Quelques-uns
Il est clair que la société laïque en France, en Europe et ailleurs repose sur une visée démocratique. La vie ordinaire des états et des citoyens s’articule autour de valeurs montées de l’Antiquité ; en Occident elles se sont christianisées au cours des siècles. Il y a 150 ans environ, les « hussards noirs » de l’école Jules Ferry se sont mis à enseigner aux enfants des établissements scolaires une morale laïque à peine démarquée des préceptes évangéliques. Des générations ont été marquées par cette référence commune qui a structuré la mentalité de notre pays.
La trilogie : liberté, égalité, fraternité proposée par La Révolution française, prend racine dans la tradition judéo-chrétienne. Cette « Utopie » est devenue le ciment de la cohésion de notre peuple, elle dépasse nos différences et nous permet une certaine unité nationale.
Ainsi la chrétienté a déteint sur des populations qui ne connaissent plus Jésus de Nazareth : Christ de Dieu. Le christianisme a engendré un bien commun laïque. Les incroyants pétrissent leur propre pain à partir des semences des communautés de la foi chrétienne, au point que René Rémond a pu écrire dans son livre Du mur de Berlin aux tours de New York 1 : « Le Christianisme n’est pas une religion comme les autres, dans la mesure où sa diffusion porte en germe son effacement progressif »
Cette phrase forte résonne comme un scandale, mais à mon sens, elle est juste et vraie.
Plus le Christianismecomme système mourra dans le monde plus il sera sauvé de l’intérieur, plus il vivra dans la foi de l’intensité du Christ ; mais il faut ajouter : moins les Églises succomberont à la tentation identitaire, plus il faudra que quelques-uns…
par l’offrande de tout leur être (baptême),
par la disponibilité de leur vie (prophétisme),
par leur prière publique et privée (liturgie),
par l’Eucharistie (nourriture de Résurrection)
Par la connaissance et l’assimilation des Écritures
par le pardon réciproque (fondement communautaire)
par l’abandon des idoles (adoration de l’Unique),
par le partage de leurs trésors matériels et spirituels (aumône),
par la priorité à la justice, à la miséricorde et à la fidélité (morale sociale),
par leur enracinement géographique, culturel, spirituel
par la permanence de leur porte ouverte
par la qualité de leurs relations imprégnées de bonté
par leur ouverture à la culture et sur la philosophie
acceptentd’être un « petit reste » de pauvres, signe d’une Parole sans cesse naissante et jaillissante.
Ces quelques-uns, passionnés du Christ, attendent tout de lui. Pécheurs, ils croient au pardon. Ils croient que malgré leurs insuffisances et leurs péchés ils sont aimés du Christ et font « corps » avec lui pour que dans l’aujourd’hui de la culture, ils soient des signes et des appels.
Ils lient ensemble leur existence. Ils ne recrutent pas, la grâce leur suffit. Tant bien que mal, ils veillent et Dieu leur donne fécondité. Ils prêchent l’Évangile par l’humilité de leur présence, ils ne sont pas des modèles mais des témoins.
Ni purs ni parfaits, ils vont leur chemin et avec les incroyants ils aménagent les voies humaines selon les valeurs communes.
Ils ne sont pas partisans mais croyants.
Ces quelques-uns s’efforcent de répondre à l’appel du Christ : « Viens et suis-moi »
Pincée de sel, leur passion les conduit à donner du goût à la vie humaine. Ils sont intérieurement unifiés pour faire envie par leur cohérence souple et aimable.
Pendant mon ministère, j’ai connu “Quelques-uns”. Ce fut ma chance.
Christian Montfalcon
1 – Bayard, Août 2002.