Prier avec Sulivan ?
Prier 15 jours avec Jean Sulivan, par Joseph Thomas, éditions Nouvelle Cité, 128 pages, 12,50 euros.
Jean Sulivan serait-il devenu un « maître de prière » ? C’est bien la question que l’on se pose à la sortie d’un livre de la collection « Prier quinze jours avec… » et consacré au prêtre et écrivain breton « rebelle ».
Prier avec Sulivan ? Oui, bien sûr, répond Joseph Thomas, auteur de ce livre, même si son entreprise peut paraître une vraie gageure. À condition, simplement, de savoir de quoi on parle quand il s’agit de prière.
Peu de chance, avec Sulivan, de se trouver du côté de l’incantation, du rituel, des exercices d’adoration ou des formules creuses des « pieux » et des « pieusards, yeux baissés », qu’il évoque, dès 1958, dans Le Voyage intérieur (Plon).
Pour prier avec Sulivan, il faut commencer par retrouver l’étymologie du mot prière. « Du latin precare, souligne Joseph Thomas, mot qui a donné précarité. Prier : être précaire, tout est là. La prière : cette disposition intérieure de qui se sait fragile, précaire et s’en remet à autre que soi ». Mais, attention ! Il ne s’agit pas d’attendre un bienfait qui vous tomberait du ciel.
Joseph Thomas situe en réalité Sulivan dans cette lignée spirituelle qui, « d’Augustin à Etty Hillesum » (en passant notamment par Maurice Zundel ou Marcel Légaut), « fait du cheminement vers soi-même la finalité de la prière ». Pour permettre à « laisser Dieu naître en soi, et ainsi de laisser advenir l’homme nouveau, l’homme du huitième jour ». Joseph Thomas cite, à ce propos, les mots de Sulivan dans Miroir brisé (Gallimard, 1969) : « Prier, c’est avouer que l’on a faim ». Et aussi cette phrase extraite de Parole du passant (Albin Michel, 1991) : « Dans cette pauvreté intime de créature précaire, expérimenter la confiance, une sérénité, une joie secrète ».
On l’a compris. La prière, selon Sulivan, n’est pas un « en-soi », un exercice à part. Non, elle participe de l’être tout entier : quand il marche, quand il retrouve sa légèreté, quand il est capable de rire de lui-même, pour accéder à un vrai retournement intérieur. Jusqu’à atteindre le point où « la prière se priera à votre insu » (L’Exode, Desclée de Brouwer 1980).
Pour cela, écrit Sulivan dans Devance tout adieu (Gallimard, 1966), il faut « franchir le monde des convictions, des certitudes, des consolations et la religion même, pour se trouver face-à-face avec la pauvreté divine ». L’écrivain eut cette révélation au chevet de sa mère mourante, une femme tellement marquée par ses dévotions mais qui, raconte Joseph Thomas, « se révéla, au dernier moment, presque indifférente et comme murée devant les rites ».
D’où cet appel de Sulivan à une vraie intériorité, dans l’intimité d’un Dieu « pauvre », vraie voie d’accès à la « petite joie increvable », en devenant, comme il le dit aussi dans Parole du passant, « capable de silence et de solitude ».
Pierre Tanguy
Joseph Thomas préside l’association Sulivan 2013, en vue de la célébration du centenaire de la naissance de Jean Sulivan, né Joseph Lemarchand le 30 octobre 1913, à Montauban-de-Bretagne.