Plaidoyer pour un certain fondamentalisme
Les vieux-catholiques (référence à l’Espagne inquisitoriale de Philippe II) reprochent aux “chrétiens-critiques” (livrés à la vindicte publique comme “progressistes”) de ne pas suffisamment respecter la tradition (oui, j’ai mis une minuscule car la vraie Tradition reste vivante). Leur tradition s’appuie essentiellement sur la pensée des conciles (plutôt celui de Trente que le “désastreux” Vatican II, bien sûr), celle des papes (Pie IX plutôt que Jean XXIII qualifié dans leurs sites de “franc-maçon”) et des traditions qui peuvent n’être que des habitudes. S’ils le permettent, nous préférons mettre en première source la parole de Dieu telle qu’elle nous est transmise par les Écritures. Et si nous devons être “fondamentalistes”, soyons-le jusqu’au bout, en relisant la “lettre” de ces textes.
Quelques premiers exemples :
1. “Ecce Homo”, dit Pilate quand il présente Jésus à la foule (Jean 19,5). Homo, pour ceux qui savent un peu de latin, ça veut dire “humain” 1: “Voici Jésus, incarnation de l’”humanité”, d’une nature humaine parfaite, à la ressemblance de son Père, qui est parfait. Ce point de philologie me tracasse pour tous ceux qui ne veulent donner de fonction “ministérielle” qu’aux hommes (viri) dans l’Église. Car enfin, il fallait bien, étant donné qu’il n’y a que deux sexes dans notre espèce, que Jésus soit ou homme ou femme ; disons qu’il avait une chance sur deux (outre la prise en compte historique d’une opportunité sociale à l’époque de l’Incarnation, bien entendu). Et si Dieu avait voulu insister sur la masculinité de cet autre lui-même (de même nature que le Père), au détriment d’une humanité globale, il aurait “soufflé” à Pilate de déclarer : « Ecce vir » = « Voici le mec ».
2. Autre remarque de vocabulaire (il y en aurait des dizaines à relever dans l’utilisation “historico-théologique” des Écritures) : Jésus a bien recommandé, pour marquer que la seule vraie paternité est celle de Dieu, son Père et notre Père, de n’appeler personne “père” sur terre (Matthieu 23,9). Or l’Église a très vite inventé, au delà de l’usage premier de presbyteroi, ces “anciens” fréquemment évoqués dans les Actes (14,23 ; 21,18…) et siégeant souvent en “collège” (1Timothée 4,14) pour désigner les responsables des communautés chrétiennes, les termes de pape, d’abbé , de Révérend Père… Ne seraient-ils pas alors des titres usurpés par rapport au seul Vrai Père, en ramenant la révérence due à Dieu à de simples mortels ?
Dans la même ligne, d’ailleurs, l’institution a décidé que tout ce qui la touchait elle-même (“instituée par Dieu” 2) était saint : saint père, saint concile, sainte messe (bien sûr qu’elle est sainte, mais parce que Dieu est saint), etc. Or “Dieu seul est saint” et lui seul peut rendre saint, ce que rappelle, comme un leitmotiv les textes bibliques, depuis le Lévitique (11,44 ; 20,7 ; 21,8), 1Samuel (2,2), etc., jusqu’à l’Apocalypse (4,8). C’est donc une appropriation abusive du qualificatif par les membres d’une société malgré tout humaine.
Quant aux “saints”, qui forment les cohortes des légions célestes, et sont solidaires, dans la “communion des saints”, des autres hommes et femmes, vivants et morts ou à naître, et qui peuvent nous servir d’utiles modèles, Dieu les reconnaît assurément. Mais n’y a-t-il pas un peu de prétention, de la part de simples mortels, de décider motu proprio, même après “enquête”, qui est digne d’être intégré dans ces légions ?
Petite annexe, dans le même ordre d’idées, sachant qu’il n’y a qu’un seul Seigneur, ce qui nous rend très libres vis-à-vis des “grands de la terre”, on peut regretter que pour s’adresser poliment à des hommes, aussi respectables soient les évêques, il faille leur dire « Mon-seigneur ».
3. Et puis encore, il y a ces “commandements de Dieu” un peu escamotés : « Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face. Tu ne te feras pas d'image taillée, ni aucune figure de ce qui est en haut dans le ciel, ou de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre » (Exode 20, 3-4). Le risque était bien perçu (Exode 20,5) : celui de l’idolâtrie sous-jacente qui fait dire par Dieu, à travers Moïse : « Tu ne te prosterneras point devant elles et tu ne les serviras point… » 3. Notre religion “populaire” en est-elle totalement exempte ? Le problème n’est pas nouveau et il dure. Le IIe concile de Nicée (787) condamna les “Iconoclastes”, sortes d’intégristes en matière de refus d’images, en arguant que la contemplation fréquente de « l’image de Dieu Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ,… de la sainte mère de Dieu, des saints anges et de tous les saints [amène à se ] souvenir des modèles originaux et… à leur témoigner, en les baisant, une vénération respectueuse, sans que ce soit une adoration véritable… qui ne convient qu’à Dieu seul » 4. D’autres textes suivront, comme à la XXVe session du concile de Trente (1563).
Je vais peut-être en choquer certains, et je me choque moi-même car j’ai fait de l’histoire de l’art et j’aime profondément – esthétiquement – la peinture dite religieuse, mais je me demande souvent quand je regarde certains tableaux, s’ils sont si religieux que cela. En principe, ainsi que le rappellent les conciles, ils sont censés servir d’appui à notre sentiment religieux, à notre prière.
Pour les icônes, chez les “primitifs”, quelques Flamands, Rouault, etc. (liste non-exhaustive) : aucun problème. La représentation est comme un signe ; elle évoque un thème théologique, la Crucifixion par exemple, ou la Vierge à l’enfant ou quelque saint patron, avec le moins de “réalisme” ou de “naturalisme”, possible. Elle reste comme l’expression symbolique – presqu’abstraite – d’un “mystère” qui facilite notre méditation et notre piété. Mais dans certains tableaux de la fin du Moyen-Âge ou de la Renaissance, quand l’individualisme des artistes et des “sponsors” se répand, l’important est-il toujours la scène “sacrée”, ou bien la seule beauté de l’œuvre, voire son originalité recherchée (malgré les contraintes de certains prix-faits), ou, pire encore, la présence plus ou moins ostentatoire des donateurs, dont la figure est parfois presqu’aussi grande que les personnages bibliques ou les saints représentés ? Ça ne veut pas dire que leur foi et leur offrande n’étaient pas sincères, mais, comme dans un ex-voto, ils ont éprouvé le besoin de s’’inscrire dans la scène, peut-être pour en retirer quelque gloire mondaine, ou une protection, ce qui paraît une intention légèrement “magique”.
Par la suite, on assiste à la brillante fulgurance de la peinture baroque où le sens religieux se perd dans la virtuosité affichée avec complaisance de la sensibilité du peintre. Pouvons-nous véritablement prier devant une fresque du Tintoret à la Scuola de San Rocco, ou Les noces de Cana de Véronèse (70 m2) ? L’œil – et la pensée – se perdent dans le mouvement et les détails anecdotiques. Et si elle n’est faite que pour “décorer” un lieu, elle est superflue en tant qu’art “sacré” qui ne devrait se préoccuper que de la gloire de Dieu, et non de celle d’une confrérie ou d’un réfectoire de Bénédictins.
Alors, faut-il bannir les “représentations”, comme le font juifs, musulmans, et en grande partie, nos frères protestants ?
Albert OLIVIER (à suivre)
1 – C’est une méconnaissance linguistique qui a amené un évêque, lors du 2e concile de Mâcon (585), à demander si “homo” pouvait s’appliquer aux femmes. Rapportée par Grégoire de Tours et mal transmise, elle a entraîné la naissance du mythe d’une Église s’interrogeant pour savoir si les femmes avaient une âme.
2 – Pour transmettre sa Parole, non comme une fin en soi.
3 – Traduction Crampon, pour rester traditionnel !
4 – G. DUMAIGE, La foi catholique, Éd. De l’Orante, 1961, p.311 et sv. L’habile nuance entre culte de latrie et de dulie, introduite par le concile de Trente, était peut-être un peu subtile pour les masses, qui ont pu donner libre cours à leur imagination dans des manifestations telles que pèlerinages, dévotions, adorations…