Pentecôte, voie non totalitaire vers la totalité de l’humain
Le temps liturgique qui sépare l’Ascension de la Pentecôte nous fait vivre le passage d’une conscience très locale de l’aventure d’un Messie mort et ressuscité au surgissement de l’universalité de l’Esprit en chaque être humain.
L’époque est dure pour tous ceux qui se sentent une vocation universelle. La mondialisation marxiste par l’union des prolétaires s’est écroulée. Le rêve d’une catholicité conquérante n’a pas résisté à l’effondrement des structures ecclésiastiques et la raréfaction des membres du clergé.
Au plan politique s’affrontent les tenants du ralliement au marché mondial et ceux du renfermement identitaire, nationaliste ou sectaire. La seule mondialisation opérationnelle serait celle des marchés financiers devenus les maîtres du jeu mondial. En ces temps désenchantés, de difficulté d’être soi, nos contemporains oscillent entre la dépression nerveuse, devenue une des premières maladies de notre temps, la régression dans des groupes identitaires ou, pour ceux qui en ont les moyens, la distraction morose de la consommation.
Peut-être ne sommes nous pas sortis de ce que j’appellerai le syndrome de la conversion. Aux siècles de chrétienté, il s’agissait de convertir l’humanité entière. À la grande époque de l’Action Catholique on chantait « nous referons chrétiens nos frères » ! Devant l’échec de ces tentatives, souvent conçues comme ralliement à des institutions religieuses, s’est développé un mouvement de conversion en sens inverse. On a décidé « d’aller au monde » (mais où était-on avant ?). On n’en finit pas de rejoindre une modernité où règne l’immédiat. On cherche du spirituel partout, sauf peut-être dans la tradition dont on est issu. Ces tentatives contraires et tellement similaires de convertir les autres à soi ou de se dissoudre dans l’univers de l’autre traduisent une difficulté d’assumer des différences vues comme des menaces et non comme la source de nouveaux liens.
Dans l'Évangile, la conversion n’évoque pas d’abord l’adhésion à une institution mais ce que le Christ appelle la seconde naissance, c’est-à-dire une expérience très personnelle de la grâce. L’universalité évangélique ne réside pas dans un pouvoir, un savoir ou une institution, mais dans l’accueil d’un don inconditionnel comme raison d’être du monde. En ce sens, les Chrétiens témoignent d’une grâce qui les dépasse et dépasse leurs institutions.
L’universalité de la grâce invite chacun à recevoir et à assumer ce qu’il a d’unique avant de rêver à des conquêtes institutionnelles. Nous sommes tous fondamentalement « minoritaires ». L’humanité se construira par des relations entre des hommes s’assumant uniques et différents et en cela « créés à l’image de Dieu » et « fils d’un même Père », et non par la fusion dans des institutions ou l’émotion de grandes manifestations.
L’expérience de la Pentecôte est celle d’une universalité que chacun peut entendre « dans sa langue maternelle » 1 qui conduit à une fraternité, voie non totalitaire vers la totalité de l’humain.
Bernard Ginisty
1 – « La foule se rassembla et fut en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue. Déconcertés, émerveillés, ils disaient : Tous ces gens qui parlent ne sont-ils pas Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle. » (Actes des Apôtres 2,6-7).