Quelques réflexions géopolitiques sur le Mali

Publié le par G&S

Le Mali, verrou de l’Afrique subsaharienne

carte_du_Mali_grande.gifDe Nouakchott à Mogadiscio, une série d’États à forte majorité musulmane, Éthiopie exceptée. Zone d’affrontements et de tensions permanents. Ce n’est pas un affrontement Occident/Orient, ni entre des religions, mais pour l’essentiel un combat pour ou contre la modernité. C’est particulièrement frappant sur la partie la plus à l’ouest : Mauritanie, Sénégal, Mali, Niger sont des pays relativement démocratiques, où joue l’alternance. Ils connaissaient ces dernières années des taux d’accroissement voisins de 5 % l’an.

Au cœur de ce dispositif, le Mali, dont l’effondrement ouvrirait la voie à des forces obscurantistes qui déferleraient ensuite sur l’Afrique subsaharienne. On pouvait craindre il y a quelques temps qu’il ne devienne un autre Afghanistan, ou une autre Somalie

Le Mali, rappelons-le, a été le premier pays du « printemps africain » (mars 91 : éviction de Moussa Traoré par une révolte étudiante et populaire relayée par l’armée)

L’islam malien

La Constitution de 1992 est laïque, aucun parti ne peut être reconnu s’il repose sur une base ethnique, religieuse ou régionale. Certes on sait que sur les 80 et quelqies partis du Mali certains sont de fait marqués par l’islam, mais la constitution est le fondement de la vie politique et elle a permis deux décennies de démocratie et deux alternances jusqu’au coup d’état du capitaine Sanogo.

Islam tolérant malgré la présence voyante de l’Arabie Saoudite (cf. institut islamique et mosquée grandiose d’Hamdallaye, construits il y a plus de 20 ans). Il y a comme partout une islamisation progressive de la société dans la vie quotidienne. Comme souvent en cas de crise la religion est aussi un refuge… d’autant qu’un certain nombre d’actions caritatives sont conduites par des associations religieuses qui disposent, parfois, de beaucoup d’argent.

Une institution importante : le Haut Conseil islamique au Mali (HCIM), dirigé par un wahabite : Hamadoun Dlcko. C’est lui qui imposa au président A.T.T. (Ahmadou Toumani Touré) dans son 2e mandat de ne pas promulguer le nouveau code de la famille 1 pourtant voté à la quasi unanimité par les députés. Mais c’est aussi lui qui depuis un an a tenu à se démarquer d’Ansar Dine, a soutenu l’intervention française (« la guerre est dirigée contre les bandits et les narco-trafiquants et non contre l’Islam ») et fustigé le soutien du Quatar aux djihadistes.

L’intervention française

Jusqu’au 10 janvier, le politiquement correct poussait à ne pas mettre en avant la France. Elle devait être la principale organisatrice de la re-formation de l’armée malienne, aidée par d’autres pays européens et ne devait fournir qu’un appui logistique (aérien et renseignements) à cette armée et aux contingents africains pour la reconquête du territoire national. Tout cela se mettait en place avec une très grande lenteur (manifestement les pays africains attendent que l’aide financière promise soit débloquée), l’Algérie et les USA voulaient éviter la guerre et une négociation, bien peu crédible, démarrait à Ouagadougou.

La rapidité de décision de Hollande n’est guère remise en question, ni en France, ni à l’étranger. Le coup d’arrêt ayant été donné au déferlement annoncé des djihadistes jusqu’où faut-il aller dans la « reconquête » du territoire malien ? Les villes ont été reprises pratiquement sans coup férir. Mais il en ira autrement avec l’Adrar des Ifoghas, zone montagneuse où les djihadistes peuvent se cacher facilement et où seraient détenus les otages français. F. Hollande est pressé de voir les armées africaines prendre le relais pour cette traque. Mais cela risque de prendre du temps. Un universitaire malien me disait il y a quelques jours : « il ne faut surtout pas que les Français s’arrêtent en chemin ».

 « Ni indifférence ni ingérence » disait Jospin.. On voit mal que la France reparte en se désintéressant de l’étape suivante qui doit être la reconstruction du pays. Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions sur la popularité de F. Hollande. Elle peut basculer avec des bavures de l’aviation française tuant des civiles ou les dissensions antre états majors. Il y a quelques jours un journal titrait sur la « trahison de F. Hollande » (et d’autres lui emboîtaient le pas sur un ton moins agressif) au motif que les soldats français s’installaient à Kidal avant les Maliens. Je pense qu’il y a peut-être là un jeu subtil de négociations pour libérer les otages français qui serait plus difficile si l’armée malienne était présente dans cette ville.

Reconstruire l’État, Reconstruire les territoires

L’État déliquescent, le pays à la dérive, les appellations sont voisines pour qualifier le mauvais état des institutions maliennes. La démocratie tant vantée en prend un coup. La première question est celle de la légitimité du pouvoir. Le coup d’état a empêché la tenue des élections présidentielles (prévues en mai 2012) mais de toutes façons l’État n’était sans doute pas en mesure de les organiser. Il serait urgent d’avoir un nouveau pouvoir légitimé à Bamako mais on voit mal comment les élections pourraient se tenir d’ici le 31 juillet comme s’y est engagé le Président. Deux questions se posent à propos de ces élections :

- D’une part la place de l’armée. Le capitaine Sanogo a été obligé sous la pression de la CEDEAO (mais non de la rue malienne) de renoncer à être « chef d’État ». Mais il possède encore un réel pouvoir de nuisance : après le tabassage du président par des gens de son bord, il a déposé le premier ministre et s’apprêtait dit-on à en faire autant avec le président. Par ailleurs plusieurs de ses hommes sont à des postes ministériels importants (défense, intérieur). Obstacle à la remise en route de la démocratie, on ne sait quel est son réel pouvoir d’entraînement sur l’armée. Celle-ci reviendra auréolée de sa victoire dans le Nord. Il faudra sans doute que les partenaires du Mali soient très fermes pour soutenir un pouvoir civil fort à Bamako si on veut éviter une situation pakistanaise.
- D’autre part l’attitude du personnel politique. La corruption était généralisée jusqu’au sommet de l’État. L’espèce de consensus mou (agrémenté de prébendes et de népotisme) qui entourait le régime d’ATT finissant a empêché l’émergence de nouveaux leaders et d’une opposition crédible. Ce personnel politique manque singulièrement de patriotisme, ou pour faire plus moderne de sens de l’État…

On oublie cependant, au milieu de toutes les critiques que l’on peut faire à la démocratie malienne que la décentralisation représente, elle, une véritable avancée, en ce sens qu’elle a instauré dans les communes et les régions une réelle pratique de la démocratie et  permis l’émergence de nouveaux responsables, d’autant que chaque scrutin a vu un renouvellement important des édiles.

Il faut s’appuyer sur la décentralisation pour reconstruire les territoires. Il faut bien en particulier donner une place nouvelle aux régions du Nord. Entre le statu quo ante, imaginé en 1992, pour mettre fin à une rébellion touarègue 2, et une fédération, toute une gamme de solutions est envisageable, l’une d’entre elles pouvant être de mettre en place cette assemblée supra provinciale proposée dans l’accord national de 1992 et jamais réunie. On ne peut s’aventurer plus loin mais il est essentiel de discuter « territoire » et non « ethnies » et de prendre conscience que les 3 régions du Septentrion (comme disent souvent les journalistes maliens) constituent un ensemble disparate : les Touaregs ne sont que l’une des composantes (majoritaire seulement à Kidal) 3 de la population régionale et les Peuls, Songhai, Maures, Arabes, Bellah et autres doivent aussi être partie prenante à toute recomposition territoriale.

D’autant que des groupes d’auto défense, voire des milices (Ganda Koy, Ganda Izo) s’étaient constitués ici ou là pour lutter contres les islamistes et qu’ils admettent difficilement que la négociation politique laisse de côté les nordistes non touaregs. Il faut souligner aussi que de nombreux Touaregs sont loyalistes : une bonne partie des élus s’était réfugiée à Bamako et, on ne le voit guère dans l’information officielle, un contingent de 500 militaires maliens environ, commandés par le colonel Gamou, un Touareg,  accompagne vers Kidal les troupes tchadiennes. Ces hommes s’étaient réfugiés au Niger début 2012 lors de la déroute de l’armée malienne et avaient été désarmés par les Nigériens.

Il y a dans la population malienne un très vif sentiment « anti-blancs » (les peaux blanches comme on dit aussi étant représentées par les Touaregs et les Arabes) et l’heure est plus à la revanche qu’à la réconciliation. Il est donc nécessaire que des médiateurs (rôle souvent joué dans le passé par les Algériens, et maintenant par la CEDEAO, sous la houlette du président Compaoré, du Burkina Faso) facilitent le dialogue et que la communauté internationale entérine ses résultats, au besoin en forçant un peu la main aux responsables en place.

Mais quelle que soit la solution institutionnelle retenue rien ne pourra se stabiliser sans la mise en route d’un processus de développement du Sahel, qui dépasse de beaucoup les frontières de l’état  malien.

L’utopie sahélienne

L’économie du Sahel et du Sahara a été largement désorganisée par les grandes sécheresses des années 1973-74 et 1974-85 ; l’élevage en particulier a été complètement sinistré. Mais cette région n’est cependant pas dénuée de ressources, en particulier en raison de la présence du Niger et de ressources minières. C’est donc un véritable projet de développement qu’il conviendrait de bâtir. Une telle entreprise, multinationale, supposerait que le Sahara (et sa bordure méridionale) soit le centre d’un projet global alors qu’il n’est à l’heure actuelle pour chacun des pays riverains qu’une périphérie marginale, éloignée des capitales. “L’utopie sahélienne” consisterait à faire travailler ensemble ces pays.

Quatre domaines devraient être privilégiés :

- La valorisation de la fonction de transit du Sahara. Le renforcement d’un grand axe de communication reliant les deux pays émergents potentiels de l’Afrique que sont l’Algérie et le Nigeria consoliderait le rôle de plaque tournante du trafic intra africain. Il permettrait aussi de lutter plus efficacement contre tous les commerces illicites qui gangrènent la région : drogue, armes, marchandises diverses, migrants.
- L’exploitation concertée des minerais (y compris pétrole et uranium) qui se trouvent dans cette région.
- Le développement du tourisme, à condition de prendre les précautions pour qu’il demeure modeste serve les sociétés locales.
- L’appui au maintien d’une agriculture irriguée, notamment dans la vallée du Niger largement sous utilisée et d’un élevage extensif partout où cela est possible.

Tout cela devrait s’accompagner d’un effort social important(éducation et santé notamment) qui a été insuffisant jusqu’à présent.

L’utopie consiste à penser que tous les pays riverains, dotés de gouvernements démocrates et vertueux seront d’accord pour travailler ensemble. Mais en attendant qu’elle soit réaliste on peut peut-être commencer à travailler avec deux partenaires essentiels : la CEDEAO et l’union Européenne (si celle ci veut bien sortir de sa torpeur et de son impuissance actuelle).

Elle suppose aussi de réunir pas mal d’argent, sur la durée et de veiller à ce qu’il soit utilisé avant de s’évaporer. Il doit être possible sur un ensemble de projets biens préparés de réunir des fonds, les bailleurs de manquent pas. Et d’ailleurs, combien coûte à l’heure actuelle une journée d’intervention militaire au Mali, combien coûte aux Américains une journée d’Afghanistan ?

Jacques Champaud
Géographe

1 – Il prévoyait, outre l’inscription dans la constitution de l’abolition de la peine de mort, l’interdiction de l’excision, le recul de l’âge au mariage pour les filles, l’interdiction du mariage religieux avant le mariage civil, l’égalité de l’homme et de la femme dans le couple.
2 – Le pacte national d’avril 1992 avait été préparé par 3 médiateurs (le mauritanien Ahmed Baba Miské, l’algérien Ahmed Ouyahia, le français Edgar Pisani).
3 – La région de Kidal regroupait 40 000 personnes en 1998, celle de Tombouctou 460 000 et celle de Gao 400 000. Les 3 régions représentaient alors moins de 10 % de la population totale du pays.

Publié dans Réflexions en chemin

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