Qui peut prophétiser en Église ?
La cléricalisation progressive de l’Église catholique, depuis les origines, semble réserver aux seuls clercs le droit d’être des interprètes (j’avais écrit “interprêtres”, lapsus significatif) de la Parole de Dieu. Or l’Écriture s’insurge contre ceux qui veulent établir ce monopole. En Nombres 11,26-30, alors que Josué veut interdire à Éldad et Médad – sur lesquels “l’Esprit s’était reposé ” – de prophétiser, Moïse s’écrit : «Ah ! Puisse tout le peuple du Seigneur être prophète, le Seigneur leur donnant son Esprit », Esprit dont il faut rappeler, une fois de plus, qu’il souffle où il veut, et pas seulement sur les bords du Tibre.
Jésus, de même, doit corriger le désir de ses disciples de se replier comme une secte en voulant interdire à quelqu’un “qui ne nous suit pas” d’expulser des démons au nom de Jésus. La réponse est nette : « Ne l’empêchez pas, car il n’est personne qui puisse faire un miracle en invoquant mon nom et sitôt après parler mal de moi. Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Marc 9,38-40).
Ces deux passages des lectures du 26e Dimanche (année B) sont encourageants pour ceux qui croient que la parole de Dieu est diverse et que sa proclamation, sinon ses interprétations, n’est pas réservée aux seuls “spécialistes”. À G&S, nous en sommes persuadés puisque un certain nombre de laïcs nous éclairent régulièrement, à côté de prêtres amis, sur la “Première alliance”, et sur le Nouveau Testament.
Bien sûr, il peut y avoir des risques à laisser la Parole de Dieu à tout le monde, il peut en résulter de l’à peu près, voire du n’importe quoi. L’Église a toujours frémi aux menaces du “libre examen”. Mais en même temps de quelles richesses elle se privait quand elle se méfiait de la lecture des Écritures par les simples fidèles. Car ceux-ci peuvent apporter à la compréhension de la Parole de Dieu l’éclairage de leur profession, de leur état, … : un médecin ne la recevra pas comme un berger (David était berger et Luc médecin) ; une femme aura une autre sensibilité qu’un homme ; un athlète n’aura pas vis-à-vis des guérisons la même attitude qu’un malade ou un paralytique…
Sur les problèmes politiques et sociaux, on est en droit de penser que des hommes et des femmes engagés dans le monde en ont une expérience que les clercs, souvent enfermés dans leur monde à eux, qui est parfois une “clôture”, ne perçoivent peut-être pas dans leur intégralité, même s’ils peuvent éclairer la lecture qu’en font des laïcs par un autre regard. Cela s’appelle de la complémentarité. Prenons un exemple précis, récent et important.
Tout le monde s’accorde à reconnaître que la dernière encyclique du pape Benoît XVI, “L’amour dans la vérité ” comporte des idées et propositions importantes. Croit-on que ce texte, s’il avait été conçu dans une collaboration libre et sincère avec des acteurs de la vie économique et politique, aurait été aussi long (il faut vraiment avoir besoin de lire ces 130 pages denses), et si marqué encore d’une rhétorique cléricale qui semble en réserver la lecture à une petite élite. Ce texte, pour être véritablement prophétique, comme il aurait pu l’être, pour s’adresser “en vérité” “à tous les hommes de bonne volonté ” et signifier une réelle ouverture pour eux, aurait eu besoin d’un peu du pragmatisme de gens s’étant concrètement affrontés aux problèmes soulevés.
Est-ce définitivement impensable ?
Albert OLIVIER