Que sait-on de Jésus ? (chapitre 7)
Le contexte politique de la vie de Jésus
1) Jésus est issu d’une famille juive vivant dans un village de Galilée. Famille et village sont alors des communautés régies par les traditions, sous la conduite des anciens. Tous doivent vivre dans l’obéissance et la loyauté par rapport à ces traditions et à leurs représentants. Dès qu’il aura quitté Nazareth, Jésus prend ses distances à l’égard de cette forme de socialisation, impliquant la loyauté envers la famille et l’acceptation du régime politique en place : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, … il ne peut être mon disciple » (Luc 14,26). Et de fait, il est mal reçu à Nazareth, dans son pays et sa propre famille, sans s’en étonner : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison » (Marc 6,4).
2) La portée politique de la vie de Jean, le Baptiste. Le ministère de Jean eut une répercussion politique importante, nous en connaissons trois aspects :
- par sa manière de vivre et par les appels qu’il lance à la conversion, Jean s’oppose à l’élite des riches et des puissants : « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un homme aux vêtements luxueux ? mais ceux qui portent des vêtements magnifiques et mènent une vie de plaisir sont dans les palais des rois » (Luc 7,25)
- Le roi, à cette époque, c’est Hérode Antipas. De fait, nous le savons par Flavius Josèphe, Antipas avait peur que Jean provoque une insurrection, à cause de son succès auprès des foules. A cette époque, quelqu’un susceptible de provoquer une insurrection, on l’exécute sans tarder.
- De plus, durant un séjour d’Hérode Antipas à Rome, sa nièce et belle-sœur, Hérodiade, par ambition et désir de s’élever, devient sa femme. Or il était déjà marié avec une princesse nabatéenne, fille du prince Arétas, souverain de toute la région au Sud de la Mer Morte. Mariage qui avait comme toujours alors une portée diplomatique et constituait une alliance militaire. Apprenant cela, cette princesse s’enfuit et retourne chez son père. Cela provoque une guerre entre les Nabatéens et Hérode. C’est dans ce contexte politique que Jean reproche à Hérode d’avoir pris la femme de son frère. Le récit populaire de Marc met l’accent sur cet aspect moral, mais nous savons par Flavius Josèphe la portée politique de ce nouveau mariage. Hérode avait bien des raisons de se débarrasser de Jean. Dans la bataille militaire qui suivit contre les Nabatéens, Hérode fut battu, il ne dut son maintien en Galilée qu’au soutien de Rome. Les contemporains virent dans cette défaite une punition d’Hérode pour avoir fait exécuter Jean le Baptiste, beaucoup plus populaire que lui. Cicéron déjà conseillait aux gouverneurs locaux représentant Rome : « Mieux vaut réagir avec cruauté que de laisser faire par négligence » (Cic Verr. II, 5, 3)
3) Jésus durant son ministère
La prédication de Jean le Baptiste, son conflit avec les élites et son destin final sont les expériences qui ont marqué politiquement Jésus de Nazareth. C’est l’arrière-plan sur lequel lui-même commence son ministère, aussitôt après l’arrestation de Jean (Marc, 1,14). Pour lui, le Règne de Dieu est déjà commencé et il attend son achèvement pour un proche avenir. Dans ce Règne de Dieu qu’il attend et qu’il voit en train de survenir, les élites religieuses et politiques ne jouent aucun rôle. Prêtres, anciens des villages, chefs de familles n’ont plus de fonction particulière, les spécialistes de la religion, scribes et Pharisiens, sont mis en question (Marc 12,38-40). Dans le Royaume à venir, ce sont les disciples de Jésus qui siègeront sur des trônes (Luc 22, 29-30). Jésus se situe ainsi dans la perspective des Psaumes : « Dieu est Roi ». Jésus a pu vivre son entrée à Jérusalem avant la Pâque de l’année 30, accompagné de ses disciples, comme une action symbolique, par laquelle lui et les siens préparaient le « Jour de Dieu ».
4) L’exécution de Jésus dans le contexte politique de son temps
L’importance des élites religieuses dans la vie politique de la Judée empêchait Rome d’y mener la même politique que dans les autres pays conquis, où Rome s’appuyait sur les élites locales. Dans ce contexte, Jésus, avec son enseignement sur le Règne de Dieu, semblait prétendre, sans jamais s’engager sur le plan politique proprement dit, à un rôle politico-religieux important. On comprend bien que les élites juives, inséparablement politiques et religieuses, aient perçu en lui un possible concurrent. A leurs yeux, sa compréhension de la volonté de Dieu comportait la revendication d’entrer dans l’élite du judaïsme, et même de dominer celle-ci et de la remplacer par le groupe de ses disciples. Pilate et l’élite juive se sont entendus pour maintenir leur pouvoir, et ont appliqué les conseils de Cicéron : Mieux vaut réagir avec cruauté que laisser faire par négligence. Comme plus tôt Hérode Antipas face à Jean le Baptiste.
Jacques Lefur
d’après Lukas Bormann, Nuremberg