Plaidoyer pour « Une Église en sortie »
L’exhortation apostolique du pape François La joie de l’Évangile 1est un événement dans la longue histoire des documents pontificaux.
D’abord par le style : François oublie le Nous de majesté pour parler à la première personne, se réfère souvent aux travaux des différentes conférences épiscopales et, ce qui ne gâte rien, n’hésite pas à manier l’humour. François se sépare nettement des hommes d’appareil qui cherchent « la vaine gloire de ceux qui se contentent d’avoir quelque pouvoir et qui préfèrent être des généraux d’armées défaites plutôt que de simples soldats d’un escadron qui continue à combattre » (§ 96), ou encore des gestionnaires de pastorale qui « donnent une plus grande attention à l’organisation qu’aux personnes, si bien que le tableau de marche les enthousiasme plus que la marche elle-même » (§ 82) !
Mais surtout ce document fourmille de réflexions originales sur tous les aspects concrets de la vie chrétienne pour la recentrer sur l’essentiel : l’annonce de l’Évangile d’abord aux plus exclus. « Je préfère, écrit-il, une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie sur les chemins, plutôt qu’une Église malade de son enfermement et qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit dans un enchevêtrement de fixations et de procédures » (§ 59)
Un chapitre de ce document me paraît d’une grande portée, non seulement pour l’Église catholique, mais pour tous ceux dont le métier et/ou l’engagement consistent à travailler à l’évolution des hommes et des sociétés. Intitulé Le temps est supérieur à l’espace ; François y analyse « un des péchés qui parfois se rencontre dans l’activité sociopolitique (qui) consiste à privilégier les espaces de pouvoir plutôt que les temps de processus. Donner priorité à l’espace conduit à devenir fou pour tout résoudre dans le moment présent, pour tenter de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation. C’est cristalliser les processus et prétendre les détenir. Donner la priorité au temps, c’est s’occuper d’initier des processus plutôt que posséder des espaces » (§ 222-223). C’est pour éviter de tomber dans ce travers que le Pape François souhaite « une Église en sortie » (§ 20).
Nous avons là une des clés des crises que nous traversons face auxquelles, trop souvent, Églises, partis politiques ou autres organisations répondent par des questions de boutique. Il ne s’agit pas de quitter l’installation dans un système institutionnel sécurisant pour un autre jugé plus performant, mais de se mettre en mouvement.
La vraie frontière entre les êtres humains est celle qui sépare les nomades des sédentaires, ceux qui sont en marche et ceux qui se croient arrivés.
On ne saurait trop se réjouir de lire sous la plume du premier responsable de l’Église catholique : « L’Église doit accepter cette liberté insaisissable de la Parole, qui est efficace à sa manière et sous des formes très diverses telles qu’en nous échappant elle dépasse souvent nos prévisions et bouleverse nos schémas » (§ 21).
Bernard Ginisty
1 – Pape François : La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique. Éditions Bayard, CERF, Fleurus-Mame 2013. Les références des citations correspondent aux numéros des paragraphes de cette édition.