. Or le blocus, qui a accru le besoin d'assistance humanitaire, a dans le même temps limité la capacité des agences humanitaires de la fournir. Ainsi les restrictions sur l’importation de ciment rendent impossible la reconstruction des 12 000 habitations détériorées ou détruites par les bombardements de l’aviation israélienne en décembre 2008. Une situation que des responsables des Nations Unies ont qualifiée de «punition collective».
Cette attaque d’un convoi humanitaire, comme d’ailleurs l’écrivent certains journaux israéliens, est non seulement une faute morale, mais une erreur politique qui ne peut que réjouir tous les ennemis d’Israël et donner du grain à moudre aux extrémistes des deux camps. Une fois encore, l’allié inconditionnel d’Israël, les États-Unis d’Amérique, s’est employé à éviter que le Conseil de Sécurité condamne cette violation flagrante du droit international.
Dans un ouvrage sous forme de lettre ouverte à Élie Barnavi, historien israélien et ancien ambassadeur d’Israël en France 1, Régis Debray souligne le parallèle des attitudes des États Unis d’Amérique et d’Israël vis-à-vis du droit international : « L’Amérique, c’est un grand Israël qui a réussi. Israël est une petite Amérique qui est à la peine, mais les deux ont pour point commun de n’avoir de comptes à rendre à personne – qu’au Très-Haut » 2. Nul doute que l’intégrisme religieux ne soit aujourd’hui une des sources majeures de conflits comme le note encore Régis Debray : « On s’islamise côté Palestine ; on se judaïse côté Israël (en miroir, sinon avec les mêmes effets). L’identité de chaque antagoniste flottait entre chien et loup, le loup se précise. Ce n’est plus une querelle de mouvements nationaux pour une terre en dispute, mais entre deux blocs de foi pour l’honneur de Dieu » 3.
Ainsi la rupture fondamentale passe moins entre des camps opposés qu’au sein de chaque camp. C’est ce qu’affirme Élie Barnavi au terme de sa réponse à Régis Debray : « Oui, il y a bien deux Israël. Le mien, tourné vers le monde, séculier et rationnel ; et l’autre, idolâtre, centré sur une terre divinisée et prisonnier de croyances archaïques dont il fabrique une idéologie étrangement moderne, étrangère au sionisme classique comme au judaïsme rabbinique. Entre les deux, il n’y a pas de compromis possible » 4.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 05.06.10
1 - Régis DEBRAY : À un ami israélien, avec une réponse d’Elie Barnavi. Éditions Flammarion Paris 2010.
2 - Id. Page 96
3 - Id. Page 83
4 - Id. Page 156