Que chaque matin le monde devienne neuf pour nous
Noël, que nous allons fêter dans quelques jours, évoque la fragilité d’une naissance chez un jeune couple déplacé en suite à un recensement administratif. Précarité d’une naissance dans un abri de fortune car les hôtelleries n’accueillent que ceux qui ont les moyens financiers. Pour les Chrétiens, cet humble événement, célébré le jour du solstice où, après les nuits d’hiver de plus en plus longues, la lumière commence à surmonter les ombres, signifie le recommencement du monde. Loin des fanfares triomphales, des grandes réussites économiques et militaires, cette vulnérabilité apparaît plus forte que tout.
Chaque année, la liturgie chrétienne invite à revivre cette période d’attente d’une naissance qui s’appelle l’Avent. Il ne s’agit pas simplement de la commémoration d’un lointain événement ou dela représentation plus ou moins théâtralisée d’une histoire dont on connaîtrait a priori l’heureux dénouement. Les textes les plus anciens de la liturgie chrétienne affirment qu’il ne s’agit pas seulement d’un fait historique passé, mais d’un événement actuel qui nous concerne. C’est aujourd’hui, pour tout être humain, qu’a lieu l’expérience de la naissance, de la passion, de la mort, de la résurrection.
Dans un très beau texte recueilli par Martin Buber, le Baal-Schem, fondateur du mouvement mystique juif en Europe de l’Est au XVIIIe siècle appelé hassidisme écrit ceci : « Si nous ne croyons point que Dieu renouvelle chaque jour l’œuvre de création, alors l’action de prier devient vieille et machinale et lassante pour nous. Ainsi qu’il est dit dans le livre des Psaumes : “ Ne me rejette pas, aux jours de ma vieillesse, c’est-à-dire : fais que mon monde ne devienne pas vieux pour moi.” Et dans le livre des Lamentations nous lisons : “ Elles sont neuves chaque matin, grande est ta fidélité – que chaque matin, le monde devienne neuf pour nous, voilà ta grande fidélité” » 1.
Bien loin de se perdre dans le ressassement ou la répétition mécanique, le sens de la prière liturgique est de nous rendre attentif à la naissance quotidienne de l’événement. Comme le dit admirablement le Baal-Shem : « Que mon monde ne devienne pas vieux pour moi, que chaque matin le monde devienne neuf pour nous ». Et il ajoutait : « Que l’homme se lève de son sommeil dans l’ardeur car il a été sanctifié et il est devenu un autre, et il est maintenant digne d'engendrer, devenu conforme à la qualité de Dieu alors qu’il engendrait son monde » 2)
Dans un monde vieilli dans ses crispations identitaires et monétaires, la fête de Noël rappelle la destinée de l’homme créé « à l’image de Dieu », c’est-à-dire avec le pouvoir d’engendrer des naissances et des renaissances.
Bernard Ginisty
1 – Martin Buber : Vivre en bonne entente avec Dieu selon le Baal- shem –Tov. Éditions du Rocher, 1990, page 45. Le texte complet des deux versets des Lamentations cité dans le texte est celui-ci : « Les bontés du Seigneur ! C ‘est qu’elles ne sont pas finies ! C’est que ses tendresses ne sont pas achevées ! Elles sont neuves tous les matins. Grande est ta fidélité ! ». (Lamentations 3,22-23. Traduction TOB, 2010)
2 – Id. page 27.