Quelle leçon !!!!
Une fois encore Seigneur, ton humour me surprend et tes chemins pour me rejoindre sont bien imprévisibles. Difficile pour moi ce soir, de ne pas T'imaginer me regarder en cet instant avec un petit sourire malicieux.
Après un exposé au sein de ma communauté j'étais, il faut le dire Seigneur, assez satisfaite. Il m'avait fallu de longues heures pour élaborer un plan logique qui se voulait le plus cohérent possible et facilement accessible à mes frères et sœurs paroissiens. Il n'est jamais très facile de rendre explicite une pensée qui s'élabore tout doucement au gré de ses propres lectures et de ses expériences spirituelles.
Arrivée au terme de ces six pages patiemment élaborées, je pensais avoir exposé de façon assez satisfaisante le lien entre Eucharistie et service du frère, thème de la soirée.
Au moment précis où quelques membres de la communauté, auditeurs assez attentifs encore un instant auparavant, s'approchaient de moi j'aperçus, surgissant du fond de l'église habituellement fermée en cette heure tardive, nos empêcheurs de tourner en rond.
C'est ainsi que j'appelle parfois nos compagnons roms, ceux-là même qui, par leur comportement, remettent en permanence en cause ma capacité d' accueillir la différence : différence de mentalité, de culture, de fonctionnement mental, psychologique, voire spirituel.
À l'issue d'un si bel exposé, dont j'étais, je l'avoue, quelque peu fière, qui était prioritaire ? Les paroissiens en quête d'éclaircissements ou de félicitations, ce qui aurait permis d'alimenter fortement mon ego ou Angéla tirant quasiment Florin son mari à bout de manche, escortés tous deux de leurs deux adolescents. Une fois encore m'était signifié que ce qui prime dans une famille rom c'est la dimension familiale. Aucune démarche ne semble pouvoir appartenir à la sphère privée, fût-t-elle démarche spirituelle.
Un ami rom accompagnateur, parlant un peu mieux le français, chercha à m'expliciter la demande qui, même répétée plusieurs fois me demeurait incompréhensible. S'entremêlait dans le discours la promesse d'arrêter de boire faite à Dieu en Roumanie en présence d'un prêtre, et visiblement un écart de boisson en France entraînant devant un tel parjure un immense malaise, mal être physique avec de réelles manifestations somatiques. Dieu ne pouvant manquer de punir un pécheur paria, le lien entre le parjure et les douleurs abdominales était pour eux évident.
Si l'historique ne me paraissait pas très explicite et si l'objet de la demande profonde l'était encore moins, ce qui me paraissait facile à décoder c'était le caractère visiblement d'urgence qui avait poussé cette famille à franchir le seuil de l'église catholique pour réclamer la bénédiction d'un prêtre, évitant sans doute ainsi les affres de l'enfer à cause d'une évidente trahison.
Seul un autre prêtre, fût-il d'une autre confession, pouvait pallier la rupture du serment, permettant d'éviter ainsi les flammes punitives qui commençaient, semblait-il, dès ici-bas.
Totalement hermétique à cette conception d'un Dieu qui envoie des punitions aux pauvres pécheurs que nous sommes, je demandais de manière répétitive « Tu as besoin de la force de Dieu pour tenir ta promesse, c'est cela ? » ce à quoi m'était répondu de façon tout autant répétitive : « non, il a re-bu et il est malade ! »
Parce qu'on ne choisit pas celui qui sera notre prochain et que le Samaritain nous invite à le prendre sur notre monture pour le conduire à l'hôtellerie, sans tout comprendre j'appelais celui de qui dépendait le salut espéré. Tout aussi désemparé que moi, le célébrant, face à une démarche pénitentielle bien particulière, s'approcha de Florin à genoux en larmes devant la statue de Sainte Rita, visiblement en prière de contrition. Nous entourâmes alors Florin, Angela et le traducteur. Les mots du Notre Père, savamment présentés quelques instants auparavant comme la prière qui nous rend frères, surgirent de notre bouche.
Certes ne furent prononcé ni l'acte de contrition ni la formule consacrée de réconciliation, le livre des Saintes Écritures sur lequel aurait pu être renouvelée la promesse resta sur le lutrin, mais la miséricorde de Dieu, qui nous prend tels que nous sommes avec nos limites, nos ratés, nos promesses non tenues, fut bien signifiée par la main sur l'épaule dans ce cercle de prière.
Angéla n'aurait jamais quitté l'église sans que sa demande soit exaucée. Pour rien au monde elle ne souhaiterait voir son buveur invétéré brûler dans les flammes de l'enfer dans l'au-delà et souffrir de douleurs insupportables dès ici-bas.
En cet instant, je m'interroge : ne serait-ce pas cette épouse lasse des abus éthyliques d'un mari qui poussa son homme dans son pays natal à faire cette promesse devant Dieu et son représentant ? De retour en France, difficile de ne pas succomber, lorsque le froid, la mendicité, le rejet des regards d'autrui vous poussent à oublier dans les vapeurs d'alcool.
Toujours est-il que lorsque cet étrange cérémonie pénitentielle fut terminée, je me retournai : l'église s'était vidée de ses paroissiens. De multiples pensées m'envahirent et je compris en cet instant qu'être indemne d'orgueil et tout à fait livrée à l'humilité est un long chemin de conversion.
Même si nos conceptions et nos rapports à Dieu et aux rituels de l'Église sont bien différents, sache Florin que moi aussi j'aurais sans doute à vivre une démarche pénitentielle. Heureusement pour mon confesseur, mon éducation m'empêche en cette heure tardive de me précipiter chez lui pour lui demander le sacrement de réconciliation.
Je garde présente en moi l'image d'un homme au visage baigné de larmes, à genoux pour implorer le pardon de son Dieu et je rends grâce à ce même Dieu qui, par Florin, m'a rappelé que le service du frère surgit de façon toujours inattendue et que c'est souvent le plus petit qui enseigne.
« Ce que tu as caché cela aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits » (Matthieu 11,25-27)
Quelle leçon !!!!
Nathalie Gadéa
PS : information de dernière minute
Après prise de renseignements auprès d'un interprète patenté qui avait été contacté par la famille dans
l'après midi : la demande était bien une demande pénitentielle. Les gestes attendus étaient une bénédiction avec le Livre des Rituels placé sur la tête ainsi que d'être recouvert par la
chasuble du célébrant.
Humbles et piètres serviteurs nous fûmes.
Osons croire que nous ne fûmes pas tout à fait inutiles !!!!!